Le peuple haïtien est un peuple croyant, avec une écrasante majorité qui se revendique comme chrétienne. Cependant, depuis que notre pays connaît une crise institutionnelle, sociale, sécuritaire et économique profonde, l’Église, ou plutôt les Églises haïtiennes, se sont réfugiées dans un silence lâche, alors que les fidèles pensaient compter sur ces institutions pour les assister durant ces moments particulièrement difficiles. Si les haïtiens n’ont pas perdu la foi, ils estiment qu’ils ont perdu leur Église.
L’Église haïtienne, la grande muette
Au milieu des convulsions qui secouent notre pays ces dernières années, la parole de l’Église semble avoir perdu de son poids. Jadis pilier de la société haïtienne, l’Église catholique et protestante se retrouvent toutes les deux dans une position délicate, oscillant entre la nécessité d’agir et la peur de polariser davantage une nation déjà fragmentée.
Un observateur attentif ne peut s’empêcher de noter l’absence de déclarations fortes de la part de la hiérarchie ecclésiastique face à l’escalade de la violence, à l’instabilité politique et aux calamités économiques qui tourmentent le pays. Alors que les citoyens font face à une vie de plus en plus précaire, l’Église semble s’être repliée dans un silence déconcertant, se contentant de quelques communiqués épars pour condamner telle ou telle agression, sans toutefois proposer des solutions tangibles.
Ce manque de direction claire interpelle, surtout à un moment où le besoin de leadership moral est plus pressant que jamais. Certains pensent que cette réserve pourrait être le résultat de divisions internes au sein de l’Église, révélant des opinions divergentes sur la façon de gérer la crise. D’autres évoquent une certaine réticence à se confronter aux pouvoirs en place, par crainte de représailles ou de pertes financières, ce qui pourrait compromettre les projets sociaux et éducatifs que l’Église dirige à travers le pays.
L’Église, qui se doit d’être le socle d’une société en manque de repères, voit son rôle questionné et sa légitimité érodée. Les initiatives privées et les organisations non gouvernementales prennent de plus en plus le relais, comblant les vides laissés par une Église apparemment impuissante à influencer le cours des choses et dépassée par les événements.
Malgré cela, il serait imprudent de conclure que l’Église est devenue obsolète. Son rôle dans l’éducation et les services sociaux est incontestable, et beaucoup la voient encore comme la dernière lueur d’espoir dans un pays où toutes les autres institutions semblent avoir échoué. Mais l’Église doit se remettre en question, réfléchir et s’adapter à des crises qui se succèdent et ne se ressemblent pas. À défaut, elle risque de se retrouver reléguée à la marge, laissant un vide que d’autres acteurs, peut-être moins scrupuleux, s’empresseront de remplir.
Les Haïtiens gardent la foi malgré tout
Le paysage religieux d’Haïti présente une mosaïque complexe et dynamique qui reflète les défis et les réalités auxquels le pays est confronté. D’une part, le protestantisme émerge comme la foi majoritaire, renforcée par une forte présence dans le domaine éducatif et médical. De nombreux Haïtiens voient dans les églises protestantes, qui gèrent un grand nombre d’écoles et de centres de santé, un refuge de stabilité et d’espoir. Cette foi a su tirer profit de l’adoption du créole pour l’évangélisation et de son caractère apolitique, ce qui lui confère une certaine neutralité dans le climat politique tendu.
En revanche, le catholicisme, autrefois une institution solide et influente, connaît un déclin relatif. Malgré une histoire riche et profonde dans le pays, cette foi n’a pas réussi à maintenir sa prééminence, surtout face à la montée rapide du protestantisme. Les décennies passées ont vu l’Église catholique perdre son monopole spirituel, en partie à cause de son association avec les élites politiques et de son implication dans les affaires d’État. On pense par exemple au Père Aristide qui a fini par devenir un prêtre défroqué pour entrer de plein pied dans la politique nationale, avec les résultats que l’on connaît.
Au-delà des deux principales confessions chrétiennes, Haïti abrite également d’autres croyances et pratiques religieuses. Le vaudou, souvent stigmatisé et mal compris, est officiellement reconnu comme une religion depuis 2003. Malgré sa faible représentation en termes de déclarations d’appartenance, il imprègne profondément la culture haïtienne, souvent en cohabitant avec d’autres formes de spiritualité, notamment le catholicisme.
Dans ce contexte, les défis sont nombreux. Les institutions religieuses, qu’elles soient catholiques ou protestantes, doivent composer avec des réalités sociales et économiques précaires. L’influence des églises dans les questions éducatives et sanitaires est un double tranchant : elle dénote une forte implication dans la société, mais expose également ces institutions aux critiques concernant leur rôle dans un État où la laïcité et la séparation entre l’Église et l’État sont des questions toujours d’actualité.
Ce qui est sûr, c’est que le tableau religieux en Haïti est en constante évolution, modelé par des forces historiques, politiques et culturelles. Il demeure à voir comment ces diverses confessions et croyances coexisteront et s’adapteront aux défis multiples que le pays doit relever, et surtout, comment l’Église compte revenir sur le devant de la scène et reprendre la place qui lui est due au sein de notre société.
L’Église haïtienne peut-elle encore jouer un rôle?
Haïti est plongé dans une crise multidimensionnelle marquée par la corruption, la violence des gangs, les kidnappings, la pauvreté et l’instabilité politique. Face à cela, l’Église apparaît comme un potentiel pilier de stabilité et de réforme. Bien plus qu’un simple lieu de culte, elle pourrait jouer un rôle clé dans la renaissance de notre pays.
Premièrement, l’Église, en tant qu’institution respectée par une grande partie de la population, peut être un médiateur efficace dans le dialogue social et politique. En instaurant un climat de confiance, elle peut aider à rétablir la paix et à réduire les tensions entre les différents acteurs de la société. L’Église pourrait ainsi encourager la mise en place d’initiatives visant à lutter contre la corruption, qui est l’un des freins majeurs au développement du pays.
De plus, en s’appuyant sur son réseau étendu de paroisses et de communautés, l’Église a la capacité d’offrir une assistance directe aux plus démunis. Déjà impliquée dans l’éducation et la santé, elle peut étendre son action à des programmes de développement local et d’assistance sociale. Par exemple, les églises pourraient coordonner des initiatives communautaires pour la formation professionnelle, le soutien psychologique et l’aide alimentaire.
Par ailleurs, les églises sont souvent perçues comme des zones de refuge en cas de crise. Leur présence dans les quartiers pauvres et ruraux permettrait de créer des espaces sécurisés où les gens peuvent trouver un certain répit loin de la violence des gangs et des dangers de la rue. Ce rôle de sanctuaire peut être particulièrement précieux pour les femmes et les enfants, souvent les plus vulnérables face à des bandes criminelles qui violent et tuent des innocents sans merci. Encore faut-il que ces criminels respectent la maison de Dieu, ce qui n’est pas si sûr lorsque l’on voit comment ils ont osé s’attaquer à des hôpitaux, chose inimaginable il n’y a pas si longtemps.
N’oublions pas non plus le pouvoir moral et éthique de l’Église. En prenant position contre les fléaux sociaux tels que la corruption et la violence, l’Église peut encourager une culture de responsabilité et d’intégrité. Son influence peut être un contre-pouvoir important dans un contexte où les institutions publiques sont souvent défaillantes, pour ne pas dire absentes.
Clairement, l’Église haïtienne, avec son influence et son infrastructure, a le potentiel d’être un acteur clé dans le redressement d’Haïti. Si elle parvient à coordonner ses actions avec d’autres organisations et à rester neutre sur le plan politique, son impact pourrait être considérable. Elle offre un espoir tangible pour un pays en quête de stabilité et de renouveau. Mais encore faut-il que les hommes de Dieu sortent de leur silence et s’impliquent davantage pour aider leurs compatriotes, qui sont aussi en majorité des.. fidèles.
Stéphane Boudin
Le Floridien 30 septembre 2023