À quoi peut-on s’attendre d’un Premier ministre fantomatique ?

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MIAMI — Si vous ne croyez pas aux fantômes, le tout nouveau Premier ministre Jean-Henry Céant fraîchement nommé pourrait vous faire changer d’avis. Depuis qu’il est en poste, on sent une certaine langueur se saisir des hautes sphères de l’État. À croire que ce poste sensible anesthésie toute personne qui s’y colle. Il a fallu qu’un séisme de magnitude 5.9 touche le Grand Nord pour voir Mr Céant sortir du néant dans lequel il s’était réfugié. Si le chef du gouvernement ne s’active pas au plus vite et ne met pas ses mains dans le cambouis, il risque de se retrouver cette fois-ci avec un séisme social d’une magnitude de 10. À ce moment-là, aucune force ni aucune aide étrangère ne pourra venir à son secours.
Un parcours académique et professionnel impeccable sur le papier.

Mr Jean-Henry Céant est né le 27 septembre 1956 à Goureau dans la commune de Tabarre. Hasard du calendrier, sa date de naissance coïncide avec la journée mondiale du Tourisme, “activité” que semble affectionner le nouveau venu puisque c’est pour l’instant son principal passe-temps dans les couloirs de la primature. Sa ratification par le parlement haïtien le 16 septembre dernier est pourtant venue couronner un long parcours académique et professionnel particulièrement bien fourni. Après son baccalauréat acquis en 1977, il intègre l’université d’État d’Haïti pour entamer des études de droit.

Il complète son cursus universitaire avec des formations en comptabilité, statistiques et informatique. Son cheminement académique le mènera jusqu’en Espagne, plus précisément à Madrid, où il suivra des cours spécialisés en droit notarial en 1997.

Sur le plan professionnel, Mr Jean-Henry Céant a roulé sa bosse en tant que notaire et juriste. Parallèlement à cela, il a à son actif la création de nombreuses fondations et associations qui touchent des domaines variés, allant de l’éducation universitaire au droit professionnel en passant par le caritatif. Il est également membre adhérent de l’Union internationale du notariat au sein duquel il a pris le poste de conseiller général. On peut donc dire que Mr Céant a au moins le mérite de ne pas rester les bras croisés lorsqu’il s’agit de bâtir une carrière professionnelle blindée. Et c’est d’ailleurs sur le plan politique que sa ténacité légendaire va lui rapporter le gros lot. Candidat à la présidence de la République dès 2010, il obtient à peine 3% des suffrages. Nullement découragé, il retente sa chance 5 ans plus tard et descend à 2,5%. Un an après, lors des élections de 2016, sa cote continue de chuter puisqu’il ne récolte que 0.75% des voix.

Or, Haïti n’est pas un pays comme les autres. Plus votre popularité chute, plus vos probabilités de vous retrouver au sommet de l’État augmentent. C’est malheureux, mais c’est ainsi !

Conflit d’intérêts dans les scandales politico-financiers

Lorsque Mr Céant a été officiellement installé en tant que Premier ministre le 16 septembre dernier, il avait pour mission première d’appliquer la promesse faite par le chef de l’État d’assainir le pays et de le débarrasser de tous les truands et les corrompus qui gangrènent les rouages de ses administrations. Un mois plus tard, aucune action concrète n’a été entreprise en ce sens. Ni opération coup de poing, ni poursuites, ni ouverture de nouvelles enquêtes. Il faut dire que Mr Céant est enchaîné par ses anciennes relations et par un carnet d’adresses enrichi au fil des années. N’oublions pas que c’est grâce à ses liens tissés avec les différents notables et responsables de haut rang qu’il a pu se hisser à son poste actuel. Sinon, comment expliquer qu’un homme qui a une expérience politique limitée, pour ne pas dire quasi vide, puisse se retrouver du jour au lendemain dans une fonction aussi stratégique. Mr Céant n’a jamais été un fonctionnaire de l’État et n’a jamais occupé un poste à responsabilité au sein d’un gouvernement quelconque. Moins de 1% des Haïtiens lui font confiance d’après le dernier scrutin, et pourtant ! On dirait que le pouvoir fait un pied de nez aux revendications de la population et méprise ses attentes. Mr Céant, quant à lui, montre une fois de plus que la mainmise de la nébuleuse politico-financière sur les affaires du pays n’a jamais été aussi grande et tentaculaire. Les contacts et les liens souterrains priment sur l’expérience et les compétences lorsqu’il s’agit de nommer un chef de l’exécutif censé mettre en œuvre le programme du Président de la République. Entre nantis, on se protège, on se tient les coudes durant les moments difficiles pour faire face à ce peuple frondeur. Cette vision jacobine du pouvoir explique en grande partie la désaffection viscérale qu’éprouvent la majorité des Haïtiens pour la chose politique aujourd’hui. Le vieux système tant vitupéré par Mr Moise revient donc en force, et il est plus que jamais parti pour perdurer.

À quoi peut-on s’attendre d’un Premier ministre fantomatique ?

Quand on regarde la composition du nouveau gouvernement, on s’aperçoit que le pouvoir fait du neuf avec du vieux. En d’autres termes, il lui a suffi d’un petit coup de peinture pour berner le peuple en badigeonnant de nouvelles couleurs politiques, alors que dans le fond, rien ne change. Car à y regarder de plus près, sur les 18 ministres actuels, 6 étaient déjà présents dans le précédent gouvernement, à savoir ceux de la santé, de l’éducation, des travaux publics, de la justice, de l’intérieur ou encore celui de l’agriculture. Des départements qui souffrent d’une mauvaise gestion flagrante et dont le bilan est plus que mitigé. De quoi laisser pantois les observateurs qui voient dans ces nominations comme une motivation supplémentaire à persévérer dans un statu quo malsain. Pire, 3 des 4 secrétaires d’État sont également issus de l’ancien gouvernement Lafontant (alphabétisation, sécurité publique et intégration des handicapés).

Quel message retenir de tout cela, si ce n’est que le changement n’est pas prêt d’intervenir de sitôt ! Ceux qui volent et détournent l’argent public voient dans ces nominations une sorte d’encouragement. Les gros voyous courent toujours et ne semblent nullement inquiétés. Il faut dire que la plupart ont des contacts hauts placés et des bras bien longs, tellement longs qu’ils peuvent se gratter les orteils sans se baisser.

Mr Céant est certes issu de la classe moyenne, mais pour gravir les échelons, il a très vite compris que les idéologies humanistes et les convictions altruistes n’ont pas leur place dans la sphère où il évolue depuis quelques années. S’il n’est pas aussi riche que les Boulos, Bigio, Mevs, Acra, Madsen, et Brandt, le nouveau Premier est auusi bien financièrement solide. Selon certaines estimations, il aurait injecté pas moins de deux millions de dollars dans sa première course à la présidence en 2010. Et grâce à son statut financier, il a su nouer des relations prolifiques qui lui ont permis d’être parachuté au poste de Premier ministre de manière presque inespérée.

Nous devons également noter que Mr. Céant a également été le notaire de plusieurs personnalités publiques et privées du pays. Il connaît donc mieux que quiconque le patrimoine de beaucoup de responsables qui sont dans le viseur de la justice. Mais est-ce suffisant pour faire bouger les choses et punir ceux qui détournent l’argent public à grande échelle comme l’a révélé le scandale PetroCaribe ? Rien n’est moins sûr. Cela dit, Mr Céant devrait savoir en tant que juriste, que le silence est aussi considéré dans ces cas-là comme une complicité au crime.

D. Ferdinand/LeFloridien

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