Par Stéphane Boudin
Avec la nomination du nouveau gouvernement et le début de pacification de notre pays avec l’aide de policiers kényans équipés et financés par les États-Unis, les Haïtiens commencent déjà à réfléchir sur comment reconstruire leur pays. Pour l’instant, le constat est rude. Nos infrastructures sont à terre, la situation économique est précaire, et notre quotidien est marqué par de nombreux défis. Mais, comme le dit l’adage, « à quelque chose malheur est bon ». Cette crise profonde que nous vivons pourrait bien être une opportunité à saisir. Dans la culture shinto-boudhiste de l’Extrême-Orient, notamment en Chine, le mot ‘’Wei-Ji’’, traduit par ‘’crise’’, symbolise une dualité profonde. Wei-Ji peut être décomposé en deux idéogrammes qui se complètent : Wei qui signifie danger, et ‘’Ji’’ qui signifie opportunité. Cette conception reflète parfaitement notre situation actuelle en Haïti.
La situation actuelle représente donc une chance unique de repenser et de reconstruire notre pays en utilisant les dernières technologies et en adoptant une vision ambitieuse et audacieuse pour l’avenir. Tout le monde est conscient de l’état désastreux de nos infrastructures. Il n’y a qu’à visiter la capitale et ses environs pour voir comment les routes sont défoncées, les bâtiments publics en ruine, et l’accès à l’électricité et à l’eau potable reste un luxe pour beaucoup, surtout en dehors des zones urbaines où vit encore 46% de la population. Pourtant, cette situation ne doit pas nous décourager. Au contraire, elle doit nous pousser à innover et à envisager des solutions modernes et durables pour la reconstruction de notre pays.
L’une des premières solutions à explorer est le recours aux énergies renouvelables. Alors que le réchauffement climatique et les préoccupations environnementales sont plus que jamais d’actualité, Haïti pourrait profiter de cette niche pour développer une économie propre et décarbonée. Contrairement aux pays industrialisés qui ont besoin de lourds investissements pour adapter, voire réinventer leur modèles économiques déjà établis, Haïti, bénéficie d’une certaine flexibilité.
Prenons l’exemple du potentiel solaire d’Haïti qui est immense et largement sous-exploité. Imaginez un instant un réseau électrique alimenté principalement par des panneaux solaires, réduisant ainsi notre dépendance aux énergies fossiles et allégeant considérablement la facture énergétique. Non seulement cela serait bénéfique pour l’environnement, mais cela permettrait également de fournir une électricité stable et continue à des milliers de foyers. En misant sur les énergies renouvelables, Haïti pourrait devenir un modèle de développement durable pour les autres nations. Et n’allez pas croire que l’énergie verte n’est pas rentable. En fait, elle présente des avantages économiques considérables. Les crédits carbone, par exemple, sont de plus en plus recherchés sur le marché international. Les entreprises et les pays à forte empreinte carbone achètent ces crédits pour compenser leurs émissions, ce qui pourrait créer une source de revenus non négligeables pour Haïti. L’énergie verte pourrait donc non seulement attirer des investissements étrangers, mais aussi nous aider à améliorer notre balance commerciale. Cerise sur le gâteau, les coûts de production des énergies renouvelables, comme le solaire et l’éolien, continuent de baisser, rendant ces options de plus en plus compétitives par rapport aux énergies traditionnelles.
En parallèle, il est impératif de moderniser d’autres secteurs comme celui des transports ou des télécommunications. L’installation des infrastructures de télécommunication les plus performantes, comme la 5G, pourrait nous faire gagner des dizaines d’années en termes de développement technologique. Une connexion Internet rapide et fiable est aujourd’hui essentielle pour la compétitivité économique, l’éducation et la santé. En sautant directement aux technologies de pointe, nous pourrions surmonter des décennies de retard et offrir à nos citoyens un accès immédiat aux bénéfices du numérique.
D’ailleurs, il y’a un continent qui a compris tout l’intérêt d’adopter cette stratégie de modernisation accélérée : l’Afrique. Souvent sous-estimée, l’Afrique a pourtant su tirer parti des nouvelles technologies pour accélérer son développement. À une certaine époque, on disait qu’il y avait plus de téléphones fixes à Manhattan que dans tout le continent africain. Aujourd’hui, avec l’arrivée du téléphone portable, l’Afrique a sauté plusieurs étapes. Beaucoup de pays africains sous-bancarisés ont misé sur la digitalisation et la dématérialisation, offrant ainsi des transactions par téléphone, et permettant à des millions de personnes de bénéficier de services financiers jusque-là inaccessibles. Haïti pourrait s’inspirer de cette réussite et adopter des solutions innovantes pour surmonter ses propres défis.
Mais pour que cette vision devienne réalité, il faut une volonté politique forte. Nos dirigeants doivent établir une feuille de route claire et ambitieuse pour la reconstruction du pays. Ils doivent également œuvrer à rétablir la confiance, tant au sein de la population qu’auprès des investisseurs étrangers. Car sans investissement, aucune reconstruction n’est possible. Il est primordial de créer un climat favorable aux affaires, en garantissant la sécurité, en luttant contre la corruption et en mettant en place des politiques incitatives pour attirer les capitaux.
La reconstruction de notre pays ne doit pas être perçue comme un rêve lointain, mais plutôt comme une chance unique de nous transformer pour le meilleur. Nous avons l’opportunité de bâtir des infrastructures modernes, durables et résilientes, qui répondent aux besoins de la population et qui préparent notre pays pour l’avenir. Cela passe par l’éducation, cela passe par la formation des jeunes aux métiers de demain, et cela passe aussi par l’encouragement de l’entrepreneuriat et de l’innovation.
La situation actuelle dans notre pays, aussi difficile soit-elle, peut être le point de départ d’une transformation radicale et positive. En misant sur les nouvelles technologies et en adoptant une vision ambitieuse, nous pouvons reconstruire un pays plus fort, plus moderne et plus prospère. Cela va nécessiter une mobilisation collective, une volonté politique inflexible et une confiance renouvelée. Il est temps de prouver au monde entier que nous sommes capables de nous relever et de bâtir un avenir meilleur pour nos enfants et les générations à venir.