Déportation des Haïtiens : Biden face à ses contradictions

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Par Stéphane Boudin

Biden serait-il en train de renier ses promesses électorales ? Au vu des récents événements, on serait tenté de répondre par l’affirmatif. Dans une démarche qui a profondément déçu la communauté haïtienne, l’administration Biden a récemment repris les expulsions vers Haïti, alors que le pays est actuellement déchiré par une violence inouïe combinée à une profonde instabilité politique. Ces déportations soulèvent une vague d’indignation bien au-delà de la communauté haïtienne, surtout lorsqu’on considère la situation dangereuse qui prévaut actuellement en Haïti, et qui est pire que celle de certains pays en guerre. Car disons-le franchement, Haïti est en guerre. En guerre contre les gangs. En guerre contre les politiciens corrompus. En guerre contre la pauvreté endémique.

Rien que cette année, on estime que plus de cinquante mille Haïtiens ont été forcés de fuir leurs foyers à Port-au-Prince suite à la montée en flèche des violences. La situation est devenue chaotique et totalement hors de contrôle depuis qu’Ariel Henry a pris le pouvoir. D’ailleurs, beaucoup en veulent à l’ex-Premier ministre et le tiennent pour responsable de l’aggravation de la situation, lui qui a préféré laisser l’État s’effondrer plutôt que d’abandonner son poste. Aujourd’hui, chaque haïtien qui en a les moyens cherche à quitter le territoire au plus vite. C’est devenu une question de vie ou de mort.

Face à cela, et alors qu’on s’attendait à un assouplissement de la politique migratoire de l’administration Biden envers les haïtiens, c’est tout le contraire qui s’est produit. En dépit des appels incessants de 500 organisations pour un arrêt complet des déportations, Washington a continué à organiser des vols d’expulsion, renvoyant les Haïtiens vers ce qui peut être considéré comme une zone de guerre. De récents vols ont ainsi ramené des dizaines de sans-papiers au Cap-Haïtien complètement désespérés après des mois, parfois des années de sacrifices pour fouler le sol américain. Les États-Unis ne sont d’ailleurs pas les seuls, puisque d’autres nations de la région comme la République dominicaine leur ont emboité le pas et expulsent manu militari les réfugiés haïtiens.

Comment expliquer une telle attitude froide face à un peuple qui souffre dans sa chair et qui a plus que jamais besoin de soutien ? À chaque fois qu’on espère entendre une bonne nouvelle, un signe d’ouverture de l’administration américaine, c’est tout le contraire qui se produit. Dernièrement, le secrétaire à la Sécurité intérieure, Alejandro Mayorkas, a ainsi explicitement déclaré que l’administration n’envisageait pas de renouveler ni d’étendre le Statut de Protection Temporaire pour Haïti, malgré les conditions alarmantes sur le terrain. Cette décision a été perçue comme une trahison des valeurs humanitaires, surtout que les États-Unis ont historiquement offert refuge et protection à ceux fuyant la persécution et les conflits graves.

Le plus étonnant est que les démocrates sont connus pour être plus souples que les républicains lorsqu’il s’agit d’accueillir les réfugiés et les demandeurs d’asile. Alors, pourquoi ce durcissement soudain ? Pourquoi un tel revirement ? La réponse est certainement à aller chercher du côté de l’élection présidentielle qui se profile et qui se tiendra le 5 novembre prochain. La nouvelle politique migratoire rigoureuse semble en effet être une stratégie du camp démocrate pour attirer les électeurs républicains indécis, au risque de s’aliéner la communauté haïtienne, particulièrement en Floride où elle représente pourtant un bloc électoral significatif.

Au-delà des considérations électorales, les implications de telles politiques sont aussi d’ordre moral. Biden devrait réexaminer son approche envers Haïti ne serait-ce que pour l’histoire qui unit les deux pays. Un assouplissement étudié et réfléchi est bienvenu et ne sera certainement pas oublié par la communauté haïtienne, notamment en période électorale. Pour le moment, les expulsions vers Haïti par l’administration Biden montrent plutôt une mauvaise évaluation de la situation sur le terrain, en plus de tester les principes sur lesquels les États-Unis prétendent se fonder.

Cela dit, soyons honnêtes. Il est essentiel de ne pas se limiter à la critique juste pour critiquer lorsqu’on évalue la politique migratoire actuelle de l’administration Biden. Nous savons qu’ouvrir totalement les frontières pourrait être perçu comme un appel d’air incitant davantage de personnes à entreprendre des voyages dangereux dans l’espoir d’une vie meilleure. C’est pourquoi toute politique migratoire doit être réfléchie et équilibrée. Le président Biden, élu par les citoyens américains, a en effet le droit de protéger les frontières de son pays, ce qui est une de ses responsabilités primordiales en tant que Chef des armées. On ne remet pas en question ici les choix de Biden sur le fond du sujet, mais plutôt sur la forme.

Car il ne faut pas l’oublier, Haïti est un pays voisin, un pays ami, dont l’histoire se confond avec celle des États-Unis. Si les Haïtiens s’insurgent contre les expulsions, c’est surtout pour montrer leur déception générale face à l’oubli du cas haïtien à Washington. Là où l’Ukraine reçoit des aides substantielles de plusieurs milliards de dollars, Haïti ne reçoit que des gouttes.. et encore ! Et qu’on ne vienne pas nous dire que la corruption en Haïti est la cause, car la corruption en Ukraine est également érigée en sport national, et cela n’a pas découragé les américains pour autant. Et c’est justement ce deux poids deux mesures qui nous dérange et nous interpelle.

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