CPT : Fritz Jean monte à bord du Titanic

Date:

Leslie Voltaire sort discrètement par la petite porte, presque en catimini, pendant que Fritz Alphonse Jean entre, le sourire aux lèvres et les bras chargés de promesses. Un va-et-vient qui ressemble de plus en plus à une pièce de théâtre absurde, sauf que personne ne sait si le rideau tombera un jour sur ce Conseil Présidentiel de Transition (CPT). Et pendant ce temps, nos compatriotes, à la fois lassés et résignés, assistent impuissants à cette comédie politique qui perdure.

Il faut dire que cette histoire du CPT avait mal commencé. Avant même sa mise en place, les querelles intestines en coulisses laissaient présager le pire. Le pays s’est donc retrouvé, du jour au lendemain, avec neuf membres désignés pour restaurer un semblant d’ordre, remettre un État en marche, organiser des élections, rétablir la sécurité… Bref, tout un programme. On s’est dit qu’en mettant une équipe collégiale au lieu d’un seul chef, les choses allaient peut-être avancer. Au final, on se retrouve avec des luttes d’influence, des dirigeants aux égos surdimensionnés et une impression persistante que tout cela ne mène nulle part. On a l’impression que personne ne détient le pouvoir, et qu’il n’existe aucun plan clair pour sortir le pays de la crise où il se trouve. À croire que le CPT attend les ordres de l’extérieur pour agir.

Cela pourrait en tout cas expliquer le bilan négatif du Président sortant, Leslie Voltaire. Certes, l’homme avait le profil d’un technocrate sérieux, posé, presque ennuyeux, mais justement, c’était ce qu’on voulait. Tout le monde voulait éviter la venue d’un nouveau pyromane politique, ou d’un politicien guidé par les réseaux mafieux. Le but était de privilégier un profil qui allait tenir la boutique en attendant mieux. Mais à l’instar de ses prédécesseurs, Leslie a fini broyé par le système. Au point que personne ne regrette son départ. Après des mois à essayer de tenir la barre du navire en pleine tempête, Voltaire quitte la présidence sans gloire.

À sa place, Fritz Alphonse Jean. Encore un revenant du cimetière politique haïtien. Cet économiste de formation, ancien gouverneur de la Banque centrale, a toujours su tirer son épingle du jeu dans les pires circonstances. Certains disent qu’il est brillant. D’autres qu’il est rusé. Mais tout le monde s’accorde : il sait où il met les pieds. Il connaît les rouages et les intrigues du pouvoir. Il est surtout conscient que les alliances fragiles et les trahisons en coulisse vont pourrir son mandat du début à la fin. Mais qu’importe, le plus important, c’est d’occuper un poste prestigieux, même si c’est pour quelques mois. Ça fera une fonction de plus sur son CV.

Car au fond, que propose Fritz Jean ? Une feuille de route floue, une promesse d’élections (encore et toujours), un « dialogue inclusif » (une façon de dire des réunions interminables où chacun défend ses petits intérêts). Rien de nouveau sous le soleil. Sauf que toute cette comédie nous fait perdre un temps précieux. Le peuple haïtien regarde tout cela avec des yeux fatigués. Certains préfèrent ne plus regarder du tout. Cette valse des présidents par intérim, des chefs de transition et des gouvernements provisoires est devenue incompréhensible pour le commun des mortels.

Pendant que nos leaders politiques s’amusent à jouer à la chaise musicale, les gangs contrôlent plus de la moitié du territoire et continuent de s’étendre. La capitale est devenue un champ de bataille. Les écoles ferment, les hôpitaux sont à l’agonie, et les Haïtiens fuient par milliers sur des embarcations de fortune, vers des horizons où ils ne sont pas les bienvenus. Ce Conseil Présidentiel de Transition, censé être une réponse à la crise, est devenu une partie du problème. Pas de cap clair. Pas de leadership assumé. Juste une juxtaposition de petits chefs qui se méfient les uns des autres, paralysant toute décision majeure. Et avec la sortie de Leslie Voltaire, c’est un peu l’illusion d’un certain sérieux qui s’effondre.

Au fond, cette histoire du CPT résume assez bien le chaos politique dans lequel nous vivons depuis des décennies. Le CPT nous offre une expérience grandeur nature sur ce qui arrive quand les institutions se désagrègent complètement. Ce Conseil Présidentiel de Transition est un OVNI institutionnel : un groupe non élu, sans légitimité réelle, qui gouverne un pays en lambeaux. Une situation inédite dans l’histoire moderne.

Fritz Alphonse Jean sera-t-il celui qui remettra de l’ordre.. ? Peu y croient. Il parle, il promet, mais au bout du compte, il n’a pas plus de leviers que ses prédécesseurs. Le vrai pouvoir, tout le monde le sait, est dans les mains des gangs armés, des trafiquants, des milices privées, voire certaines puissances étrangères qui jouent leur propre partition dans le chaos haïtien. Et rien n’indique que la comédie va s’arrêter là. Le CPT pourrait durer encore des mois. Ou disparaître du jour au lendemain dans un nouveau coup de théâtre. Certains murmurent même qu’un retour à un pouvoir militaire n’est plus une hypothèse taboue, notamment au sein de la bourgeoisie haïtienne lassée par l’anarchie ambiante.

En attendant, Leslie Voltaire est rentré chez lui, peut-être soulagé d’en finir. Fritz Alphonse Jean s’installe dans un fauteuil qui ressemble plus à une chaise électrique qu’à un trône. Et les Haïtiens, eux, continuent d’attendre. Une élection, un vrai président, un État qui fonctionne… ou peut-être simplement un jour sans mauvaise nouvelle.

Stéphane Boudin

(Visited 1 times, 1 visits today)

LEAVE A REPLY

Please enter your comment!
Please enter your name here

More like this
Related

Haïti Face à des Restrictions de Visa Sévères : Seuls Diplomates et Hommes d’Affaires Exemptés ?

Washington D.C. (Le Floridien) – L’administration Trump envisage de...

Des Gangs Incendient les Locaux de Radio Télévision Caraïbes en Plein Cœur de Port-au-Prince

(Le Floridien) -- Dans la la nuit du mercredi...

Corruption au sein du CPT : Le RNDDH exige l’exclusion de trois membres controversés

(Le Floridien) - Le Réseau national de défense des...

Haitian Gang Leaders, Beware: The U.S. is a Trap, Not a Refuge – The Jean-Baptiste Case

Boston (LeFloridien) - The recent arrest of Wilbert Jean-Baptiste...
error: