Par Le Floridien
La justice populaire supplante désormais l’autorité étatique en Haïti. Le phénomène “Bwa Kale”, né de la colère et du désespoir d’une population livrée à elle-même, s’impose comme un système parallèle d’autodéfense dans plusieurs régions du pays. La scène survenue ce dimanche 9 mars à Mirebalais, où des citoyens ont intercepté un minibus transportant une cargaison d’armes et de munitions, illustre la montée en puissance d’un mouvement qui transforme les civils en vigiles de leur propre sécurité.
Une Interception Mortelle à Mirebalais
Dans la localité de Trianon, à Mirebalais, un minibus en provenance des Gonaïves a été stoppé par des habitants, méfiants face à des déplacements suspects. À l’intérieur, quatre hommes transportaient trois fusils d’assaut et plus de 10 000 cartouches, soigneusement dissimulés dans des boîtes de friperie.
Sommairement interrogés par la population sur la provenance et la destination de cette cargaison, deux des suspects ont été lynchés sur place, tandis que les deux autres ont pris la fuite. Cette exécution expéditive, sans intervention des forces de l’ordre, confirme une prise en main brutale de la sécurité par la population. Un juge de paix a ensuite procédé au constat des armes et des munitions saisies, et le minibus a été conduit au commissariat de Mirebalais pour les besoins de l’enquête.
Une Réaction à l’Insécurité Endémique
Cet événement se déroule dans un climat de tension sécuritaire extrême, où la peur et l’incertitude règnent sur la région. La région de Mirebalais est encore sous le choc de l’attaque du gang de Canaan contre la commune voisine de Saut-d’Eau, une offensive meurtrière qui a ravivé la peur et exacerbé la colère des habitants.
Cet épisode met également en lumière les failles béantes du contrôle aux frontières haïtiennes, facilitant le trafic massif d’armes et de munitions. Ce flux ininterrompu alimente les groupes armés qui imposent leur loi dans plusieurs zones du pays, plongeant Haïti dans une spirale de violence incontrôlable.
“Bwa Kale” : Une Justice Populaire Inarrêtable ?
Depuis son apparition en avril 2023, le mouvement “Bwa Kale” s’est propagé à travers Port-au-Prince et bien au-delà, devenant un symbole de riposte contre les gangs. Là où l’État échoue, les citoyens se mobilisent, traquent, et exécutent eux-mêmes ceux qu’ils considèrent comme des criminels. Ce mécanisme de vengeance immédiate, bien que né du désespoir, pose un risque majeur d’emballement : sans cadre légal, qui définit la culpabilité ? Qui empêche les dérives ?
Alors que le gouvernement peine à reprendre le contrôle, l’absence d’une véritable stratégie de sécurisation laisse place à un système de justice expéditive qui pourrait à terme se retourner contre ses propres instigateurs. Haïti s’enfonce ainsi dans un cycle où la peur nourrit la violence, et où l’État devient spectateur d’un pays qui s’autogère dans le chaos.
Face à cette escalade, une question demeure : Haïti peut-elle encore espérer une restauration de l’autorité étatique, ou le pays est-il condamné à une justice du talion incontrôlable ?
