Clercine, Haïti (Le Floridien) — Les soupçons persistants sur la collusion entre des acteurs politiques et les gangs armés qui ravagent Haïti viennent de prendre une tournure officielle. La Police Nationale d’Haïti (PNH), par le biais de sa Direction Centrale de la Police Judiciaire (DCPJ), a émis, ce mardi 18 février 2025, des mandats d’amener contre deux figures majeures de la scène politique : l’ancien sénateur des Nippes, Nenel Cassy, et l’ex-député de Kenscoff, Alfredo Antoine.
L’annonce a été faite par le porte-parole adjoint de la PNH, Lionel Lazarre, lors d’un point de presse. Selon les informations divulguées, les deux anciens parlementaires sont recherchés pour leur implication présumée dans des infractions graves, notamment « complot contre la sûreté intérieure de l’État, financement des organisations criminelles, complicité d’assassinat et association de malfaiteurs ».
Cette révélation, bien que fracassante, ne surprend pas les observateurs avisés. Depuis plusieurs années, des voix s’élèvent pour dénoncer la complicité tacite, voire active, de certaines élites politiques dans l’essor des groupes armés qui contrôlent des pans entiers du territoire haïtien. Toutefois, c’est la première fois que de telles accusations sont formulées officiellement contre d’anciens élus de premier plan.
La présence sur cette liste de Nenel Cassy, connu pour avoir été un fervent opposant du président assassiné Jovenel Moïse, et d’Alfredo Antoine, ex-membre de la majorité présidentielle à la Chambre des députés, illustre la complexité du phénomène. Deux figures issues de camps adverses se retrouvent aujourd’hui dans le collimateur de la justice pour des accusations similaires.
Le cas d’Alfredo Antoine soulève particulièrement l’inquiétude. L’ex-député s’était affiché comme l’un des plus virulents dénonciateurs des violences perpétrées par les gangs à Kenscoff, sa circonscription d’origine. Il avait publiquement accusé Dimitri Hérard, ancien responsable de l’USGPN (Unité de Sécurité Générale du Palais National), d’être à la tête des groupes armés opérant dans la zone.
L’ancien député de Kenscoff a réagi rapidement quelques heures plus tard sur son compte Facebook en déclarant : “Je suis un citoyen authentique et n’ai aucun lien avec des bandits armés. Si, en dénonçant des criminels, la police tente de me faire passer pour leur complice, qu’elle sache que toute ma vie, j’ai été un combattant.” Jusqu’au moment où nous écrivions, il était difficile de confirmer si le parlementaire s’était effectivement rendu à la DCPJ.
Ces nouvelles révélations amènent ainsi à se poser une question cruciale : s’agissait-il d’une réelle dénonciation ou d’une tentative de diversion pour masquer ses propres liens avec ces milices criminelles ?
Ces mandats d’amener viennent officiellement confirmer un soupçon devenu omniprésent : la violence en Haïti n’est pas seulement le fait de gangs autonomes, mais bien d’un système mafieux tentaculaire où le crime organisé trouve des alliés au plus haut niveau de l’État.
Désormais, la question qui se pose est celle de l’issue de cette affaire. S’agit-il d’un véritable tournant dans la lutte contre l’impunité ou d’un énième épisode où la justice peine à traduire en actes les attentes de la population ?
Une certitude demeure : les masques tombent, et la lumière se fait progressivement sur l’un des plus grands tabous de la crise haïtienne. Ce qui était murmuré dans l’ombre éclate désormais au grand jour.
