MIAMI — Cela fait pratiquement 40 jours que les premiers cas du Covid-19 (Coronavirus) ont été détectés sur le territoire haïtien. Si la situation sanitaire reste vraisemblablement sous contrôle, la précarité quant à elle continue de gagner du terrain. La majorité de la population n’arrive plus à joindre les deux bouts. Beaucoup vivent au jour le jour sans aucune perspective sur le court terme. Les experts craignent que cette pandémie ne soit le déclencheur d’une énième explosion sociale. Le président Jovenel Moïse, fidèle à son habitude, essaye de rassurer une fois de plus ses concitoyens. Mais sans vraiment convaincre !
Une situation sanitaire qui semble en apparence sous contrôle
Lorsque le 19 mars dernier, les autorités ont annoncé que les 2 premiers cas positifs de Covid-19 venaient d’être identifiés, tous les Haïtiens ont retenu leur souffle, craignant le pire. Encore échaudés par l’épisode du choléra qui les a profondément traumatisés, les Haïtiens redoutaient que cette nouvelle pandémie ne vienne les terrasser à nouveau. Pourtant, après 5 semaines, la situation semble être toujours sous-contrôle. Au 28 avril, on comptait ainsi “seulement” 76 cas confirmés pour 6 décès et 8 guérisons. À noter que toutes les personnes décédées avaient des comorbidités préexistantes comme le diabète, l’hypertension ou les maladies cardiaques. Des pathologies connues pour être des facteurs aggravants.
Le taux de létalité lui fluctue entre 7% et 8%. S’il reste légèrement au-dessus de la moyenne mondiale, ce chiffre est à prendre avec des pincettes pour plusieurs raisons. Il est en effet difficile, même pour les pays les plus développés, d’établir des statistiques précises et fiables faute de disponibilité de tests à grande échelle. Il est communément admis que le nombre de cas réels de contaminations est largement supérieur au nombre de cas confirmés, ce qui laisse à penser que le taux de mortalité est très inférieur aux données officielles.
Si la vitesse de propagation du virus en Haïti semble être relativement lente comparativement à d’autres pays, cela pourrait s’expliquer par plusieurs facteurs. Tout d’abord, la population haïtienne est très jeune avec une moyenne d’âge de seulement 24 ans. La tranche d’âge la plus susceptible de développer des formes graves de la maladie, celle des plus de 65 ans, ne représente que 4% de la population totale. En plus d’une pyramide des âges favorable, la répartition géographique de la population joue également un rôle déterminant dans la propagation du virus. 45% des Haïtiens vivent à la campagne. Or là encore, on sait que le virus s’y répand moins vite à cause d’une densité plus faible que dans les villes. À l’opposé, la situation dans les quartiers pauvres et denses des grandes agglomérations comme Port-au-Prince, Cap-Haïtien ou les Gonaïves inquiète beaucoup les experts. Ce sont-là des foyers potentiels où on s’attend à voir le plus de victimes.
Il existe enfin une dernière variable qui pourrait entrer en jeu, celle relative au climat. Même si la communauté scientifique peine à fournir une explication claire et précise sur la question, plusieurs études laissent entrevoir un possible effet de la chaleur et de l’humidité sur l’affaiblissement du virus. À l’instar de la grippe, certains chercheurs pronostiquent sur la saisonnalité du Coronavirus qui deviendrait moins virulent pendant l’été. Haïti jouit d’un climat tropical qui pourrait lui être favorable, avec une température moyenne oscillant entre 24 et 33 degrés en ce moment. Cela dit, ces hypothèses doivent être interprétées avec la plus grande prudence puisque plusieurs zones d’ombre persistent.
Comment le gouvernement compte-t-il gérer la crise du Covid-19 ?
Pour pallier le délabrement manifeste de nos installations sanitaires, le gouvernement de Jovenel Moïse a décidé de colmater les brèches avec les moyens du bord. Fidèles à leurs habitudes, nos dirigeants préfèrent réagir plutôt que d’agir. Ils semblent découvrir tout d’un coup l’état de décrépitude avancé de nos hôpitaux et leur manque de moyens. Face à l’urgence, une commande de matériel doit arriver par avion au cours de la première moitié du mois de mai selon les dires du Chef de l’État. En plus des équipements de protection destinés au personnel soignant comme les gants, les blouses ou encore les charlottes, cette première livraison comprend également des respirateurs indispensables pour prendre en charge les cas les plus sévères. Le pays ne dispose actuellement que de 64 respirateurs pour 124 places en réanimation, un chiffre dérisoire quand on sait que les projections estiment un afflux potentiel de milliers de malades aux urgences lorsque l’épidémie atteindra son pic. L’unité des soins intensifs reste un maillon essentiel dans la gestion de cette crise sanitaire inédite.
Le gouvernement a effectué cette commande auprès de la Chine pour 20 millions de $, même si un peu moins de la moitié de cette somme sera allouée au transport. Il a en effet été décidé d’acheminer le matériel par les airs vu l’urgence de la situation. Un transport maritime aurait certes été beaucoup moins coûteux, mais cela aurait pris plus de temps, mettant la vie de centaines de malades en danger. Parallèlement à cela, Haïti a bénéficié de plusieurs aides étrangères pour faire face au Covid-19. Le FMI a ainsi débloqué 111 millions de $, alors que l’USAID a décidé d’accorder une aide de 90 millions de $, dont 16 millions destinés exclusivement à la lutte contre le Covid-19. Le conseil d’administration de la Banque mondiale a annoncé de son côté un don d’urgence de 20 millions de $.
Tous ces soutiens financiers sont bienvenus, à un moment où les perspectives économiques à court terme sont particulièrement sombres. Les différentes projections estiment qu’Haïti connaîtra une récession de -4%, combinée à un repli du PIB de -6% et à une hausse de l’inflation de +23%. Les transferts de la diaspora pourraient également se rétracter de -25%, puisque les Haïtiens vivant à l’étranger, notamment en Floride, passent eux aussi par des moments difficiles. Cela aura indéniablement un impact négatif sur les finances de l’État haïtien, sachant que le transfert des migrants représente à lui seul 1/3 du PIB du pays. Tout cela n’augure rien de bon pour la suite. Déjà que la situation économique d’Haïti avant l’arrivée du Covid-19 n’était pas reluisante, on n’ose même pas imaginer les conséquences post Covid-19.
Le gouvernement doit in fine jongler entre les impératifs sanitaires et leurs répercussions économiques. La ligne entre ces deux contraintes est ténue et les autorités ne disposent pas de beaucoup de marge de manœuvre. Pour apporter une bouffée d’oxygène à l’économie, le Premier ministre a donné son feu vert pour la réouverture des usines de textile, une filière qui représente 90% des exportations du pays. Rappelons qu’Haïti bénéficie du partenariat HOPE et de la loi HELP qui lui permet d’exporter des produits textiles vers les États-Unis sans droits de douane. Mais la décision de rouvrir les usines n’est pas sans risques. Des institutions internationales comme l’organisation panaméricaine de la santé ont averti qu’une pause précoce dans la lutte contre le Covid-19 pourrait conduire à une montée en flèche des nombres de cas. Les estimations les plus pessimistes tablent même sur 20 000 morts si les mesures drastiques initialement préconisées par le gouvernement ne sont pas/ou peu appliquées. C’est le scénario qu’ont connu plusieurs nations qui, après un certain relâchement, ont vu leur situation sanitaire s’emballer du jour au lendemain.
Le Président de la République s’est exprimé le 27 avril pour essayer d’apaiser les craintes de la population. Il a en outre annoncé toute une série d’aides destinées aux personnes affectées par le confinement, notamment les enseignants et les ouvriers. Mais il n’a fourni aucun calendrier précis, laissant perplexes les haïtiens qui ont l’impression d’assister à un déjà-vu. Le gouvernement envisage de son côté le versement d’une aide de 3000 gourdes (28 dollars US) aux 1,5 million de ménages qui vivent dans une grande précarité. Un montant dérisoire qui soulagera les familles les plus démunies tout en plus pendant quelques jours. Il est également envisagé de faciliter l’accès aux crédits et d’assouplir les échéances de remboursement pour certaines catégories de la population, notamment les entrepreneurs.
Les Haïtiens n’attendent pas grand-chose de leurs dirigeants
Le Covid-19 tombe au plus mal pour les Haïtiens qui sont coincés entre l’absence de l’État d’un côté et la prolifération des gangs de l’autre. On est à peine au début de l’épidémie que déjà, la population commence à sentir les premiers effets de l’inflation. Les prix dans les marchés montent en flèche, notamment ceux des produits de première nécessité (+35% pour le riz, +30% pour le sucre et l’huile). L’État ne dispose pas de moyens pour contrôler et sévir contre tous ceux qui pratiquent une hausse illégale des prix. La malnutrition guette les plus vulnérables comme les personnes âgées, les enfants et les femmes enceintes. La moitié des Haïtiens sont sous la menace d’une crise alimentaire majeure.
À cause des restrictions de déplacements, les paysans ont de plus en plus de mal à écouler leurs produits sur les marchés et voient eux aussi leurs revenus fondre comme beurre au soleil. La production locale est par ailleurs loin d’être suffisante pour couvrir les besoins de la population. De nos jours, notre pays compte sur l’importation des denrées alimentaires pour se nourrir. La faute à un effondrement de la production agricole pour des raisons que nous connaissons tous. Alors qu’à une certaine époque, Haïti produisait 80% de ses besoins en riz, aujourd’hui, ce chiffre est tombé à 20%. Jovenel avait pourtant fait de l’agriculture et de l’autosuffisance alimentaire un de ses thèmes de campagne. Là encore, on constate tout un décalage entre les paroles et les actes. Espérons que cette épidémie sera le déclic qui relancera la production agricole nationale.
Il est aussi à noter que beaucoup d’Haïtiens bravent les consignes des autorités et sortent malgré tout pour vaquer à leurs occupations. Pour une majorité d’habitants, il est difficile d’appliquer les gestes barrières, surtout dans les quartiers pauvres où il y’a une grande promiscuité, où les gens ne disposent pas de masques et où le manque d’eau courante empêche de se laver régulièrement les mains. Dans un pays où l’économie informelle et le commerce de proximité tiennent une place prépondérante, le confinement est tout bonnement inenvisageable. À ce titre, des manifestations ont eu lieu à Pétion-ville pour demander la levée des restrictions qui pénalisent les affaires. Les commerçants n’y sont pas allés par quatre chemins et ont scandé des slogans qui résument bien leurs ressentiments : “mourir de faim ou de coronavirus, on a fait notre choix”. L’État est donc obligé de lâcher du leste pour ne pas asphyxier davantage la population. Les images des pillages et de désobéissance civile sont encore vivaces dans nos mémoires.
Sur le plan de l’éducation, autant dire qu’on se dirige vers une année blanche. L’accent a certes été mis sur un enseignement à distance, mais cela ne bénéficie qu’à une petite frange des élèves, puisque la plupart ne disposent pas de connexions internet qui restent hors de prix, et encore moins de terminaux comme les ordinateurs ou les tablettes. Le ministère de l’Éducation nationale s’est contenté de proposer une plate-forme digitale sans se préoccuper de la façon dont les élèves pourront s’y connecter. Cet exemple parmi d’autres montre à quel point les Haïtiens sont livrés à eux-mêmes. Ils ne doivent leur survie qu’à leur extraordinaire résilience qui force le respect et l’admiration. Cette résilience est peut-être le meilleur remède dont ils disposent pour surmonter cette nouvelle épreuve qu’est le Covid-19.
DF/Le Floridien
28 avril 2020