Saturday, November 2, 2024

Cap-Haïtien : Un havre de paix dans un univers de chaos

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Alors que notre cher pays continue de s’enliser dans une spirale de violence, une ville semble résister au chaos ambiant : Cap-Haïtien. Comment cette ville parvient-elle à préserver un semblant de paix ? Comment les habitants et les autorités locales réussissent-ils à repousser la menace des gangs qui terrorisent le reste du pays ? Cette situation particulière mérite certainement une analyse plus approfondie, à un moment où les autres régions, à commencer par la capitale Port-au-Prince, sont sous la coupe des gangs armés qui ont mis le pays en ébullition.

Les Facteurs de Paix à Cap-Haïtien”

Cap-Haïtien, que l’on surnomme parfois Okap, est l’une des villes les plus anciennes et les plus importantes d’Haïti. C’est là que s’est déroulée une partie des luttes pour l’indépendance, avec la célèbre bataille de Vertières en 1803. En tant qu’ancien centre économique et culturel, Cap-Haïtien a toujours joué un rôle essentiel dans l’histoire de notre pays. Curieusement, Cap-Haïtien est considéré comme le port le plus sûr du pays depuis le XIXe siècle. C’est dire si cette ville a réussi à trouver une stabilité durable, enviée parfois par les autres régions du pays.

Lorsqu’on y regarde de plus près, ce qui distingue Cap-Haïtien en premier lieu, c’est son héritage historique et sa disposition géographique. La ville est entourée de montagnes, et son accès est limité, ce qui rend difficile l’intrusion d’éléments perturbateurs comme les gangs venant de l’extérieur. Cette forme de protection géographique pourrait expliquer en partie pourquoi les groupes armés n’ont pas réussi à s’installer dans la ville comme ils l’ont fait à Port-au-Prince. L’éloignement offre à la ville un bouclier naturel contre l’insécurité, alors que l’accès difficile via des routes souvent impraticables ou dangereuses limite la mobilité des groupes armés et ralentit leur expansion.

Il faut aussi souligner que les habitants eux-mêmes sont très attachés à leur identité locale et à l’histoire glorieuse de leur ville. Cela crée un sentiment de responsabilité collective pour maintenir l’ordre et la sécurité dans leur région, là où Port-au-Prince peut être considérée comme une mégalopole qui a vu sa population croître de manière anarchique, notamment à travers l’exode rural.

D’un point de vue socio-économique, Cap-Haïtien, bien qu’affecté par la pauvreté, n’a pas connu la même dégradation rapide que d’autres régions du pays. Le développement de certaines infrastructures, comme l’aéroport international, a permis une ouverture sur l’extérieur, avec des liaisons régulières vers Nassau ou encore Miami. Et malgré la crise sécuritaire que traverse notre pays, le tourisme a su résister tant bien que mal, notamment grâce aux bateaux de croisière qui continuent de déverser des milliers de plaisanciers afin qu’ils puissent découvrir la culture locale, ou encore des sites emblématiques. Tous ces facteurs renforcent la stabilité de Cap-Haïtien, donnant un exemple au reste du pays qui se cherche encore pour retrouver le chemin vers la paix.

Bien sûr, la ville ne vit pas sous cloche et n’est pas complètement déconnectée du reste du pays. Sa stabilité relative ne signifie pas qu’elle n’est pas à l’abri des défis. La crise économique nationale et les difficultés politiques qui frappent notre pays dans son ensemble affectent également la ville. Les routes qui mènent à Port-au-Prince sont jonchées de postes de contrôle tenus par des gangs, ce qui rend les déplacements dangereux et coûteux. La population vit avec la peur permanente que cette violence finisse par s’étendre à leur région à tout moment.

Une paix précieuse à préserver à tout prix !

Alors que Port-au-Prince et ses environs sont en proie à une violence quasi quotidienne, Cap-Haïtien est souvent perçu comme un “havre de paix” en comparaison. Les habitants ont réussi à maintenir un semblant de normalité, bien que les effets de la crise nationale se fassent ressentir indirectement.

Il faut dire que les populations locales jouent un rôle clé dans la préservation de cette stabilité. Contrairement à d’autres régions où les forces de l’ordre sont quasi absentes ou dépassées, les habitants de Cap-Haïtien ont développé une forme de vigilance collective. Ils veillent à ce que les groupes criminels ne puissent pas prendre racine dans leur ville. Cette solidarité, souvent nourrie par la fierté de l’histoire locale, contribue à créer un environnement où l’insécurité est mal vue et immédiatement dénoncée. Un peu comme une carie qui est vite maîtrisée avant qu’elle ne s’étende au reste de la dent et n’attaque la racine.

L’autre point très important à souligner est que les autorités locales semblent mieux organisées qu’ailleurs dans le pays. À Cap-Haïtien, la police, bien que sous-équipée, veille au grain, en plus de bénéficier d’un soutien communautaire qui lui permet de fonctionner plus efficacement. Les autorités locales sont aux aguets et font tout pour assurer le bien-être de leurs administrés. En l’absence de gouvernance nationale efficace, certaines villes d’Haïti se retrouvent livrées à elles-mêmes. Mais à Cap-Haïtien, les leaders locaux semblent avoir su maintenir un dialogue avec la population pour éviter l’anarchie qui règne dans d’autres parties du pays. C’est une des rares villes du pays où les autorités locales agissent au lieu de parler. Il y a quelques jours par exemple, les règles contre les nuisances sonores ont été renforcées. En août, des mesures fortes ont été mises en place pour améliorer la circulation. Autant d’actions inimaginables à Port-au-Prince!

Là où notre pays se débat encore pour rétablir la sécurité, Cap-Haïtien continue à développer son économie, patiemment mais sûrement. Il faut dire que le secteur privé y est particulièrement actif et joue un rôle important dans le dynamisme que connaît la région. Les investissements locaux et étrangers ont contribué à renforcer le tissu social de la région, offrant de nombreuses opportunités d’emploi. Par exemple, l’industrie touristique, bien que fragile, continue de jouer un rôle de catalyseur dans la stimulation économique. La municipalité de Cap-Haïtien semble l’avoir bien compris, puisqu’elle vient de lancer la Table de Concertation Communale (TCC), une nouvelle structure qui vise à établir une meilleure coordination entre différents acteurs locaux et internationaux pour booster le tourisme durable.

Tout cela prouve que même dans un pays en crise, l’économie locale, diversifiée par le tourisme et des projets d’infrastructure, offre une alternative à la criminalité pour les jeunes, qui sont souvent les premières victimes du recrutement des gangs dans d’autres parties du pays.

Leçons à tirer de Cap-Haïtien pour pacifier le reste du pays

La situation relativement paisible de Cap-Haïtien doit clairement être considérée comme une source d’inspiration pour le reste du pays. Pourquoi aller jusqu’au Kenya chercher des solutions lorsque celles-ci se trouvent juste à côté? Il est évident qu’Haïti ne pourra pas surmonter ses défis sans une approche locale adaptée à chaque région, et Cap-Haïtien pourrait bien servir d’exemple en ce sens. Si on devait réécrire notre constitution, ce qui est souhaitable, voire fortement recommandé, la décentralisation est une option qu’il faudrait considérer avec grande attention. Cela permettra de sortir notre pays de sa torpeur à cause d’un gouvernement central défaillant à tous les niveaux. En transférant davantage de pouvoir, de compétences et de responsabilités aux gouvernements locaux, chaque région pourra gérer ses affaires de manière plus autonome et prendre des décisions adaptées aux besoins spécifiques des populations locales. Proximité, efficacité, réactivité et participation citoyenne devraient être les maîtres mots dans la gestion de notre pays.

L’autre leçon à tirer concerne le rôle des communautés dans le maintien de la sécurité. À Cap-Haïtien, les habitants semblent avoir compris que la sécurité est une responsabilité collective. Il ne s’agit pas uniquement de compter sur l’État ou sur la police pour maintenir l’ordre, mais aussi d’impliquer activement la population dans la protection de leur ville. Cette mentalité pourrait être reproduite dans d’autres villes du pays, où la population, frustrée par l’inefficacité des forces de l’ordre, pourrait s’organiser pour résister à l’influence des gangs.

Il faut dire qu’une collaboration étroite entre les autorités locales et la communauté est essentielle si on veut sortir notre pays de sa mauvaise passe. À Cap-Haïtien, cette collaboration semble plus fluide, permettant une gestion plus efficace des crises. Cela contraste avec la capitale, où la corruption et les rivalités politiques sapent l’efficacité des actions locales. Renforcer les autorités locales et développer des mécanismes de coopération entre la population et la police permettrait de rétablir une forme d’ordre dans d’autres parties du pays.

L’autre leçon à retenir de l’exemple de Cap-Haïtien est l’importance de promouvoir le développement économique local pour limiter l’influence des gangs. Cap-Haïtien bénéficie, dans une certaine mesure, d’un secteur touristique et d’une économie diversifiée qui offrent des alternatives aux jeunes tentés par la criminalité. Si ces initiatives étaient dupliquées dans d’autres régions, en investissant dans des projets locaux et en stimulant l’économie régionale, il serait possible de réduire l’attraction des groupes armés, en particulier pour les jeunes vulnérables.

Enfin, sur un plan un peu plus technique et opérationnel, Cap-Haïtien nous rappelle l’importance d’utiliser l’environnement à l’avantage de la sécurité. Des zones difficilement accessibles ont contribué à isoler la ville des gangs basés ailleurs. Dans d’autres parties du pays, où l’expansion des groupes armés est facilitée par une géographie plus favorable, il faudrait repenser les stratégies de défenses en prenant en compte les particularités spatiales.

Ce qui est sûr, c’est que le modèle de Cap-Haïtien nous montre que même dans un contexte de crise profonde, des solutions existent pour maintenir l’ordre et la stabilité dans notre pays. Il suffit de savoir où regarder et de puiser dans les approches locales qui ont fait leurs preuves ailleurs.

Dessalines Ferdinand
Le Floridien, 31 octobre 2024

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