‘’Ils n’ont pas de gouvernement viable, ils s’entretuent entre eux, ils sont minés par la pauvreté et la corruption, c’est l’occasion rêvée pour les attaquer’’, voici sans doute ce qu’a du se dire le Président dominicain Abinader en voulant empêcher Haïti de construire un petit canal sur la rivière Massacre qui fait également office de frontière entre les deux pays. Sauf que le Président Abinader a négligé un détail important! C’est que nous, Haïtiens, savons très bien comment nous serrer les coudes lorsque des situations difficiles surgissent.
La construction de ce canal a débuté en 2021 et s’étend sur environ 2 kilomètres. Il vise à irriguer nos terres agricoles et à soulager la population locale confrontée à une sécheresse structurelle exacerbée par le réchauffement climatique. La République dominicaine, quant à elle, y voit une menace pour l’environnement, allant jusqu’à fermer les frontières terrestres, aériennes et maritimes pour exercer une pression supplémentaire sur notre pays. Nous, en revanche, soulignons que ce canal est conforme au droit international et essentiel pour le développement de notre région. D’ailleurs, la République dominicaine a déjà construit 11 barrages sur cette même rivière, sans aucune protestation de notre part. Mais leur président actuel, Luis Abinader, fait preuve d’une politique étrangère particulièrement rude et brutale à notre égard. Depuis son élection en 2020, Abinader a doublé le nombre de déportations des Haïtiens et annoncé la construction d’un mur entre les deux pays. C’est un comportement qui attise le sentiment d’unité et de solidarité parmi les haïtiens de tous bords, surtout lorsque nous nous sentons agressés par une nation étrangère.
Pour revenir à la rivière du Massacre (appelée Dajabon de l’autre côté de la frontière), elle a toujours été un élément crucial pour les deux pays partageant l’île d’Hispaniola, mais également une source de différents conflits à travers notre histoire commune. En 1937, le dictateur de la République dominicaine, Rafael Trujillo, a ordonné à l’armée de forcer les cultivateurs haïtiens, qui s’étaient installés ‘’illégalement’’ sur la rive dominicaine de la rivière, à retourner en Haïti. Le refus des Haïtiens de partir a conduit à une opération militaire qui a entraîné la mort de plus de 20 000 Haïtiens. La frontière entre les deux pays n’a été rouverte qu’en 1982 sous le gouvernement de Salvador Jorge Blanco. Il est important de noter que le nom “rivière du Massacre” existait bien avant cette tragédie, remontant à une époque où les boucaniers français ont été tués par les Espagnols dans la région, comme documenté en 1797.
Aujourd’hui, notre gouvernement, mais surtout l’ensemble de la population haïtienne, soutient le projet, qui faut-il le préciser est une initiative privée. Les haïtiens ont le droit de décider de l’exploitation de leurs ressources naturelles dans leur propres intérêts. Cette position est d’autant plus importante lorsque l’on sait que près de 25% de nos ressources alimentaires proviennent de la République dominicaine, une dépendance que le canal pourrait aider à réduire. Mais apparemment, les dirigeants dominicains veulent nous garder sous leur contrôle et voient d’un mauvais œil toute émancipation des haïtiens.
Ce qui est sûr, c’est que ce conflit impact les populations locales dans leur vie quotidienne, surtout après la fermeture des frontières et les déportations injustes. Des familles entières, après des années de vie sur le sol dominicain, sont poussées à la porte du jour au lendemain, comme des malpropres. Certains choisissent de quitter volontairement, emportant ce qu’ils peuvent, pour éviter les mauvais traitements et les humiliations de la part des forces de sécurité dominicaines.
Tout le monde s’accorde à dire que les relations économiques entre Haïti et la République dominicaine vont certainement souffrir de cette crise. On estime qu’environ 1 milliard de dollars d’exportations dominicaines sont envoyés en Haïti chaque année (denrées alimentaires, vêtements, etc..). L’échec de la résolution de ce conflit pourrait non seulement conduire à une escalade des tensions mais aussi à des difficultés économiques pour les deux pays.
Pendant des années, le tissu social de notre cher Haïti s’est effrité en raison de violences internes et de crises politiques. Toutefois, l’histoire nous a montré que nous sommes un peuple indomptable, capable de relever des défis insurmontables. Nous avons lutté pour notre indépendance et nous ne permettrons à aucun pays, même notre voisin, de nous soumettre à sa volonté.
Le président Abinader doit comprendre que sa décision ne fait qu’attiser la flamme de la cohésion parmi les Haïtiens. Alors que nos projets d’irrigation et d’autosuffisance alimentaire étaient vus comme des menaces par la République dominicaine, pour nous, ils symbolisent l’espoir d’un avenir meilleur. Au lieu de céder aux pressions externes, nous nous rassemblons pour faire face à cet acte d’hostilité, démontrant ainsi que nous sommes plus forts ensemble.
Les actions de la République dominicaine ne réussiront qu’à resserrer nos liens fraternels et à éveiller notre sens du patriotisme. Abinader, et tous ceux qui cherchent à entraver notre chemin vers le progrès, devraient savoir que le peuple haïtien est et restera invincible. À bon entendeur!
Stéphane Boudin