Par Stéphane Boudin
Si vous cherchez un emploi stimulant et plein de surprises, alors vous devriez faire carrière dans la politique haïtienne ! Gouverner notre pays est un des rares métiers où vous pouvez être sûr de ne jamais vous ennuyer. Et si vous survivez, vous aurez certainement des histoires croustillantes à raconter à vos petits-enfants. Chaque jour est une nouvelle page à écrire. Ici, il n’y a pas de script, tout est à inventer au fur et à mesure. Un jour, vous êtes en train de négocier un traité commercial, et le lendemain, vous vous cachez sous une table pour éviter une fusillade, ou prenez l’avion pour retourner dans votre exil doré, comme le fait la grande majorité de nos dirigeants. Après tout, pourquoi risquer sa peau pour un pays qui ne vous offre aucune reconnaissance ?
C’est en tout cas ce que doit se dire Garry Conille, convaincu (lui aussi!) qu’il aurait pu sauver Haïti avant qu’il ne soit brutalement débarqué par le Conseil Présidentiel de Transition (CPT) qui commençait à trouver que le bonhomme tirait un peu trop la couverture vers lui : Garry Conille reçoit Blinken, Conille s’affiche avec le Président brésilien, Conille discute avec le Président kényan, Conille en gilet pare-balles pavoisant sous les flashs des caméras dans les rues de Port-au-Prince pour montrer que l’État est en train de récupérer les territoires perdus face aux gangs. Bref, on voyait Conille un peu partout, un peu trop au goût du CPT qui a décidé de mettre un terme à sa dangereuse ascension médiatique. Car oui, en cette période de transition, il est hors de question de laisser quiconque voler la vedette.
Il faut dire que le microcosme politique haïtien vit dans une interminable lutte de pouvoir. Tout se joue en coulisse, en attendant le jour où les urnes puissent enfin parler. Les atermoiements honteux qui ont précédé la mise sur pied du Conseil présidentiel de Transition prouvent une fois de plus que le nœud du problème réside bel et bien dans cette caste dirigeante opportuniste qui nous gouverne. Vous pouvez mettre en place le système politique le plus performant et le plus transparent au monde, il ne pourra survivre à la soif de pouvoir et à la rapacité insatiable de nos dirigeants.
Gary Conille ne peut pas dire qu’il ne savait pas ce qui l’attendait avant d’embarquer dans sa courte aventure, lui qui avait déjà prétendu à des postes ministériels sous l’ère de Michel Martelly, occupant notamment la fonction de Premier ministre entre 2011 et 2012. Voyant peut-être que la discrétion et le désintéressement de son prédécesseur Ariel Henry n’avaient pas payé, il a tenté de jouer la carte de la surexposition pour s’adjuger la sympathie et le soutien de ses concitoyens. Malheureusement pour lui, sa technique qui s’apparente à une échappée, un peu comme en cyclisme, n’a pas payé, puisque le peloton constitué du CPT a fini par le rattraper, l’empêchant ainsi de faire cavalier seul. Il faut aussi dire que le Garry Conille a un bilan bien maigre à défendre, même s’il est vrai qu’il est difficile de pleinement juger ses actions au bout de 5 mois seulement à la tête du pays. Mais voilà, la situation politique étant ce qu’elle est, il aurait dû asseoir son autorité et rassembler la classe politique au préalable, avant d’espérer véritablement gouverner et appliquer sa vision du changement pour Haïti. Il laisse un pays toujours déchiré par les violences.
En Haïti actuellement, au lieu de surveiller les gangs et autres dangers qui menacent notre pays, nos politiciens se surveillent entre eux. En véritables charognards, ils se déchirent pour un poste clé, une promotion, un marché public, laissant la population à l’abandon. La seule règle.. c’est qu’il n’y a pas de règle! Tous les coups sont permis, même les plus bas. L’argent et le pouvoir sont les seuls maîtres à bord, et les principes sont négociables. Au fil du temps, la corruption est devenue la norme, et l’intégrité l’exception. Sauf que nos chers politiciens oublient une chose, c’est que le pouvoir et l’argent sont éphémères et que l’histoire les jugera.
Les noms à la tête de l’État alternent au gré des saisons, mais les mentalités restent les mêmes. Alors que penser du nouvel arrivant, Alix Didier Fils-Aimé? Sans véritable expérience politique notable, le remplaçant de Gary Conille est un inconnu du grand public. Ce qui est sûr, c’est que sa nomination, aussi brusque qu’inquiétante, s’inscrit dans une série d’événements qui témoignent de l’instabilité chronique au sommet de l’État. Le rythme auquel les chefs de gouvernement changent frise l’absurde. Haïti continue à être victime d’une gouvernance chaotique et d’une administration complètement désorganisée. Imposer au peuple haïtien un nom tel que Alix Didier Fils-Aimé, c’est imposer le statu quo, là où notre pays a besoin de politique rupture. Si Fils-Aimé a pu réussir dans le monde des affaires, cela ne le rend pas nécessairement apte à gérer les complexités de l’État haïtien, loin s’en faut. Notre pays, en proie à des défis aussi nombreux, peut-il vraiment se permettre de mettre aux commandes un novice en politique? On peut légitimement en douter. Car diriger une entreprise, aussi prospère soit-elle, est une chose; mais diriger un gouvernement, avec ses intrications bureaucratiques, ses défis sociaux et sécuritaires et ses exigences diplomatiques, en est une autre.
Alors qu’Haïti a urgemment besoin d’un gouvernement central fort pour reprendre les choses en main, nos politiciens continuent à jouer avec l’avenir de toute une nation. L’instabilité chronique qui perdure actuellement empêche la mise en place de politiques à long terme, ce qui aggrave la méfiance du peuple. Les Haïtiens en ont plus qu’assez et ne peuvent plus supporter une classe politique complètement déconnectée de ses besoins et préoccupations. Pire, le manque de continuité envoie un signal désastreux à l’international, alimentant la perception d’un pays incapable de retrouver la stabilité. Comment voulez-vous que des investisseurs viennent s’ils n’ont aucune garantie? S’ils doivent traiter avec des dirigeants de passage qui ne sont là que pour gratter quelques sous avant de disparaître?
Le cynisme de notre classe politique nous coûte cher. Le peuple haïtien mérite mieux que cette mascarade, où les gouvernants viennent et repartent sans jamais assumer leurs responsabilités. Il est plus que temps d’en finir avec l’ère de l’improvisation. Vivement que la classe politique se transcende enfin et place les intérêts de la nation au-dessus des ambitions personnelles.