La communauté haïtienne établie aux États-Unis en général, et celle de Floride en particulier, se sent soulagée à l’issue de la dernière élection présidentielle US qui a vu la victoire de Joe Biden sur Donald Trump. Comme la plupart des Américains, les Haïtiens de Floride ont retenu leur souffle au gré du dépouillement des bulletins de vote. Ce n’est qu’après avoir eu la certitude que la Pennsylvanie était acquise à l’ancien bras droit d’Obama que les Haïtiens ont pu laisser éclater leur joie.
Cependant, le sentiment des Haïtiens de Floride est mitigé puisqu’ils auraient aimé que Biden remporte aussi le Sunshine State. Car contrairement aux différents sondages, la Floride est restée entre les mains de Trump qui a remporté 51,2% des voix contre 47,8% des voix pour son rival, soit un écart de presque 400000 voix. Le Président sortant a même amélioré son score en Floride par rapport à 2016. Cette victoire de Trump n’étonne pas pour autant les experts politiques. Dans nos précédents articles, on avait à maintes reprises mis en garde contre un certain laisser-aller des démocrates en Floride, surtout vis-à-vis de la communauté haïtienne. Mais comme il était dit que cette élection n’allait ressembler à aucune autre, c’est la première fois qu’un Président américain est élu sans remporter l’Ohio et la Floride.
Pour revenir à la défaite de Biden en Floride, un zoom sur le comté de Miami-Dade s’impose. Dans ce comté qui est le plus peuplé de Floride, on constate que les voix des Haïtiens, des Mexicains et des Africains sont allées vers Biden, alors que Trump a pu compter sur le soutien sans faille des Cubains et des Vénézuéliens qui continuent à faire l’amalgame entre les démocrates et le socialisme autoritaire de leur pays d’origine. Dans ce comté hautement stratégique, Trump a pu limiter les dégâts, surtout que Biden a eu un score bien inférieur à celui d’Hilary Clinton 4 ans plus tôt avec seulement 53.3% des voix. Au-delà de Trump, l’autre grand perdant de cette élection est sans aucun doute les instituts de sondage qui ont une fois de plus complètement raté le coche. Alors qu’ils projetaient un raz-de-marée de Biden au niveau national et une victoire serrée en Floride, rien ne s’est passé comme prévu. Au lieu de cela, les démocrates ont établi une performance particulièrement décevante dans notre État.
La clé de cet échec est sans doute à aller chercher du côté de la communauté hispanique qui fut plus sensible au discours de Trump sur la prospérité et l’économie qu’à celui de Biden qui a préféré se focaliser sur les dangers du Covid. Les électeurs ont donc eu l’impression d’avoir un candidat qui véhiculait des messages pessimistes d’un côté et optimistes de l’autre, même si ces derniers étaient pleins de mensonges et de contre-vérités. Ce qui est sûr, c’est que la défaite de Biden en Floride a été ressentie comme un véritable électrochoc dans le camp démocrate qui va devoir complètement revoir sa stratégie sur place. Il ne peut plus considérer l’électorat ethnique comme un seul bloc monolithique facile à conquérir. Chaque communauté a ses préoccupations et ses besoins propres. Les attentes des Haïtiens de Floride ne sont pas les mêmes que celles des Cubains ou des Mexicains, et vis-versa.
L’autre raison de l’échec des démocrates en Floride s’explique par un investissement tardif et irrégulier. Les hommes de Biden ont ainsi attendu les dernières semaines pour venir courtiser les communautés influentes comme la communauté haïtienne, au lieu de mener une campagne de sensibilisation plus précoce et sur une longue durée. Pendant ce temps-là, l’équipe de Trump menait une campagne bien huilée avec des slogans fédérateurs comme “Latinos for Trump”. Faut-il aussi souligner que le parti démocrate a investi beaucoup plus d’argent sur l’électorat blanc que sur l’électorat ethnique. Et là encore, ce fut une grave erreur, puisque les minorités se sont senties oubliées par l’équipe Biden alors que leur vote est tout aussi décisif. Les démocrates n’ont compris que tardivement leur maladresse. Ils ont bien essayé de se rattraper en envoyant l’artillerie lourde vers la Floride, notamment Obama et Biden qui sont venus en personne remotiver les troupes, mais le mal était déjà fait.
Espérons que les démocrates retiendront la leçon de cette nouvelle défaite présidentielle en Floride et qu’ils n’attendront plus le dernier moment pour aller courtiser le vote des minorités. Il ne suffit pas de verser des centaines de millions de dollars pour gagner une élection. Il faut que cet argent soit utilisé de manière intelligente en suivant le bon timing. Comme dit l’adage, l’argent ne fait pas le bonheur. Biden a dépensé deux fois plus d’argent que Trump en Floride, voire trois fois plus durant les 3 dernières semaines de la campagne. Et malgré cela, il a subi une cuisante défaite qui aurait pu lui couter l’élection s’il n’avait pas remporté d’autres États cruciaux comme la Pennsylvanie ou le Michigan. Si les démocrates ne retiennent pas la leçon et continuent dans la même logique, rien ne dit que Trump ne reviendra pas au pouvoir dans 4 ans, avec toutes les conséquences que cela implique.
Stéphane Boudin
