Alors que l’on se dirigeait tout droit vers un duel Biden-Trump aux allures de revanche, le débat calamiteux de l’actuel locataire de la Maison-Blanche a rebattu les cartes de manière inattendue. Mis sous pression par son propre camp pour qu’il cède sa place, Biden a fini par jeter l’éponge, laissant à sa Vice-présidente le soin de reprendre le flambeau pour représenter le Parti Démocrate lors des élections présidentielles du 5 novembre prochain. Un retournement de situation qui affecte également la communauté haïtienne qui doit dorénavant étudier le profil et les propositions de la nouvelle candidate avant de se prononcer.
Biden et les Haïtiens : actions lentes et tardives
Alors que le Président Biden arrive à la fin de son mandat, les Haïtiens qui ont voté pour lui dressent un bilan mitigé, avec un sentiment oscillant entre déception et amertume. Concernant les Haïtiens sans papiers vivant aux États-Unis par exemple, et alors qu’on s’attendait à un assouplissement de son administration, c’est tout le contraire qui s’est produit.
Les expulsions se sont accélérées à un rythme effréné, avec des chiffres dépassant même ceux à l’époque de Trump. Ce n’est que dernièrement que l’administration Biden a décidé de mettre à jour le statut de protection temporaire, permettant à 300.000 sans-papiers haïtiens de sortir de la clandestinité alors qu’ils étaient sous la menace d’expulsion.
L’autre grande déception concerne la nonchalance avec laquelle l’administration Biden a traité la crise haïtienne, préférant s’investir dans des conflits sous d’autres tropiques plutôt que d’aider notre pays à mettre fin aux violences des gangs. Là encore, ce n’est qu’à la fin de son mandat que Biden a réalisé que la sécurité d’Haïti et des États-Unis étaient liés. Il a donc concocté un plan pour le moins original, à défaut d’être efficace, basé sur le déploiement d’une force internationale menée par un contingent de 1000 policiers kényans. Rechignant à envoyer des troupes une nouvelle fois en terre hostile, Biden a préféré sous-traiter cette mission délicate, espérant ainsi stabiliser Haïti sans mettre en danger la vie de ses soldats, ceci afin de conserver intactes ses chances de réélection.
Les actions de Biden en faveur de l’électorat haïtien ont mis du temps à se concrétiser et sont venues trop tard. À croire que Biden avait planifié à l’avance qu’il allait agir seulement à la fin de son mandat, une façon de marquer le coup à la veille des élections en montrant qu’il a tenu ses promesses, et remporter ainsi la mise.
Sauf que le karma politique est passé par là et a fini par vite remettre les pendules à l’heure. Le naufrage de Joe Biden en direct à la télévision a précipité sa chute, laissant un arrière-goût de travail inachevé à la communauté haïtienne. À Kamala Harris de convaincre maintenant qu’elle peut faire mieux que Biden, sachant qu’elle était sa Vice-présidente, et donc tout aussi responsable des actions de son gouvernement.
Kamala Harris, un profil qui plait aux Haïtiens… mais !
Née en 1964 à Oakland d’un père originaire de Jamaïque et d’une mère originaire du Tamil Nadu en Inde, Kamala Harris incarne la réussite du rêve américain. Tout comme Obama, qui vient d’ailleurs de lui accorder son soutien, Kamala Harris a connu une ascension politique fulgurante. Diplômée en science politique à l’université Howard et en common law à l’école de droit Hastings de l’université de Californie, elle a été pendant presque 7 ans procureure du district de San Francisco, avant de devenir la 32e procureure générale de Californie entre 2011 et 2017, devenant ainsi la première femme dans l’histoire américaine à occuper ce poste. En 2017, elle entre au Sénat, faisant partie de la Commission du renseignement, ainsi que la Commission sur la sécurité intérieure. Le 18 janvier 2021, elle fait un pas de géant dans sa courte, mais riche carrière politique, devenant la 49e vice-présidente des États-Unis, mais surtout la première femme à occuper ce poste prestigieux.
Tout au long de son parcours, Harris s’est bâtie une réputation de défenseuse des opprimés. Son implication dans les réformes de la justice pénale et ses prises de position en faveur des droits des minorités sont autant de qualités qui pourraient plaire à l’électorat haïtien. Si l’engagement de Harris pour les droits des immigrés et la justice sociale est indéniable, la future candidate démocrate doit encore prouver que ces valeurs peuvent être traduites en actions politiques tangibles. La communauté haïtienne, souvent oubliée jusqu’à la veille des élections présidentielles, ne veut plus être considérée comme un simple enjeu électoral à court terme, mais plutôt comme une voix influente et respectée. Il faut que Kamala Harris comprenne que les électeurs d’origine haïtienne demandent, aujourd’hui plus que jamais, une attention et un engagement constants. Finis les promesses sans lendemain et les visites éclair à Little Haïti pour gratter quelques voix en espérant rafler la Floride ou d’autres états après des mois, voire des années d’absence.
Que doit faire Kamala Harris pour convaincre l’électorat haïtien
La prochaine candidate à la présidence des États-Unis devra manifestement éviter les erreurs du passé et adopter une nouvelle approche basée sur la confiance et le respect pour espérer séduire l’électorat d’origine haïtienne. Notre communauté, bien qu’elle ne soit pas la plus importante en termes de nombre, peut jouer un rôle clé dans certains États pivots comme la Floride. Les fameux swing states.
Kamala Harris devra tout d’abord montrer une compréhension approfondie des enjeux spécifiques qui touchent la communauté haïtiano-américaine. Cela implique de s’intéresser de plus près à la crise qui prévaut actuellement en Haïti et qui reste une de nos préoccupations majeures. Car si notre pays est pacifié et reconstruit, les autres problèmes, comme l’immigration clandestine, n’auront plus lieu d’être.
La question de l’aide humanitaire et du soutien à la reconstruction d’Haïti sera également centrale. Kamala Harris devra s’engager à améliorer l’assistance américaine, tout en veillant à ce que cette aide soit efficace et atteigne réellement ceux qui en ont besoin. Elle pourrait proposer des programmes innovants de coopération, impliquant directement la diaspora haïtienne dans les efforts de développement et de reconstruction. L’autre point clé auquel les Haïtiens tiennent beaucoup est la non-ingérence dans les affaires internes de notre pays. Car aider ne veut pas dire imposer un gouvernement et une politique interne, comme ce fut souvent le cas durant ces dernières décennies.
La future candidate devra également s’engager à renforcer les liens économiques entre les États-Unis et Haïti. Cela pourrait inclure des initiatives visant à encourager les investissements américains en Haïti, ainsi que des programmes de développement économique ciblés. Elle pourrait ainsi proposer des partenariats commerciaux équitables qui bénéficieraient aux deux pays, tout en mettant l’accent sur la création d’emplois et le développement durable.
Localement, et si Kamala Harris arrivait à accéder au pouvoir, elle devra s’attaquer aux problèmes de discrimination et de racisme systémique auxquels sont confrontés de nombreux Haïtiano-Américains. La candidate démocrate devra présenter un plan concret pour lutter contre ces injustices, que ce soit dans le domaine de l’emploi, du logement ou de l’éducation. Étant elle-même issue de l’immigration, elle comprend certainement les défis uniques auxquels fait face notre communauté.
La candidate ne devra pas non plus négliger l’importance de la représentation. S’entourer de conseillers issus de la communauté haïtiano-américaine enverra un signal fort que la voix de cette communauté sera entendue et respectée. À l’instar de Karine Jean-Pierre devenue porte-parole de la Maison-Blanche, il y’a aujourd’hui de nombreux Haïtiens talentueux et formés qui peuvent briguer des postes clés au sein de la future administration.
Ce n’est qu’en adoptant cette approche multidimensionnelle que Kamala Harris pourra démontrer son engagement sincère envers la communauté haïtiano-américaine. Et contrairement à d’autres Présidents avant elle, elle devra veiller à ce que ces promesses ne soient pas perçues comme de simples manœuvres électorales, mais comme un véritable engagement à long terme pour l’amélioration des conditions de vie de notre communauté, ainsi que pour le renforcement des liens entre les États-Unis et Haïti.
Dessalines Ferdinand
Le Floridien, 31 juillet 2024