LABADIE, Haïti — Certains y ont vu juste du macadam entouré çà et là de remblaiement pour éviter les éboulements, d’une signalétique pour faciliter la circulation, d’un traçage, bref, d’une simple route comme on en voit partout à travers le monde. D’autres au contraire, plus visionnaires et sans doute moins terre-à-terre, y voient le symbole d’une nouvelle ère pour tout un pays, le début d’une période de changements basée sur la construction et l’initiative et synonyme de progrès et de développement.
Et c’est avec ces deux visions complètement dichotomiques que les Haïtiens ont assisté à l’inauguration le samedi 24 février de la nouvelle route devant relier Cap-Haïtien à Labadie. De hauts dignitaires étaient rassemblés lors de la cérémonie inaugurale, avec la présence notable du président Jovenel Moïse en personne, accompagné de son Premier ministre Jacques Guy Lafontant, du ministre des Travaux publics Fritz Caillots ainsi que d’autres hauts responsables du gouvernement et des collectivités locales. Était aussi présent le Premier ministre des Bahamas, Mr Hubert Minnis, signe que cette route aura une répercussion non seulement nationale, mais également à l’échelle régionale. La Directrice de la Banque Mondiale pour Haïti, la Portugaise Anabela Abreu, assistait à l’événement en tant que représentante de l’omnipotent bailleur de fonds qui a participé au financement du projet.
La route Labadie – Cap-Haïtien constitue avant tout un soulagement pour la population locale qui voit ainsi son trajet raccourcir de 1h30 en moyenne. Les habitants de la région étaient jusque-là isolés et ne bénéficiaient pas vraiment des retombées que généraient l’activité touristique et ses 600.000 croisiéristes qui transitent chaque année par le port de Labadie. Et c’est entre autres pour corriger cette anomalie économique et gommer les disparités accumulées au fil du temps que les initiateurs de ce projet ont voulu bâtir cette nouvelle voie de communication terrestre. Les travaux ont duré en tout et pour tout 24 mois, ce qui a valu à l’entreprise dominicaine responsable de leur réalisation, Coamco, les remerciements du chef de l’État pour avoir respecté les délais impartis. Le financement quant à lui était basé principalement sur un apport de 8.6 millions de $ de la part de la banque mondiale. La représentante de cette institution internationale, Mme Anabela Abreu, a d’ailleurs profité de l’occasion pour féliciter les pouvoirs publics qui ont permis de mener à terme ce projet grâce à leur implication totale. Elle a loué au passage la bonne coopération entre son organisation et le gouvernement haïtien, ce qui est selon elle de bon augure pour les projets futurs.
Grâce à cette nouvelle route donc, c’est toute une région jusque-là marginalisée qui se retrouve enfin désenclavée. En plus de faciliter la mobilité des citoyens, cette chaussée va permettre de réduire le nombre d’accidents, surtout durant la saison des pluies, grâce notamment à un meilleur drainage des eaux et des canalisations qui respectent les normes internationales. Du côté des risques d’éboulement, rien n’a été laissé au hasard puisque des murs de soutènement ont été érigés à cet effet et devraient protéger les usagers de la route pendant de longues années.
Mais l’espoir engendré par la construction de cette route ne doit pas s’arrêter là. En effet, il n’y a qu’à jeter un rapide coup d’œil dans les parages pour se rendre compte que les infrastructures de base manquent cruellement ou sont dans un état déplorable. Ne dit-on pas que “là où la route passe, le développement suit” ? Les habitants de la région, eux, ne demandent qu’à y croire.
À travers cette route, une occasion en or se présente donc pour créer une certaine émulation chez l’ensemble des composantes de la société haïtienne. In fine, l’objectif devrait être de gommer les nombreuses inégalités qui persistent et provoquer une dynamique nouvelle qui puisse conduire le pays vers un développement juste et durable.
Finies les promesses, place à l’action
Une des citations du grand philosophe grec Aristote disait en substance ceci : “La politique a pour fin non pas la connaissance, mais l’action”. Plus de 2000 ans plus tard, cette maxime pleine de sagesse reste toujours d’actualité, surtout quand on voit l’état dans lequel se trouve le paysage politique haïtien aujourd’hui. À travers l’inauguration de cette route, c’est tout un message que le Président Moïse semble vouloir faire passer à ses administrés. Il est temps de joindre les actes à la parole. Il est temps qu’un changement radical se produise et que les décideurs haïtiens prennent enfin conscience de leurs responsabilités et des énormes défis qui les attendent. Les promesses doivent laisser la place à l’action et le bien de tous doit primer sur les privilèges de quelques-uns. Le peuple a assez patienté, maintenant il demande du concret.
Les Haïtiens veulent bien croire aux paroles du Président Moïse, mais ce dernier doit aussi comprendre que la situation devient urgente. Un ventre affamé n’a pas d’oreilles et les beaux discours ne pourront combler indéfiniment les besoins d’une population qui a été délaissée pendant trop longtemps. Haïti souffre d’une pauvreté structurelle qui freine toute avancée du pays vers un avenir plus radieux. Or aux grands maux, les grands moyens. La nation a plus que jamais besoin de son plan Marshall afin de bâtir une économie qui soit basée sur des infrastructures solides et de qualité. Il faut en finir avec les politiques de colmatage et de bricolage initiées par les gouvernements précédents et qui étaient devenus maitres dans l’art de concocter des projets cache-misère.
Le chef de l’état semble donc avoir pris toute la mesure des défis qui l’attendent et se dit prêt à y faire face avec l’aide de ses partenaires internationaux. Mais pas à n’importe quel prix. Le président a en effet profité de sa tribune pour adresser un message clair et sans ambiguïté aux bailleurs de fonds étrangers. Son discours dit en substance ceci : vos capitaux sont les bienvenus, mais c’est à l’État haïtien que reviendra le dernier mot sur la manière de dépenser cet argent. Décryptage : votre argent ne vous donne pas le droit de venir nous dicter ce qu’on doit faire ou ne pas faire. Un réquisitoire populiste un brin chauviniste certes, mais qui risque de faire grincer des dents, surtout dans les couloirs de certaines institutions internationales, la banque mondiale et le FMI en tête, qui veulent toujours avoir leur mot à dire et traquer le moindre centime qu’ils dépensent pour éviter toute gabegie. Les institutions de Bretton Woods sont en effet très tatillonnes sur le sujet et n’aiment pas qu’on leur impose une façon de procéder qui soit différente de la leur. Or, lorsque l’on sait qu’on vit à une époque où l’argent représente le nerf de la guerre, il y’a fort à parier que cette petite altercation en coulisse débouchera sur une bataille aux allures de combat entre David contre Goliath, mais où cette fois David pourrait y laisser des plumes.
Mobiliser l’ensemble des forces vives haïtiennes même celles de l’opposition
Le projet de développement d’un pays devrait impliquer tout le monde et ne laisser personne de côté. Par conséquent, il est préférable qu’il s’appuie sur un programme inclusif afin que chacun y trouve son compte et puisse avoir son mot à dire. Ainsi, bien que les membres de l’opposition ne soient pas toujours d’accord avec la politique du président Moïse et sa caravane du changement, rien ne les empêche de faire eux aussi des propositions, du moment que cela respecte les intérêts suprêmes de la nation et entre dans un cadre constructif. Après tout, c’est leur droit, voire même leur devoir en tant que contre-pouvoir de tirer le débat vers le haut, comme ça devrait être le cas dans tout système démocratique sain qui se respecte. L’opposition ne doit cependant pas tomber dans le piège de la destruction à tout va, car chacun sait qu’il est toujours plus facile de détruire que de construire.
Cette même opposition doit d’ailleurs faire amende honorable et donner crédit au président actuel sur un point : l’homme originaire de la Commune de Trou-du-Nord est très mobile et ne cesse de sillonner le pays de long en large depuis son accession au pouvoir pour mieux tenir ses engagements. Il se déplace très souvent pour aller voir de ses propres yeux les avancements de certains gros projets de l’État. C’est sa façon à lui de mettre la pression sur les différents intervenants afin que les travaux soient livrés dans les temps, car tout le monde sait que quand le chat n’est pas là, les souris dansent.
Or les infrastructures routières constituent un élément névralgique dans le développement économique de n’importe quel pays. Un peu comme le corps humain a besoin de ses veines pour vivre, une nation ne peut prospérer et se développer sans un réseau routier dense et efficace qui irrigue l’ensemble de son territoire. Et Moise l’a bien compris en faisant des infrastructures routières l’une de ses priorités. D’ailleurs, pendant les premiers douze mois de son quinquennat, il a déjà inauguré pas mal de tronçons de route et les projets en cours montrent que son engagement est parti pour durer.
L’autre point que beaucoup de décideurs semblent oublier est l’entretien des infrastructures. Construire une route, c’est bien, l’entretenir, c’est encore mieux. Il est par conséquent primordial que la population soit sensibilisée à ce sujet et impliquée dans tous les projets qui la concernent, ceci afin qu’elle en prenne soin et appréhende de la meilleure des manières ses acquis. L’État doit de son côté jouer son rôle dans la maintenance et mobiliser toutes les ressources nécessaires pour préserver les infrastructures du pays, en y allouant notamment un budget dédié.
On l’a malheureusement vu trop souvent pour ne pas le signaler. À chaque perturbation politique, les opposants du régime en place prennent un malin plaisir à saboter les infrastructures du pays pour court-circuiter l’action du gouvernement et lui faire du tort. Or les infrastructures appartiennent au pays et non pas à un gouvernement. Les gouvernements passent, mais le pays demeure.
Il va s’en dire que la stabilité et une certaine maturité démocratique sont nécessaires pour le progrès d’Haïti. Certes, une opposition constructive a le droit de se mobiliser dans les rues pour faire pression sur le pouvoir en place en vue de lui rappeler ses engagements et aider ainsi à faire avancer la nation, mais pas question de réclamer le départ d’un président élu à l’issue d’élections libres (malgré un faible taux de participation). Cela tendrait à perturber l’alternance démocratique dans le pays et fragiliserait encore plus ses institutions déjà mises à rude épreuve ces dernières années. Laissons donc à Jovenel Moïse l’occasion de “s’exprimer” par ses actes, et c’est au peuple, et au peuple haïtien seul, que reviendra le pouvoir de décider lors des prochaines élections s’il est satisfait ou non du bilan de son président. À bon entendeur!