MIRAMAR, 29 OCTOBRE — L’arrestation la semaine écoulée du député de Delmas/Tabarre, Arnel Belizaire, à l’aéroport international Toussaint Louverture de Port-au-Prince, de retour d’un séjour officiel à Paris, ressemble un peu à cette fable de Jean de la Fontaine ” Le loup et l’agneau ” qui montre qu’auprès des gens décidés à faire le “mal” la plus juste défense reste sans effet, et qui conclut que ” La raison du plus fort est toujours la meilleure.”
A la seule différence, le député Belizaire est loin d’être un doux agneau qui se laisse “manger” sans aucune forme de procès par le “loup de la Présidence”. N’a-t-on pas dit que ce parlementaire lavalassien, ancien membre des FAD’H, a du cran, et qu’il n’avait pas hésité à confronter verbalement le nouveau président de la république dans son fief au palais national, après que ce dernier eût s’adresser à une cinquentaine de parlementaires présents pour une réunion en prélude à la ratification de la politique générale du Premier ministre ratifié, Dr. Gary Conille, en des termes obscènes et offensants, la soirée du mercredi 12 octobre 2011.
Suite à cette altercation, le président de la République, Michel Joseph Martelly, a dénoncé le fait que beaucoup de repris de justice se seraient refugiés au Parlement. Etonnement que cela puisse paraître, le commissaire du gouvernement a.i., Me Félix Léger, a écrit peu de jours après au président de la Chambre des députés Sorel Jacinthe pour lui demander de mettre ce membre de la 49e Législature à la disposition des autorités judiciaires.
A en croire la correspondance officielle du représentant de l’exécutif adressée à M. Jacinthe, Arnel Bélizaire serait évadé du Pénitentier national le 19 février 2005. Il a été écroué le 14 octobre 2004 au numéro PN04-10-10 pour les infractions de meurtre, de détention illégale d’arme à feu automatique et de vol de véhicule.
Selon des informations circulant dans les couloirs du palais de Justice, le dossier d’Arnel Bélizaire arrêté le 3 juillet 2005, -# d’écrou PN- 0507020 (après son évasion), a été confié au juge instructeur Napela Saintil.
Présenté par devant la juridiction de jugement le 23 juin 2006, il est jugé, condamné et libéré sous le bénéfice de la loi Lespinasse (18 mois de prison préventive, quantum de sa condamnation), explique son ancien avocat, Me Camille Leblanc, cité par le journal Le Nouvelliste. L’actuelle doyenne du tribunal de première instance de Port-au-Prince, la juge Jocelyne Cazimir, a affirmé avoir rendu une décision condamnant Arnel Bélizaire à 18 mois de prison.
Que dit la Constitution en matière d’immunité parlementaire
L’immunité parlementaire prévue à l’article 115 de la Constitution offre une double immunité de juridiction : l’irresponsabilité et l’inviolabilité. L’irresponsabilité (ou immunité de fond /ou fonctionnelle) protège un parlementaire de toutes poursuites pour des actions accomplies dans l’exercice de son mandat (non détachables de ses fonctions). Alors que l’inviolabilité (ou immunité de procédure) vise les activités extra-parlementaires (détachables de ses fonctions) : un parlementaire peut être poursuivi, mais toute mesure coercitive à son encontre nécessite la mainlevée de son immunité par ses pairs.
La loi mère de la république d’Haïti est claire sur cette question. L’immunité parlementaire n’est opposable que lorsque la liberté individuelle du parlementaire est mise en cause. Rodolphe Joazile, président du sénat dit croire qu’il serait mieux que le deputé Belizaire soit autorisé à rencontrer le commissaire du gouvernement, puisqu’il est reputé de bonnes vie et moeurs, pour avoir franchi allègrement toutes les étapes qui lui ont permis d’être candidat, tout en rappelant à ce propos que Dany Toussaint avait été autorisé à répondre aux questions du commissaire Claudy Gassant dans le cadre du dossier du meurtre du journaliste Jean Dominique, alors qu’il était sénateur.
Mais plusieurs autres parlementaires (sénateurs et députés) ont fait remarqué que c’est parce Dany Toussaint avait voulu le faire, puisque, constitutionnellement, sans la levée de son immunité, rien ne l’obligeait à se presenter devant le commissaire Gassant.
Menaces voilées du président – à bon entendeur, salut !
De retour de la conférence de Biarritz à Santo-Domingo (République Dominicaine) le samedi 15 octobre, le président Michel Joseph Martelly avait justifié la position qui a été la sienne lors de sa rencontre (mercredi avant) au Palais national avec des parlementaires quand, selon divers témoignages, il avait menacé et lancé des propos violents et obscènes à l’endroit du député Bélizaire en désaccord avec lui.
” Je suis prêt à afficher la même attitude dès que, au sein même du Palais national, quelqu’un s’avise de s’en prendre à la Présidence”, avait-il déclaré, ajoutant que ” quelqu’un qui se hasarde à commettre pareille incartade peut même ne pas pouvoir quitter l’enceinte du Palais national, même s’il jouit d’une certaine immunité “.
Le président précisait : «Les plus tonitruants sont des repris de justice et des évadés de prison qui se sont réfugiés au Parlement grâce au Conseil Electoral Provisoire de Gaillot Dorsinvil et à l’ancien Gouvernement ». M. Martelly affirmait qu’il dispose de leurs dossiers, sous-entendant presque qu’ils pourraient être incessamment poursuivis.
«Je vais être même cynique. Ceux qui s’opposent à moi et dont les dossiers sont déjà compliqués s’exposent au malheur !», avait-il averti.
Comme un parfum de revanche
Nombreux sont les observateurs qui font remarquer que la demande faite par le représentant de l’Exécutif auprès du président de la Chambre des députés intervient suite aux vifs échanges émaillés de propos grivois entre le chef de l’Etat et le député au palais national. Les deux hommes auraient même failli en venir aux mains, selon ce qu’ont rapporté plusieurs témoins.
«Cela a tout l’air d’un règlement de compte. Personne ne devrait accepter ce genre de comportement. Si on ne peut empêcher la justice de faire son travail, tout doit se faire suivant les prescrits de la Constitution», pense Sorel Jacinthe. Il rappelle au chef de l’Etat qu’il est le garant de la bonne marche des institutions du pays, tout en se montrant très préoccupé par le comportement du nouveau locataire du palais national.
Le député Joseph Wilbert Deshommes a lui aussi critiqué l’attitude du chef de l’Etat. L’élu de Grande Saline (Artibonite, nord) estime que le président Martelly n’est pas en odeur de sainteté dans l’arrestation de son collègue.
M. Deshommes affirme qu’il n’est pas du tout convaincu des accusations portées contre que le représentant de la commune Delmas/Tabarre. Il rappelle que Bélizaire a franchi toutes les étapes qui devaient le conduire au Parlement, précisant qu’il a un certificat de bonnes vie et moeurs, délivré par la DCPJ (Direction Centrale de la Police Judiciaire).
«Il faut respecter les normes constitutionnelles. Il y a une manière de faire les choses, chacun doit assumer ses responsabilités», a indiqué pour sa part le sénateur Dieuseul (Avenir / Centre). Le parlementaire a exprimé son inquiétude quant à l’instauration de ce qu’il appelle un plan dictatorial de la part du président Martelly.
Martelly serait-il impliqué?
Une personnalité membre du cercle le plus proche du président Martelly qui vit à Miami, nous a assuré sous le couvert de l’anonymat que le nouveau chef de l’Etat n’a jamais passé instruction pour que le député Bélizaire soit “arrêté”.
«Je connais assez bien mon ami Michel pour vous dire qu’il est certes un homme au tempérament de feu, qui parle fort pour montrer qu’il existe, toujours prêt à se quereller. Cependant, croyez-moi si vous voulez, une fois qu’il ait fini de discuter orageusement et même se battre avec quelqu’un, il est capable de s’asseoir avec cet “adversaire d’hier”», explique notre interlocuteur.
«Que l’on soit partisan ou non du président Martelly, si l’on veut être honnête avec soi-même, il faut avoir le courage de dire que l’arrestation du député est illégale à raison d’un vice de forme. Ce sont des personnalités proches du président qui veulent se montrer plus royalistes que le roi qui en sont responsables de cet embarassement», a-t-il poursuivi.
Par exemple quand un proche (quelqu’un qui n’a même pas de fonction officielle) du président de la république intervient sur les ondes d’une station de radio pou avertir à un député en mission parlementaire qu’il ferait mieux de rester là où il est (en France) sous la menace d’être arrêté à son retour au pays, cela ne fait que contribuer à envenimer la situation. Ils veulent pour la plupart montrer au président qu’ils sont prêts à tout pour faire “respecter ” sa présidence. Cependant, leurs actions risquent en fait de faire plus de mal que de bien à l’image du nouveau chef de l’Etat.
L’arrestation n’était pas nécessaire
L’affaire Bélizaire est un sérieux échec pour Martelly. En ordonnant à la police de procéder immédiatement à l’arrestation du député, le commissaire du gouvernement a même ignoré donc sa propre demande adressée à la chambre basse.
Cette situation dénoncée par la Communauté internationale ( ONU, France), a un peu embarassé le pouvoir exécutif qui, débordé par les conséquences de son acte maladroit s’empresse de sortir le député du Pénitencier (moins de 24 heures après son arrivée) et de le conduire presto au Parlement. Bélizaire était accompagné de trois agents de la police judiciaire. Selon la rumeur, c’est déjà à nouveau un homme libre et le gouvernement fortement secoué par cette “arrestation” chercherait seulement un moyen pour se débarrasser de ce que les parlementaires appellent un colis emcombrant.
«Mon dossier est clos et je n’ai pas peur du Président»
Bien avant son arrestation, le député de Delmas/Tabarre avait déclaré depuis Paris, où il se trouvait: ” Je ne suis pas un repris de justice, parce que je n’ai pas été condamné devant un tribunal criminel” en référence à un jugement prononcé en sa faveur par le tribunal de première instance. ” Mon dossier est clos et je n’ai pas peur du Président.”
En dépit du fait que le député Bélizaire ait recouvré sa liberté, qu’il n’ait pas été placé dans une cellule, mais plutôt gardé au greffe du pénitencier national, en raison de l’absence de provisions légales pour le mettre en prison, la grande majorité des députés et sénateurs sont de l’avis de leur collègue Kély C. Bastien qui considère comme préméditée l’arrestation du parlementaire. “Elle est faite contre la Chambre des députés et non contre la personne d’Arnel Bélizaire. On avait le souci d’humilier l’institution parlementaire “, a insisté l’élu du Cap-Haïtien.
Cette arrestation est de nature à compliquer les relations entre les deux pouvoirs quand on sait que le gouvernement devrait prochainement introduire devant le Parlement le nouveau mandat de la Commission Intérimaire pour la Reconstruction d’Haïti (CIRH), qu’il va déposer le budget rectificatif, et qu’il vient à peine de trouver un terrain d’entente avec le corps législatif. Ce n’est nullement le moment pour l’Exécutif d’entrer dans un quelconque conflit avec les députés.
Des parlementaires sur le pied de guerre
Les parlementaires blessés dans leur dignité semblent déterminer à laver ce qu’ils considèrent comme un affront à leur institution. En effet, soixante-onze députés de diverses tendances politiques déclarent péremptoirement ne pas reconnaître l’autorité de deux ministres: Thierry Mayard-Paul et Josué Pierre-Louis, du secrétaire d’Etat Pierre-Michel Brunache et du chef a.i du parquet de Port-au-Prince, Félix Léger qui, selon eux, sont ” impliqués dans la séquestration de leur collègue Arnel Bélizaire “. M. Brunache n’est pas encore installé dans ses nouvelles fonctions. Il n’ n’était à aucun moment présent à l’aéroport ce jeudi après-midi.
Le ministre Pierre-Louis et le secrétaire d’État Brunache pourront être renvoyés par le Sénat, seulement deux semaines après leur installation, s’ils n’arrivent pas à prouver leur innocence dans ce scandaleux et gênant cafouillage à sensation qui fait les choux gras des médias locaux et qui amuse les citoyens, mais qui agace aussi les gens éclairés face aux stupidités des uns et des autres.
Le Floridien 29 Octobre 2011