Bilan d’une année de turbulences et de défis

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Alors qu’on espérait une amélioration de la situation en Haïti en 2023, c’est tout le contraire qui s’est produit. Les violences se sont accentuées dans nos rues, alors que la crise économique combinée à l’instabilité politique plonge notre pays dans un chaos quasi généralisé. Retour sur une année noire que les Haïtiens veulent oublier au plus vite, en espérant que 2024 sera propice à des changements concrets qui puissent sortir notre pays de ce cauchemar sans fin.

 

Politique : cela reste l’un des gros points noirs dans notre pays. Pour beaucoup, c’est même la cause principale de tous nos problèmes. L’instabilité politique persistante due à l’incompétence et à la cupidité de nos politiciens a fini par détruire notre nation de l’intérieur. L’État haïtien s’est complètement effondré, laissant la population s’autogérer comme elle peut.

 

Ariel Henry, initialement nommé à titre provisoire, est resté en poste, devenant de facto un leader permanent en raison de l’absence d’un processus électoral viable pour instaurer un nouveau gouvernement.

 

Ce statuquo semble faire également les affaires de la communauté internationale qui rechigne à s’impliquer davantage pour aider les Haïtiens à choisir un gouvernement légitime qui les représente véritablement. Ce vide laissé par l’État a surtout favorisé l’émergence d’organisations mafieuses qui pullulent dans notre pays et contrôlent des territoires de plus en plus larges, se substituant parfois au pouvoir central.

 

Insécurité : Jimmy Chérizier, alias “Barbecue”, Johnson André, alias “Izo 5 secondes” , Renel Destina, alias “Ti Lapli”, Wilson Joseph, alias “Lanmò san jou”… ce ne sont pas là des noms d’artistes, et encore moins de joueurs de football de notre équipe nationale. Pourtant, ils sont connus en Haïti. Et pour cause. Ils propagent la terreur et la désolation au sein de la population. Ces criminels ont découpé notre pays comme une tarte, chacun dégustant sa partie.

 

Barbecue à la tête du G9 de Port-au-Prince, rêve en secret de devenir un jour Président de la République. Avec tous les voyous qui se sont succédé à la tête de notre pays, il doit se dire qu’il a le CV idéal pour faire lui aussi un ‘bon Président’.

 

Izo 5 secondes à Village de Dieu, est lui plutôt réputé pour sa brutalité sans pareil, se spécialisant dans les exécutions sommaires et la surenchère dans la barbarie.

 

Ti Lapli, recherché par la PNH et par le FBI en tant que chef de gang de Gran Ravin, il contrôle une bonne partie des territoires de la 3ème circonscription de Port-au-Prince, notamment le quartier de Carrefour-Feuilles. Il est tristement célèbre pour sa prison-passoire où les criminels entrent et sortent comme à la maison.

 

Lanmò san jou, chef de gang de la Croix-des-Bouquets à l’ouest de Port-au-Prince, est lui devenu expert dans l’attaque… des forces de l’ordre. Alors que la plupart des criminels évitent la police, lui, au contraire, trouve un plaisir à aller les taquiner.

 

Bien entendu, les premières victimes de ces gangs sont les citoyens haïtiens ordinaires qui subissent en silence et au quotidien les exactions, les kidnappings, les rackets, et les meurtres gratuits. Tout cela dans l’indifférence de l’État, mais aussi de la communauté internationale qui parle beaucoup, condamne, gesticule, mais qui au final ne fait pas grand-chose.

 

Économie : Haïti est un des rares pays dont l’économie se contracte d’année en année. En effet, depuis 2019, la croissance de notre PIB est dans le négatif : -1,75% en 2019, -3,3% en 2020, -1,8% en 2021, -1,7% en 2022, et d’après les estimations de la Banque Mondiale, -2,5% pour 2023.

 

C’est tout sauf une surprise, lorsque l’on voit dans quel état se trouve notre pays. Quel investisseur viendrait mettre son argent dans un pays où vous risquez votre vie dès que vous mettez les pieds dehors, et où les politiciens sont parmi les plus corrompus au monde? Aujourd’hui, presque l’ensemble de l’économie haïtienne est dans l’informel.

 

Les grands hommes d’affaires qui jadis soufflaient le chaud et le froid sur notre économie ont préféré mettre à l’abri leurs capitaux avant que tout s’écroule. Haïti a besoin d’un véritable électrochoc pour retrouver la croissance. Il faudra commencer par réinstaurer la confiance pour que les investisseurs reviennent et créent des emplois dont nos concitoyens ont tant besoin. Mais pour que cette confiance revienne, il faudra faire la chasse à la corruption à tous les niveaux de l’État. Et c’est tout un chantier!

 

Santé publique : La pauvreté et la malnutrition affectent la santé de la population haïtienne de manière significative. Selon l’UNICEF, 2,2 millions d’enfants haïtiens de moins de 5 ans souffrent de malnutrition chronique. Cette malnutrition entraîne un retard de croissance et de développement, ainsi qu’une augmentation du risque de maladies infectieuses. Or, nos enfants sont notre principal capital pour le futur. Sans eux, nous condamnons l’avenir de notre pays.

 

Malheureusement, la violence des gangs limite l’accès aux soins de santé. Les groupes criminels empêchent souvent les habitants de ces zones d’accéder aux hôpitaux et aux cliniques. Sans oublier la corruption et l’impunité qui entravent la bonne gouvernance du système de santé. Les ressources destinées à la santé sont la plupart du temps détournées ou mal gérées, entrainant de facto une diminution des services de santé disponibles et une augmentation des coûts pour les patients.

 

Si les riches vont se faire soigner à l’étranger au moindre rhume, le commun des mortels lui se tourne vers les moyens de fortune, comme les prêtres vaudou. Si certains de ces guérisseurs traditionnels ont de réelles compétences qui n’ont rien à envier à la médecine moderne, la grande majorité est constituée de simples charlatans qui profitent de la vulnérabilité de la population pour leur soutirer quelques gourdes.

 

Éducation : le secteur de l’éducation en Haïti, à l’instar de celui de la santé, se trouve dans une situation particulièrement chaotique. Dans le secteur public, les écoles sont confrontées à de multiples défis, allant de la pénurie de ressources à des infrastructures insuffisantes et souvent délabrées. Cette réalité est exacerbée par des interruptions fréquentes dues à l’instabilité politique et aux troubles sécuritaires.

 

Le manque d’accès à une éducation de qualité est un problème persistant, aggravé par des grèves d’enseignants peu ou pas du tout payés. Cela sans parler de la gestion inefficace du programme scolaire qui reste en retard et inadapté à l’évolution du monde d’aujourd’hui. Tous ces facteurs contribuent à un taux d’abandon scolaire alarmant et à un faible niveau d’éducation parmi les jeunes.

 

Dans le secteur privé, malgré une meilleure qualité d’enseignement par rapport au public, les écoles restent inaccessibles pour la majorité en raison de leur coût élevé. Cette situation crée un fossé éducatif profond entre les familles aisées et celles à faible revenu, renforçant les inégalités socio-économiques.

 

Malheureusement, dans un contexte où la jeunesse haïtienne peine à trouver des modèles positifs, nombreux sont les jeunes qui, faute de perspectives, se tournent vers des figures de gangs qui deviennent des modèles à suivre, alors que les métiers d’ingénieur, de médecin, d’avocat ou de journaliste ne font plus rêver. Ce phénomène souligne un désespoir croissant parmi les jeunes, qui perdent leurs repères dans une société où les parcours éducatifs et professionnels valorisants semblent de plus en plus inaccessibles.
Sport : Heureusement, il n’y a pas eu que du négatif durant cette année 2023. La joie est venue, une fois de plus, de notre sport roi : le football.

 

En particulier, l’équipe nationale féminine de football, les Grenadières, a connu une année historique. En février, les Grenadières ont remporté les barrages contre le Sénégal et le Chili pour se qualifier pour la Coupe du monde féminine de la FIFA 2023, qui s’est tenue en Australie et en Nouvelle-Zélande. C’était la première fois qu’une équipe féminine haïtienne se qualifiait pour une Coupe du monde.

 

Lors de la Coupe du monde, les Grenadières ont fait sensation avec un jeu léché et un esprit de vraies combattantes. Avec un peu plus d’expérience dans les grandes compétitions, nos joueuses auraient pu aller très loin tant leur niveau n’avait rien à envier à celui des meilleures équipes. Chapeau bas à cette génération talentueuse qui n’a pas dit son dernier mot, et qui à coup sûr, va marquer l’histoire du football haïtien et devenir un modèle à suivre pour notre jeunesse en quête de repères.

 

Diaspora : Dans le panorama de la diaspora haïtienne en 2023, deux figures publiques se sont démarquées, chacune incarnant une trajectoire différente : Johanah Napoleon et Claudine Gay.

 

Johanah Napoleon, prometteuse dans son domaine, a malheureusement choisi un chemin périlleux et moralement douteux. Impliquée dans un réseau de délivrance frauduleuse de diplômes d’infirmières, elle a finalement été rattrapée par la justice. Sa chute a été brutale : une condamnation à presque deux ans de prison et une amende de 3,5 millions de dollars. Cette affaire souligne les conséquences désastreuses du choix de la facilité et de l’illégalité.

 

À l’opposé, Claudine Gay est devenue une source d’inspiration et de fierté pour la communauté haïtienne, suite à sa nomination historique en tant que première femme noire à la tête de l’Université Harvard. Cependant, son ascension n’a pas été sans obstacles. Peu de temps après son entrée en fonction, elle a été confrontée à des défis majeurs, exacerbés par le contexte du conflit israélo-palestinien. Des accusations infondées de plagiat ont été levées contre elle, révélant les préjugés et les difficultés que les minorités doivent souvent surmonter pour se hisser aux plus hauts échelons du succès et du leadership. Malheureusement, au moment où nous publions ces lignes, nous avons appris que Claudine Gay a décidé de démissionner, malgré des soutiens de poids comme celui d’Obama et de près de 700 professeurs. Dans sa lettre de démission, Claudine Gay évoque notamment des menaces et des comportements racistes à son égard, prouvant une fois de plus toutes les diffultés que rencontrent les minorités face à l’establishment. Cette démission n’enlève rien au mérite et au talent de Claudine Gay qui aurait probablement été une excellente Présidente d’Harvard si on lui en avait laissé l’occasion.

 

Toujours est-il, ces deux parcours parallèles, celui de Gay et de Napoleon, mettent en lumière les réalités contrastées au sein de notre diaspora : d’un côté, les conséquences dévastatrices des choix malhonnêtes, et de l’autre, la lutte continue pour la reconnaissance et l’équité, même au sommet des institutions les plus prestigieuses.

 

Dessalines Ferdinand & Stéphane Boudin
Le Floridien, 2 janvier 2024

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