Haïti : les gangs veulent-ils prendre le pouvoir ?

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Dire que l’État haïtien est absent n’est pas un euphémisme, mais bien une réalité ! Cela fait des mois que notre pays navigue à l’aveugle, sans capitaine pour diriger le bateau. Haïti est tombé dans une profonde léthargie causée par des institutions défaillantes. Tous les secteurs d’activités se morfondent et peinent à relever la tête. Depuis quelque temps, même le champ politique est à l’arrêt. Nous n’entendons plus aucun débat sur la scène publique, et encore moins les soubresauts de cette opposition qui nous avait pourtant habitués à faire du tapage pour tout et rien. Avec l’arrivée de la Covid-19, même la société civile s’est terrée dans un mutisme inhabituel. Comme si cette pandémie a fini par éteindre les quelques voix dissidentes qui continuaient à demander du changement.

Nous avons urgemment besoin de réformes profondes pour sortir notre pays de cette paralysie générale. La population ne sait pas qui pourrait mener à bien cette lourde tâche. Beaucoup y voient même une mission impossible tant les obstacles à franchir sont nombreux. Pourtant la semaine dernière, et contre toute attente, un groupe a émergé de nulle part pour se positionner comme une nouvelle alternative. Ce groupe, ce sont les gangs ! À l’initiative de Jimmy “Barbecue” Cherizier, ex-agent de la police actuellement recherché par la justice, les gangs ont décidé d’instaurer une trêve et d’unir leurs forces pour créer une nouvelle coalition portant le doux nom de “G9 an Fanmi” (G9 en famille).

Cette alliance ‘criminelle’ propose même un programme. Elle entend d’abord pacifier les quartiers défavorisés où elle est implantée pour ramener calme et sérénité auprès de la population. De l’aveu de Barbecue, G9 an Fanmi compte mener “une révolution pour le changement des conditions de vie des familles dans les bidonvilles”. Voilà qui est dit ! Le timing choisi pour créer cette nouvelle structure est tout sauf un hasard. Les gangs haïtiens ont un instinct de prédateurs et savent quand et comment réagir pour s’agrandir et se renforcer. S’ils ont osé sauter le pas en ce moment précis pour essayer de se refaire une virginité sur le terrain socio-politique, c’est sans doute parce qu’ils ont senti qu’il y avait peut-être là un coup à jouer. Ils ont estimé que le marasme dans lequel se trouve actuellement le pays leur offrait une fenêtre d’opportunité à ne pas manquer.

Bien entendu, la population ne voit pas tout cela d’un bon œil. Que les criminels d’hier deviennent les bienfaiteurs de demain, il n’y a que des gens crédules pour y croire. Comme dit le dicton, le loup peut changer de peau, mais il ne peut pas changer de nature. Les chefs de gang comme Ti Lapli ou Krisla ont trop de sang sur les mains pour se prévaloir d’être des substituts fréquentables. Ils ont tué de nombreuses vies innocentes et détruit pour toujours la vie de centaines de familles. Si la création du G9 a amusé certains, elle n’a pas du tout fait rire les proches des victimes qui n’y voient là qu’un stratagème de la part des gangs pour mieux se réorganiser. Du côté des pouvoirs publics, la sortie du ministre de la Justice Lucmane Délile pour commenter la formation du G9 n’a pas convaincu grand monde. Lucmane a en effet affirmé que la création du G9 signifie que la terreur a changé de camp. Selon lui, la pression exercée sur les gangs commence à porter ses fruits et témoigne de la peur grandissante chez les bandits. On ne sait pas d’où Mr Lucmane tire ses conclusions ni sur quelles données il se base, puisque les gangs n’ont jamais été aussi puissants qu’en ce moment. Mr Lucmane devrait savoir qu’il y a des zones de non-droit dans le pays où la police ne peut plus s’aventurer sous peine de se faire trucider. Si Mr Lucmane a des doutes, qu’il aille faire un tour au niveau du Bicentenaire ou de Cité Soleil pour vérifier en personne.

La réaction pour le moins désintéressée du gouvernement nous mène vers une deuxième hypothèse : le G9 a été créé sous la bénédiction des autorités. Plusieurs indices laissaient déjà à penser qu’il pourrait y avoir des connivences entre des agents de la Police nationale (PNH) et les gangs armés. Cela nous rappelle l’association maléfique qui a existé entre la junte militaire au pouvoir et le FRAPH entre 1991 et 1993. Coïncidence ou pas, l’un des principaux acteurs de cette funeste période, Emmanuel ‘Toto’ Constant, vient juste de rentrer au pays. Toujours est-il, l’État semble profiter du calme relatif qui règne actuellement et du tassement des manifestations anti-Jovenel pour se restructurer. Selon plusieurs observateurs, l’État est déjà en train de préparer le terrain pour l’après-Covid. Si jamais une collusion entre le pouvoir en place et les gangs se révélait être vraie, cela voudrait dire que Jovenel disposera d’une arme de répression supplémentaire pour mater toute contestation future et implémenter la peur dans le cœur de nos concitoyens.

Dessalines Ferdinand

 

 

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