Conseil de transition, et après?

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Par Dessalines Ferdinand

Après la période de flottement qu’a connu notre pays au lendemain de la démission du Premier ministre Ariel Henry, un Conseil de Transition vient de voir le jour. Son objectif? Nommer au plus vite un nouveau Premier ministre ainsi qu’un gouvernement inclusif qui aura pour difficile tâche de restaurer la paix et d’organiser au plus tôt des élections libres et transparentes. La population, sceptique et ayant perdu toute confiance dans les institutions politiques, attend de voir.

Un Conseil de Transition voit le jour pour reprendre le pays en main

Que l’accouchement fût dur! Après des semaines d’atermoiements et de palabres sans fin dont nos politiciens nous ont toujours habitués, un Conseil présidentiel de Transition ad hoc a pu voir le jour. Des représentants des principaux partis politiques ainsi que des membres de la société civile et du secteur civil font partie du nouveau conseil dont le mandat doit prendre fin en 2026.

Un mariage forcé entre différents courants qui ne vont pas nécessairement cohabiter dans une atmosphère calme et constructive comme la situation actuelle l’impose. Car oui, si sur le fond, tous les Haïtiens sont d’accord pour l’implémentation d’une structure gouvernementale provisoire qui guidera le pays vers une sortie de crise, cela doit se faire dans les règles de l’art. Remettre les destinées du pays entre les mains de ceux-là mêmes qui l’ont précipité dans l’abîme serait une grave erreur. Or, lorsque l’on voit la composition du Conseil de Transition, le premier constat qui saute aux yeux et que ses membres sont tous connus du grand public. Dit plus simplement, on fait du neuf avec du vieux.

Mais il y’a pire. Les conditions dans lesquelles le conseil a été créé laissent à penser que rien n’a changé, et que les maux qui rongent notre monde politique sont plus que jamais d’actualité. Un exemple parmi d’autres, alors que l’ancien Premier ministre Ariel Henry devait officialiser par décret la constitution du nouveau conseil de transition, ce dernier a essayé par tous les moyens et jusqu’à la dernière minute de torpiller le processus. Ainsi, alors que le décret qu’il a signé vendredi dernier annonçait l’instauration officielle d’un conseil de transition, les membres de ce conseil ont été désagréablement surpris, en lisant le décret, d’y trouver de nombreux amendements qui dénaturent la nature même de l’accord, fruit de ‘’laborieuses négociations’’ selon les propres termes des différentes parties prenantes.

Le décret étonne tout d’abord par son ambigüité, à l’image du Premier ministre qui l’a signé. Ainsi, aucune mention des noms composant le nouveau conseil, ce qui ouvre la porte à toutes sortes de magouilles auxquelles nos dirigeants nous ont habitués. Pourtant les noms sont connus : Edgard Leblanc Fils, représentant Collectif du 30 janvier; Leslie Voltaire, Fanmi Lavalas; Smith Augustin, EDE/RED; Fritz Alphonse Jean, représentant de l’Accord Montana; Emmanuel Vertilaire, Pitit Dessalines; Dr Louis Gérald Gilles Accord du 21 décembre; Laurent St Cyr, représentant du Secteur des entreprises privées. Beaucoup pensent qu’en agissant ainsi, Ariel Henry cherche à venger sa sortie humiliante de la scène politique. Signe que les combines nauséabondes ont déjà commencé en coulisse, le gouvernement sortant de Mr Ariel Henry a invité les nouveaux membres du conseil provisoire à apporter les pièces requises avant d’être officiellement nommés au sein dudit conseil. Une façon de gagner du temps, mais aussi de jouer avec les nerfs des principaux intéressés. Alors qu’il y’a urgence, Ariel Henry qui est déjà hors-jeu a trouvé là une nouvelle façon de nuire à son pays. L’histoire retiendra!

Qu’en pense la communauté internationale?

À peine le décret publié au journal officiel Le Moniteur, la communauté internationale s’est empressée de saluer ce nouvel accord paraphé dans la douleur, comme pour exprimer son soulagement après des mois d’incertitudes. La CARICOM, qui a joué le rôle de facilitateur lors des tables rondes, a été la première à manifester sa satisfaction après la publication du décret. L’ONU, à travers son Secrétaire général Antonio Guterres, a également félicité Haïti pour ce pas positif vers la réconciliation nationale, de même que les États-Unis, qui se sont empressés de débloquer 60 millions de dollars pour soutenir la mission de stabilisation qui doit normalement être dirigée par le Kenya. La réaction du Kenya était par ailleurs très attendue, puisque son Président, Mr William Ruto, avait conditionné toute intervention par l’instauration préalable d’un gouvernement légitime. À voir maintenant si le Président Kenya va tenir parole, où s’il va trouver une nouvelle excuse pour renvoyer aux calendes grecques l’envoi de policiers censés soutenir la PNH dans la lutte contre le crime organisé.

Le soulagement de la communauté internationale contraste avec la prudence affichée par la population haïtienne dans son ensemble qui ne connaît que trop bien l’hypocrisie et les fourberies de sa classe politique. ‘On attend de voir’ était d’ailleurs le mot qui revenait à la bouche de la majorité des Haïtiens au lendemain de l’annonce du décret. Les 9 membres du futur conseil de transition n’allaient pas tarder à leur donner raison en dénonçant les modifications apportées à l’accord, sans leur consentement. Ils exigent que le décret se base sur les accords du 3 avril, s’étonnant que le gouvernement démissionnaire d’Ariel Henry ait pris la liberté d’apporter des changements unilatéraux, sans avoir consulté quiconque. Alors qu’Ariel Henry et son gouvernement devaient faciliter la transition, les voilà qu’ils compliquent les choses. Ariel Henry, en manipulant à la dernière minute les termes du décret de transition, a non seulement confirmé les pires craintes, mais a aussi prouvé que le vieux système de magouilles et de coups bas reste en vigueur. Les hommes changent, mais la réalité sur le terrain reste la même : faire passer les intérêts personnels et le maintien au pouvoir avant le bien commun. C’est pourquoi le scepticisme de nos concitoyens, loin d’être un simple pessimisme, est un signe de lucidité face à une classe politique qui joue les équilibristes au-dessus du vide.

Et pendant ce temps, les massacres des gangs continuent.

Plus aucun lieu n’est à l’abri d’une attaque des groupuscules armés. L’Hôpital de L’Université d’État D’Haïti, censé être un refuge pour les malades, s’est transformé en un stand de tir pour les malfrats qui voulaient en découdre avec les forces de l’ordre. D’ailleurs, à l’heure où nous écrivons ces lignes, les portes de l’hôpital sont toujours fermées, et son directeur n’envisage pas de les ouvrir de sitôt.

Certains Haïtiens croyaient que les gangs allaient au moins craindre le Bon Dieu et ne pas oser s’attaquer aux lieux de culte. Erreur! Les fidèles de l’Oratoire de Saint-Charbel en ont fait l’amère expérience, puisque beaucoup d’entre eux ont été kidnappés par des hommes armés, quand d’autres ont été brutalisés.

Bâtiments culturels et éducatifs, ministères, Palais Présidentiel, plus aucun lieu n’est sécurisé, à part quelques missions diplomatiques comme celles des États-Unis, du Canada, ou de la France qui font appel à des commandos aguerris. La situation est devenue telle que le ministre des Affaires étrangères de la République dominicaine, Mr Roberto Alvarez Gil, craint un débordement de la violence vers son pays. Mr Gil et son patron, Luis Abinader, ont pourtant été avertis que construire un mur de séparation était loin d’être une solution, et qu’il fallait traiter la crise haïtienne de manière plus sérieuse.

Quant au Conseil Présidentiel de Transition, rien n’indique qu’il pourra résoudre la crise haïtienne sur le court terme sachant que ses membres sont fabriqués dans le même moule que les politiciens corrompus qui se sont succédé à la tête de notre pays depuis la chute de la Dynastie des Duvaliers.

L’ONU, la CARICOM, les États-Unis et l’ensemble de la communauté internationale doivent comprendre que le problème haïtien ne pourra être résolu que par les Haïtiens qui sont les seuls à bien connaître la réalité du terrain. Or, les Haïtiens disent que les futurs dirigeants doivent avoir un CV vierge de tout lien avec les politiciens actuels, quitte à aller les chercher à l’autre bout du monde. Autrement, si on ne change pas d’approche et qu’on répète les mêmes erreurs, on continuera à tourner en rond. Comme disait le célèbre physicien Einstein : on ne peut pas continuer à faire la même chose et s’attendre à des résultats différents.

Dessalines Ferdinand
Le Floridien, 14 avril 2024

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