Arthur Fils a 20 ans, un revers explosif, un mental qui surprend les plus aguerris, et un nom qui commence sérieusement à peser sur le circuit ATP. Numéro 14 mondial au classement du 14 avril 2025, il est l’une des plus belles promesses du tennis mondial masculin. Ce que beaucoup ignorent, c’est qu’il est aussi de père Haïtien, comme Naomi Osaka. Deux étoiles qui brillent… mais loin d’Haïti. Car quand le talent fleurit, il cherche l’oxygène. Et chez nous ces dernières années malheureusement, l’oxygène manque. Encore une jeunesse haïtienne contrainte d’aller ailleurs pour respirer, grandir, et gagner.
Arthur Fils, la trajectoire d’un enfant prodige
Il est né à Bondoufle, en région parisienne, mais c’est sur les courts de terre battue et les tournois juniors qu’Arthur Fils a construit sa légende naissante. Finaliste à Roland-Garros junior en 2021, il a intégré le Top 100 ATP dès 2023, grimpé dans le Top 50 l’année suivante, et le voilà désormais 14e mondial au printemps 2025, à seulement 20 ans. Une ascension fulgurante, ponctuée de victoires contre des cadors du circuit.

Au cours du dernier tournoi ATP qu’il a disputé, à Monte-Carlo, il a terrassé Andrey Rublev, avant de livrer un match dantesque contre Carlos Alcaraz, numéro 2 mondial. Trois sets intenses, une défaite certes, mais un respect conquis. Alcaraz lui-même a reconnu que ce fut l’un de ses matches les plus exigeants de la saison. Arthur a tenu tête, frappé fort. Il n’a jamais été impressionné par l’enjeu, et encore moins par son adversaire. Un vrai haïtien, qui ne recule pas devant l’adversité. Et surtout, de sa défaite, il a énormément appris. La marque des grands champions.
Quelques mois plus tôt, il soulevait deux titres ATP 500 à Hambourg et à Tokyo, les premiers de son parcours professionnel, devenant l’un des visages incontournables de la nouvelle génération.
On parle de lui comme du nouveau leader du tennis français. Mais derrière le bleu-blanc-rouge, il y a aussi une racine haïtienne. Un père venu d’Haïti, une histoire familiale tissée d’exil, de volonté et de dépassement.
Comme pour dire que, parfois, ce que la République française célèbre aujourd’hui, c’est ce qu’Haïti a laissé partir hier.
Haïti, fabrique de talents… pour les autres
Arthur Fils n’est pas un cas isolé. Il est le dernier-né d’une longue lignée de talents haïtiens qui ont dû s’épanouir ailleurs, parce que leur pays d’origine ne leur offrait aucune perspective. Naomi Osaka ? Haïtienne par son père. Star mondiale du tennis, multimillionnaire, icône d’une génération… qui ne défendra jamais nos couleurs.
La vérité est là, brutale : Haïti regorge de talents, mais ne les garde pas. Pire, elle ne les voit même pas. Ou alors trop tard, quand ils sont déjà dans les bras d’un autre drapeau, d’une autre fédération, d’un autre pays. Certes, on parle ici de binationaux qui optent dans la majorité des cas pour leur pays d’accueil. Il n’en demeure pas moins qu’Haïti avait une carte à jouer si nos responsables savaient tirer sur les bonnes cordes.
Malheureusement, lorsqu’il s’agit de sport, le constat actuel est plus que décevant. Notre nation possède un réservoir énorme de jeunes talents, mais n’investit pas dans cette jeunesse. On ne bâtit pas de structures sportives. On ne soutient pas les familles. Et surtout, on ne croit pas en notre potentiel. À force de mépris, d’inaction et de budgets dérisoires, on transforme nos ressources humaines en exportations invisibles. Et c’est toujours ailleurs qu’elles deviennent visibles, célébrées, valorisées.
Arthur Fils aurait-il pu représenter Haïti ? Oui. Mais aurait-il été soutenu ? Non. Les rares tentatives des fédérations haïtiennes d’attirer les binationaux se heurtent à une réalité froide et brutale : quel avenir sportif peut-on garantir à un jeune joueur haïtien, aujourd’hui ? Aucun. Pas de centre d’entraînement national digne de ce nom, pas de politique de détection des talents, pas de stratégie à long terme. Résultat : les jeunes partent sous d’autres cieux plus cléments. Et quand ils réussissent, on se contente de dire “il est d’origine haïtienne”, comme un lot de consolation.
Haïti doit comprendre que le sport, c’est un puissant soft-power
À quoi bon pleurer sur nos talents perdus si l’on ne fait rien pour les retenir ? Il est temps de poser des actes, pas des regrets. Oui, Haïti est en crise. Oui, l’insécurité, la pauvreté, la corruption rendent la gestion de l’urgence prioritaire. Mais faut-il pour autant sacrifier l’avenir ? La jeunesse n’est pas un luxe. C’est une nécessité nationale. Et le sport, au-delà des médailles et des victoires, est un vecteur puissant de reconstruction, d’espoir, de rayonnement. Regarder Arthur Fils se battre contre Alcaraz, c’est voir ce que peut produire la persévérance d’un jeune… quand il est accompagné. L’exemple de la Jamaïque toute proche doit nous inspirer, nous motiver. Voir les Usain Bolt et compagnie battre à plate couture les grandes nations du sprint comme les États-Unis nous prouve qu’avec la volonté, tout est possible.
Il est urgent que l’État haïtien, les fédérations sportives, la diaspora, les mécènes s’unissent pour bâtir une stratégie nationale de soutien à la jeunesse sportive. Détecter, former, encadrer, accompagner. Cela demande de l’argent, mais surtout une vision combinée à une détermination sans faille. Et si l’État faillit — comme il le fait trop souvent — alors que la société civile prenne le relais.
Arthur Fils nous comble de fierté. Mais en même temps, il est le reflet de notre incompétence collective. La prochaine fois qu’un prodige surgira, que fera-t-on ? L’applaudir de loin ou lui tendre enfin la main ? Espérons que nos dirigeants comprennent enfin que c’est la seconde option qui doit primer.
Dessalines Ferdinand
Le Floridien, 15 avril 2025