Le compte à rebours électoral a commencé en Floride puisque les habitants du Sunshine State peuvent déjà voter. Pour l’instant, c’est surtout le candidat démocrate, Joe Biden qui se montre actif sur le terrain, puisqu’il est venu courtiser en personne l’électorat haïtien. Trump lui reste flou dans ses intentions, d’autant plus que sa récente infection au Covid-19 a bouleversé son calendrier de campagne. Cela dit, beaucoup estiment que l’équipe Trump ne se fait pas beaucoup d’illusion quant à l’issue du vote au sein de la communauté haïtienne de Floride. Car rappelons-le, en 2016, lorsque l’actuel Président était venu à Little Haïti pour courtiser les votes des haïtiano-Américains, il avait promis de devenir leur meilleur champion. Mais 4 ans après, beaucoup ont déchanté et en veulent aujourd’hui à Trump. Certains Haïtiens trouvent même que Trump a trahi leur confiance, puisqu’au lieu de venir en aide aux Haïtiens qui bénéficient du programme TPS, il a au contraire voulu les expulser vers leur pays d’origine, bien que la situation là-bas soit particulièrement précaire. Autant de raisons qui font dire aux observateurs que la question n’est pas de savoir si les haïtiens vont voter pour Trump ou Biden, mais plutôt qu’elle sera leur taux de participation, car c’est ce qui semble être le facteur le plus déterminant.
Notons que le poids électoral des Haïtiens en Floride est très important, d’autant plus que celui qui remporte cet État gagne en même temps 29 grands électeurs sur un total de 538 à l’échelle nationale. Au classement des grands électeurs, la Floride arrive ex aequo avec New York, est n’est devancée que par le Texas (38) et la Californie (55). Selon plusieurs sources, on estime à environ 300.000 le nombre de personnes originaires d’Haïti qui sont inscrites sur les listes électorales. Or, en 2016, Trump a remporté la Floride avec 113000 voix de différence (soit un peu moins de 2%). En faisant un simple calcul arithmétique, on comprend pourquoi le vote des Haïtiens de Floride est si convoité par les deux camps. Il faut aussi dire que la Floride fait partie des régions les plus compliquées et les plus chères pour y mener une campagne électorale. La multiethnicité de sa population exige une campagne plus ciblée, et donc forcément plus coûteuse. Ici, il faut parler aux électeurs en Anglais, mais aussi en Espagnol et en Créole pour s’assurer que le message soit entendu par le plus grand nombre.
Le vote des minorités en Floride n’est pas acquis à un parti en particulier. D’où cet écart toujours serré d’une élection à une autre. Prenons le cas des Hispaniques par exemple. Derrière cet ensemble ethnique qui peut paraître monolithique se cachent plusieurs courants politiques. Ainsi, les Cubains et les Vénézuéliens sont connus pour être plus proches des républicains, ce qui n’est pas forcément le cas des Mexicains ou des Honduriens qui penchent plus vers les démocrates. Idem pour le vote de la communauté noire de Floride qui varie selon les origines. Si le vote des Afro-Américains va plus souvent vers les démocrates, ce n’est pas forcément le cas des Haïtiens. On estime ainsi que 4% des Haïtiens se considèrent comme républicains, 20% comme démocrates, alors que le reste est sans réelle appartenance. Et c’est justement cet électorat flottant que convoitent les 2 candidats. Rappelons qu’en 2016, 20% des Haïtiens avaient voté pour Trump. Beaucoup d’entre eux l’ont fait pour sanctionner les Clinton pour leur soutien jugé insuffisant après le tremblement de terre de 2010, que ça soit contre Hillary en tant que secrétaire d’État à l’époque, ou contre la Fondation Clinton qui a semble-t-il laissé une mauvaise image sur l’île.
D’ailleurs, cette indépendance politique de la communauté haïtienne cause parfois des frictions avec les Afro-Américains de souche. Cela a notamment été le cas en 2001, lorsque Josaphat Célestin a été le premier haïtien-américain à être élu à la tête d’une grande ville américaine, en l’occurrence North Miami, et sous la bannière républicaine de surcroit. On peut dire que les Haïtiens de Floride ont atteint une certaine maturité politique dans la mesure où ils savent comment rendre leurs voix utiles. Ils ont compris qu’il n’était pas question de voter pour le premier venu, et que chaque candidat doit mériter leur confiance.
Plus généralement, on retiendra que depuis 1948, la Floride a plus souvent voté pour des candidats républicains (12 fois) que démocrates (6 fois). La Floride reste un des rares États, avec l’Ohio, dont le résultat final détermine le nom du futur vainqueur de la course vers la Maison-Blanche. Depuis la Seconde Guerre mondiale, les Floridiens ne se sont “trompés” que deux fois. C’était en 1960 lorsqu’ils ont préféré Richard Nixon à John F. Kennedy, et en 1992 lorsqu’ils ont choisi George Bush père à la place de Bill Clinton. Comme l’a si bien dit Biden dans un de ses discours en Floride, «We win Florida and it’s all over» – “Si on gagne la Floride, c’est fini”. Espérons juste que l’élection se déroulera sans accrocs et qu’il n’y aura pas de problèmes de recomptage comme on l’a vu par le passé, notamment en 2000 lorsqu’Al Gore et Bush Junior ont été départagés par 537 voix à peine après des mois d’atermoiements. Soulignons aussi que Trump a laissé entendre qu’en cas d’éventuelle défaite, il ne va pas abdiquer avant d’être sûr que chaque vote est authentique et qu’il n’y a pas eu de fraude. Autant dire qu’au-delà du résultat final, c’est l’attitude du candidat sortant en cas de déroute qui reste incertaine. Quant aux Haïtiens de Floride, ils détiennent entre leurs mains leur avenir, celui de leurs enfants, mais aussi d’une certaine manière celui de leur pays d’origine, Haïti. C’est pourquoi il est plus que jamais important d’aller voter !
Stéphane Boudin