Ceux qui doivent nous défendre nous volent – Le cas troublant de Maître Hédouville

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Un nouveau scandale vient s’ajouter à la longue liste de détournements qui font dorénavant partie de la ‘culture’ de nos gouvernants. Ce qui choque cette fois-ci, ce n’est pas seulement le modus operandi, mais surtout le fait que cela se soit passé au sein d’une agence créée pour justement venir en aide aux citoyens, venant écraser encore un peu plus les dernières illusions d’éthique publique.

Ainsi, Mr. Renan Hédouville, ancien médiateur de la République, est accusé par l’Unité de Lutte contre la Corruption (ULCC) d’avoir organisé un réseau de détournement de fonds publics avec la complicité de ses proches. Celui qui était censé protéger les Haïtiens s’est évertué à les dépouiller sans vergogne. Tout un symbole ! Voilà donc comment on arrive à mettre à la tête de nos institutions des gens qui, au lieu de nous servir, nous volent sans état d’âme. Loin d’être un cas isolé, cette nouvelle ‘affaire’ montre que c’est tout le mécanisme déjà rouillé de la “bonne gouvernance” qui s’écroule.

Une nouvelle imposture institutionnelle dévoilée

Si on savait déjà qu’en Haïti, les ministres ne servent pas et les juges ne jugent pas, on vient d’apprendre, comble de l’ironie, que même le “Protecteur du Citoyen”… s’enrichit sur le dos de ce même citoyen. Renan Hédouville, retenez bien son nom, était pourtant censé être la voix des sans-voix. Il s’est révélé n’être que la copie conforme de ses semblables à la tête de nos agences publiques. Le dernier rapport de l’ULCC est sans appel : plus de 120 000 dollars déboursés pour des missions fictives, avec des débours encaissés par lui-même, sa fille et d’autres proches collaborateurs. Autant dire que cette petite équipe ad hoc avait pour seul objectif de profiter de toute opportunité pour s’enrichir illégalement : billets d’avion inexistants, per diem injustifiés, retraits suspects. L’homme censé protéger le citoyen opérait plutôt comme un chef de cellule au sein d’une petite mafia administrative.

Comme indiqué, l’affaire ne s’arrête pas à Hédouville, mais implique aussi sa fille, cheffe de cabinet, son gendre, coordinateur informatique, et plusieurs autres employés qui semblent avoir bénéficié de ce réseau clientéliste à l’allure presque familiale. L’achat des billets via une agence amie, sans appel d’offres, met en lumière un système où la loi est un obstacle à contourner plutôt qu’une règle à respecter.

Il n’y a pas de mot plus approprié que “trahison” pour qualifier cette nouvelle imposture. Le poste de Protecteur du Citoyen est censé incarner une éthique, une vigilance, une présence morale dans un appareil déliquescent. Que son occupant ait transformé ce mandat en vache à lait familiale montre la faillite non seulement d’une personne, mais d’un système tout entier qui ne contrôle plus rien.

Et ce qui choque autant que les faits, c’est le comportement post-scandale. Plutôt que de se présenter devant les autorités, Hédouville a tout simplement ignoré les convocations de l’ULCC. Il a décidé de poursuivre en justice l’organisme qui l’accuse, prétextant un piratage de sa boîte mail. Une posture défensive, absurde et caractéristique de ceux qui savent que l’impunité leur a souvent servi de bouclier. Cela ne fait qu’aggraver la perception d’une fonction publique déconnectée des exigences morales et légales les plus élémentaires.

La corruption comme culture de gouvernance

Loin d’être une anomalie, l’affaire Hédouville s’inscrit dans une routine inquiétante, pour ne pas dire ignoble, qui gangrène nos institutions. Au point que le citoyen haïtien, par dépit, semble s’en accommoder. Car le cas du ‘Protecteur du Citoyen’ n’est pas unique. L’ULCC a par exemple dévoilé une autre affaire tout aussi révoltante. Carl François, ancien directeur général de l’Office d’Assurance du Travail, Maladie et Maternité (OFATMA), a lui aussi été épinglé pour des contrats de restauration biaisés à des entreprises appartenant à des complices politiques. Le pot aux roses a été découvert suite aux nombreuses falsifications de documents officiels, en complicité avec des contacts qui avaient pour mission de maquiller ces irrégularités.

Et que dire de Stéphane Vincent, à la Direction de l’immigration, qui n’a pas attendu longtemps pour… se servir lui aussi. À peine nommé (4 mois), il a mis toute son énergie et son talent de gestionnaire non pas à moderniser son département, mais à mettre en place une stratégie sophistiquée de détournement de fonds à son profit. En résulte une fraude massive aux passeports, avec des paiements qui, au lieu d’aller au Trésor de l’État, vont directement à la trésorerie personnelle du nouveau directeur et de ses complices.
Tous ces criminels au col blanc opèrent selon le même mode : abus de confiance, conflits d’intérêts flagrants et contournement des procédures. Pourquoi s’en priveraient-ils, puisqu’ils savent que personne ne viendra les déranger.

Le dernier rapport de l’ULCC est sans appel : plus de 120 000 dollars déboursés pour des missions fictives, avec des débours encaissés par lui-même, sa fille et d’autres proches collaborateurs. Autant dire que cette petite équipe ad hoc avait pour seul objectif de profiter de toute opportunité pour s’enrichir illégalement : billets d’avion inexistants, per diem injustifiés, retraits suspects. L’homme censé protéger le citoyen opérait plutôt comme un chef de cellule au sein d’une petite mafia administrative.

La corruption en Haïti n’est pas accidentelle. Elle est systémique. Elle est structurelle. Elle est presque programmée dans la chaîne institutionnelle. Chaque poste clé devient un centre de profits. Chaque institution publique, une caverne privée. Et ceux qui résistent à cette logique sont souvent marginalisés, neutralisés, ou tout simplement balayés. Les fonctionnaires honnêtes sont mal vus dans ce milieu, car ils risquent d’enrhumer cette machine bien huilée de vol organisé des biens publics !

Plus grave encore : la justice ne suit pas. L’ULCC a transmis 87 dossiers depuis 2004. Résultat ? Une seule condamnation. Quatre non-lieux. Les autres dorment dans des tiroirs, ou sont enfouis dans les limbes de l’oubli judiciaire. Le message est clair : voler l’État n’est pas puni, mais encouragé, voire récompensé.

Et ce qui en découle, c’est une perte de repères collectifs. Dans les faits, les détournements deviennent des habitudes. Les abus dans les services publics deviennent monnaie courante. Le mot “fonctionnaire” est automatiquement associé à la corruption, qui elle-même devient une langue parlée couramment dans tous les ministères. Et dans cette langue, la seule règle qui subsiste est celle de l’opacité.
Cette normalisation du vol public étouffe toute tentative de reconstruction. Elle creuse le fossé entre les institutions et les citoyens. Elle transforme la fonction publique en terrain de pillage. Et pendant ce temps, les hôpitaux s’effondrent, les écoles ferment, les routes s’effritent. Le pays entier paie les dépenses somptuaires de ses propres bourreaux.

Que vaut encore l’État ?

La question est brute, mais nécessaire : que vaut encore un État dont les gardiens deviennent des prédateurs ? Comment parler de république quand les institutions censées incarner la règle, la protection, la justice deviennent le ventre mou d’un racket institutionnalisé ?
Le cas Hédouville est particulièrement déchirant, car il attaque ce qu’il restait d’espoir. L’Office de Protection du Citoyen devait être un rempart moral. Au lieu de cela, il est devenu un symbole de plus dans l’inventaire des trahisons nationales. Et dans ce silence complice de la justice, dans cette absence de volonté répressive, c’est la nation entière qui décroche.

Le pire dans tout cela est que les scandales se succèdent, sans que rien ne change en haut lieu. Les réactions officielles sont évasives, les poursuites judiciaires rares, les sanctions inexistantes. Ce laisser-aller généralise l’idée que les institutions ne servent plus à protéger le peuple, mais à couvrir ceux qui les violent.

Le peuple n’est pas dupe. Il voit. Il comprend. Il enrage. Mais il se fatigue. Et c’est cette fatigue civique qui est le danger majeur. Parce qu’un peuple qui ne croit plus en l’État devient vulnérable à toutes les aventures : à l’autoritarisme, au pouvoir armé, à l’exil, au désengagement. Une nation ne tient pas par les slogans, mais par les actes. Et ceux qui gouvernent doivent choisir : continuer à piller, ou commencer à réparer.

Car tant que les voleurs de la République restent au-dessus des lois, c’est la loi elle-même qui cesse d’exister. Et quand la loi meurt, la république ne tarde pas à la suivre.

Dessalines Ferdinand
Le Floridien, 15 mai 2025

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