La jeunesse haïtienne, une génération sacrifiée

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La rentrée scolaire 2019/2020 semble pour le moins compromise cette année. Les différentes crises que vit le pays n’épargnent aucun secteur d’activité, et l’éducation ne fait pas exception. Malgré le discours du ministre Josué Agénor Cadet qui se voulait optimiste, la réalité sur le terrain et toute autre. Les centaines de milliers d’élèves qui se rendent à l’école chaque jour voient leur condition d’accès à l’éducation se compliquer encore davantage. En cause, une situation confuse dans le pays exacerbée par une série de facteurs rédhibitoires qui inhibent une entrée des classes normale. Le secteur éducatif, qui était déjà souffrant, risque à tout moment un arrêt clinique si la crise que traverse Haïti perdure dans le temps. Les enseignants, les parents d’élèves ainsi que les étudiants eux-mêmes tirent la sonnette d’alarme. Pas sûr que leurs cris de détresse aient été entendus en haut lieu.

La première difficulté qui est venue perturber une entrée des classes normale est la rareté du carburant dans les stations-service. Les voitures, les taps-tap, mais surtout les mototaxis devenues le moyen de transport favori des Haïtiens, font la queue avec des galons et des récipients en tout genre en espérant glaner quelques précieuses gouttes d’essence pour pouvoir continuer à rouler. Or, on sait que bon nombre d’étudiants sont dépendants des transports en commun. Sans ça, ils ne peuvent se rendre à leurs cours à l’heure, sauf à se réveiller très tôt et marcher pendant des kilomètres. La même problématique touche les enseignants qui pour la plupart d’entre eux ne sont pas motorisés du fait de leurs maigres salaires. Le gouvernement lui a les pieds et les mains liés et semble bloqué. Il n’arrive pas à augmenter les prix pour les aligner sur le prix du marché afin de ne pas provoquer un soulèvement populaire comme on l’a vu dans un passé récent. Comme un chat échaudé craignant l’eau froide, le gouvernement subventionne la consommation du carburant en espérant que les Haïtiens ne sortiront pas manifester dans les rues. Résultat du compte, au lieu d’avoir un carburant cher, on se retrouve avec plus de carburant du tout, puisque l’État n’arrive pas à s’approvisionner sur le marché international. Le peuple a donc le choix entre la peste et le choléra.

L’autre point noir qui affecte l’entrée scolaire de cette année est la crise économique qui touche la majorité des foyers haïtiens. La cherté de la vie combinée aux coûts de plus en plus exorbitants des études rebute plusieurs parents d’élèves qui préfèrent attendre un peu avant d’envoyer leur progéniture à l’école. Le ministre de l’Éducation a indiqué que les lycéens n’auront à débourser que 1000 gourdes par année pour les frais de scolarité, mais il oublie qu’à côté, les élèves doivent payer les fournitures, les habits et le transport. Avec une inflation qui atteint en ce moment 20%, autant dire que la majorité des ménages se serrent la ceinture. Les syndicats d’enseignants sont d’ailleurs sortis dans la rue pour exiger un enseignement public de qualité pour tous et disposer de plus de moyens pour exercer leur métier dans de bonnes conditions. Actuellement, les établissements publics n’attirent pas grand monde à cause de la médiocrité de l’enseignement proposé. Le Chef de l’État n’a qu’à sortir la tête de son palais présidentiel pour constater de visu la décrépitude des écoles publiques situées à deux pas de chez lui. Nos dirigeants semblent ne pas vouloir changer les choses, comme si leurs intentions cachées étaient d’encourager l’abandon scolaire pour fabriquer de futurs criminels qui seront à leurs soldes. Les statistiques montrent que 30% des petits Haïtiens qui vont à l’école primaire n’iront pas à la 3ème année.

L’insécurité, voilà un autre élément qui vient compliquer elle aussi la rentrée scolaire des Haïtiens cette année. Entre les manifestations à caractère socio-politique d’un côté et l’insécurité liée au grand banditisme d’un autre, les élèves se retrouvent piégés par une atmosphère peu propice aux études. Pire, l’insécurité s’invite même dans les écoles où il n’est pas rare de voir des étudiants attaquer des enseignants. La jeunesse évolue malheureusement de nos jours dans un environnement où la violence fait partie de son quotidien. Et cela se répercute forcément dans les salles de classe qui ne sont que le miroir de notre société. Pire, la politisation croissante des élèves ne fait qu’accentuer les tensions alors que l’école est censée être un espace d’une parfaite neutralité.

Cela nous renvoie au programme scolaire qui est en parfait décalage avec les besoins du pays. Partout dans le monde, les gouvernements investissent massivement dans l’enseignement en intégrant de nouveaux outils pédagogiques afin que les travailleurs de demain soient plus compétitifs. En Haïti, on attend encore la fameuse réforme qui à chaque fois est reportée aux calendes grecques. L’éducation inclusive tant souhaitée par la population n’est que chimère. Ce n’est pas jouer les Cassandres que de dire qu’on est déjà en train de condamner le futur de notre pays. Pendant que le jeune sud-coréen apprend à programmer derrière son ordinateur, l’élève haïtien lui est encore assis sur une moto-taxi en panne sèche dans une station-service. Et la théorie de la bicyclette dit ceci : si vous ne pédalez pas, vous tombez.

Dessalines Ferdinand

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