Et si la communauté internationale avait tort de soutenir Jovenel Moïse

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Comme disait le romancier Victor Cherbulier, la confiance ne se donne pas, elle se mérite. La communauté internationale a ainsi voulu donner une chance à Jovenel Moïse pour qu’il prouve qu’il est capable de sortir le pays de son marasme. Il est vrai que sur le papier, le plan du Président haïtien semblait séduisant : aligner des élections à tout-va pour impliquer davantage la population dans le processus de transition démocratique et remodeler la carte politique du pays. Il faut dire que depuis la dissolution du parlement qui n’était plus opérationnel, le pays fonctionnait en pilotage automatique. Jovenel Moïse a alors profité de cette brèche constitutionnelle pour s’arroger les pleins pouvoirs. Et le moins que l’on puisse dire est qu’il s’est fait plaisir dans son nouveau rôle d’autocrate habillé en démocrate. En effet, en gouvernant par décrets, Jovenel Moïse pensait avoir trouvé une astuce pour diriger le pays comme bon lui semblait, sans rencontrer de résistance ou de critiques face à ses décisions puisque l’opposition parlementaire avait totalement disparu de la carte.

Sauf que cette façon de faire n’a pas été du goût de la communauté internationale qui le lui a clairement fait savoir. L’administration Trump, pourtant connue pour être conciliante envers les régimes autoritaires, a émis des réserves concernant les dérapages dans la manière de gouverner de Jovenel Moïse. L’ONU a également exprimé ses inquiétudes face aux dérives constatées. Le pays commençait clairement à glisser doucement mais surement vers la dictature. Face aux inquiétudes suscitées, Jovenel Moïse s’est voulu rassurant. En bon stratège politique qu’il est, et réputé pour être un excellent manipulateur, le Président haïtien a sorti un nouveau tour de magie en faisant apparaître de son chapeau le référendum.

Sans même consulter les Haïtiens ni demander leur avis, il a en effet décidé de réformer la constitution. Le 28 octobre dernier, par un arrêté en Conseil des ministres et devant la stupéfaction de tous, le CCI est né. Le CCI, c’est le Comité Consultatif Indépendant. Officiellement, cet organe créé de toute pièce par le régime en place a pour mission d’élaborer le projet de la nouvelle Constitution. Le but étant de corriger les dysfonctionnements des pouvoirs et améliorer les mécanismes de décentralisation. Mais surtout, le CCI a pour obligation de demander conseil auprès des experts et tous les secteurs de la vie publique avant de rédiger son avant-projet. Ça, c’est pour la théorie. Car dans la pratique, le CCI ne fait qu’exécuter le plan de Jovenel Moïse qui consiste à renforcer le pouvoir présidentiel.

Face au tollé provoqué par ce passage en force, celui que l’on surnomme Nèg Bannan Nan s’est voulu rassurant en expliquant qu’il ne comptait pas se représenter l’année prochaine aux élections présidentielles. En clair, il veut faire croire que la nouvelle constitution est un legs qu’il veut laisser pour les générations futures. Sauf que ses détracteurs y voient une façon déguisée de maintenir ses proches alliés au pouvoir, à savoir les poids lourds du parti Tèt Kale. Les observateurs pensent notamment à Michel Marlelly qui est proche du Président actuel et qui pourrait faire un come-back inespéré.

Car peu de gens le savent, mais la future constitution prévoit d’ouvrir les portes aux anciens responsables comme Martelly qui sont aujourd’hui non éligibles puisqu’il ne disposent pas de l’autorisation nécessaire connue sous le nom de décharge du parlement. Or, comme l’a si bien dit le Chef du parti Tèt Kale Mr Balthazar, qui devrait pourtant être du côté de Jovenel Moïse, le rôle du Président n’est pas de changer la constitution, mais d’assurer le fonctionnement des institutions en vertu de la constitution de 1987. En clair, tout ce remue-ménage orchestré par le Président de la République est illégal et ne repose sur aucune base juridique.

Malheureusement, les alliés internationaux d’Haïti sont tombés dans le piège de Jovenel Moïse tête baissée. Presque tous ont été roulés dans la farine. Maintenant qu’ils commencent à comprendre les desseins du Président, ils se montrent beaucoup moins enthousiastes à l’idée de soutenir un référendum de plus en plus impopulaire. Ainsi, 69 membres du Congrès ont publiquement manifesté leurs inquiétudes face à l’organisation du référendum qu’ils trouvent inapproprié vu la situation dans laquelle se trouve le pays actuellement, mais surtout vu la manière dont le pouvoir compte l’organiser. Même son de cloche du côté de l’ONU qui se montre beaucoup moins enthousiaste qu’auparavant, bien que ce soit l’ONU qui soit chargée de collecter les fonds pour mener à bien les prochaines élections.

Jovenel Moïse quant à lui continue à pousser pour que le référendum ait lieu coûte que coûte. Pour lui, c’est la survie de son clan qui en dépend. On comprend mieux maintenant pourquoi il est si pressé de faire adopter les nouveaux textes. Il veut faire le ménage avant son départ le 7 février 2022 afin de faire perpétuer le “système” qu’il disait lui-même vouloir combattre il n’y a pas si longtemps. Les Haïtiens savent maintenant que Moïse a trouvé là un nouveau moyen de conserver le pouvoir indéfiniment à travers son camp politique de Tet Kale.
Roublard, Jovenel Moïse a donc réussi à séduire ses alliés internationaux en enrobant son projet constitutionnel par des allusions aux droits de l’homme et aux libertés. Mais plus on creuse, plus on retrouve des ambiguïtés dans les textes proposés, notamment en ce qui concerne les pouvoirs excessifs dont disposerait l’exécutif. Une constitution se prépare dans le calme et la sérénité, et non dans la précipitation et le chaos comme on le voit en ce moment. Au final, on risque de se retrouver, comme beaucoup le redoutent, avec un texte archaïque qui nous ramènerait en arrière et constituerait un grave danger pour notre démocratie déjà fragile. La communauté internationale s’en rend compte seulement maintenant. Espérons qu’il ne soit pas trop tard et qu’elle pourra sauver ce qui peut l’être.

Stéphane Boudin

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