(Le Floridien) –Le monde culturel haïtien est en deuil. Frankétienne, monument de la littérature et des arts, s’est éteint ce jeudi 20 février 2025 à l’âge de 88 ans, laissant derrière lui un héritage inestimable. Poète, dramaturge, romancier, peintre et musicien, il incarnait une vision totale de l’art, où chaque discipline se nourrissait de l’autre, dans une quête inlassable d’expression et de liberté. Son audace créative, son engagement indéfectible et son verbe incandescent ont fait de lui l’une des figures les plus marquantes du patrimoine intellectuel haïtien.
Né 1936 à Ravine-Sèche, un village de Saint-Marc dans l’Artibonite, Jean-Pierre Basilic Dantor Franck Étienne d’Argent, de son véritable nom, a grandi dans un environnement modeste, mais son intelligence précoce et sa soif de savoir le distinguent très tôt. Formé à l’École Normale Supérieure d’Haïti, il excelle en sciences et en littérature, avant d’embrasser une carrière d’enseignant qui marquera des générations d’élèves et d’intellectuels. Pendant plusieurs décennies, il transmettra son savoir avec une passion inébranlable, enseignant les mathématiques et le français, tout en poursuivant son œuvre littéraire et artistique.
Une reconnaissance mondiale pour un génie haïtien
Si son influence est immense en Haïti, elle dépasse largement les frontières de son pays natal. Son talent et son apport à la culture ont été salués à l’international, lui valant de nombreuses distinctions prestigieuses, parmi lesquelles :
- Le titre de Commandeur de l’Ordre des Arts et des Lettres décerné par la République française, en hommage à son immense contribution littéraire.
- Le Grand Prix de la Francophonie de l’Académie française, célébrant l’ensemble de son œuvre.
- Des doctorats honoris causa, notamment de l’Université d’État d’Haïti, ainsi que d’autres institutions internationales, reconnaissant son influence intellectuelle et artistique.
- Des hommages dans de nombreux festivals et institutions culturelles, qui voyaient en lui un penseur visionnaire et un rénovateur du langage.
Pionnier du spiralisme, un mouvement littéraire révolutionnaire, Frankétienne a bouleversé les codes narratifs, mettant en scène un style en perpétuelle effervescence, entre prose et poésie, chaos et harmonie. Il a redéfini la manière de raconter l’histoire d’Haïti, ses tourments et ses espoirs, à travers des œuvres majeures comme “Dezafi” (1975), premier roman écrit en créole haïtien, “Ultravocal” (1972) et “Mûr à crever” (1968). Son art ne se limitait pas à l’écrit : le théâtre, la peinture et la musique faisaient partie intégrante de son univers créatif, le hissant au rang de créateur total.
Avec sa disparition, Haïti perd l’un de ses plus grands esprits, mais son œuvre, lumineuse et intemporelle, continuera de briller au-delà des âges. Adieu au maître.
