Haïti – OEA – Venezuela : La diplomatie haïtienne aurait-elle pu faire autrement ?

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MIAMI — Voilà probablement l’une des décisions les plus difficiles que la diplomatie du gouvernement Moise a eu à prendre au cours de ces dernières années. Haïti se joint ainsi à 19 autres pays de l’Organisation des États américains (OEA) pour dire qu’ils ne reconnaissent pas la légitimité de Nicolas Maduro en tant que Président de la République bolivarienne du Vénézuéla. Ce choix est considéré par certains hauts responsables vénézuéliens comme un coup de poignard dans le dos, dans la mesure où ce pays, qui est également le premier producteur de pétrole d’Amérique latine, a pendant longtemps soutenu le gouvernement haïtien financièrement.

L’investiture du Président Vénézuélien Maduro contestée par de nombreux pays
L’instabilité politique du Venezuela a une fois de plus fracturé l’unité sud-américaine en 2 camps. D’un côté, les pays qui reconnaissent Maduro en tant que chef de l’État légitime et qui sont au nombre de 6 (Bolivie, Dominique, Nicaragua, Suriname, Venezuela, Saint-Vincent-et-les-Grenadies).

Et de l’autre côté, les pays qui doutent de la régularité du dernier scrutin présidentiel, contestant par la même occasion la légalité de ce 2ème mandat de Maduro à la tête du pays. Les nations qui se sont abstenues de voter sont au nombre de 8, à la tête desquelles on retrouve le Mexique, l’Uruguay, le Salvador ou encore le Bélize. Notons que les pays qui ont voté en faveur de l’héritier spirituel du Chavisme sont majoritairement gouvernés par des gouvernements de gauche, réputés pour être contre l’impérialisme en général et l’interventionnisme américain en particulier.

Il convient de rappeler que la dernière élection présidentielle ne s’est pas passée dans les meilleures conditions selon le témoignage de nombreux observateurs. Entre les trucages, le gonflement des urnes et le musèlement des voix de l’opposition, la population a assisté impuissante à un simulacre de démocratie plus qu’à autre chose. Dans certaines circonscriptions, même les morts pouvaient voter. Le parlement du pays, contrôlé par les opposants au pouvoir, a déclaré qu’à cause des nombreuses irrégularités, la présidence Maduro avait un caractère illégitime. Cette affirmation a d’ailleurs valu au Président de l’Assemblée nationale, Juan Guaido, d’être brièvement arrêté. Et ce d’autant plus que Mr Guaido estime que la constitution lui accorde les pleins pouvoirs pour former un gouvernement transitoire qui puisse sortir le pays de cette impasse politique.

Maduro quant à lui, reste droit dans ses bottes et campe sur ses positions. Il estime que le peuple vénézuélien lui a renouvelé sa confiance de manière claire et limpide. Il balaie aussi d’un revers de la main toutes les accusations de fraude et de manipulations électorales. Pour lui, c’est le gouvernement américain qui est derrière ces calomnies, cherchant désespérément à le renverser depuis de nombreuses années. C’est aussi Washington qui a poussé plusieurs pays à voter contre Maduro afin d’isoler ce dernier sur la scène internationale. Et au vu du vote de la dernière assemblée de l’OEA, le rapport de force semble pencher largement du côté de l’administration américaine.

Haïti choisit son camp et prend le risque de fâcher son allié sud-américain

La réaction de Mr Maduro à la suite du vote de l’OEA ne s’est pas faite attendre. Il a ainsi menacé de sévères représailles les pays qui lui ont tourné le dos. Dans le langage diplomatique, cela veut dire qu’on peut s’attendre à ce que le gouvernement vénézuélien rappelle pour consultation tous ses ambassadeurs présents dans les pays “déloyaux”, si ces derniers ne fléchissent pas leur position. Rompre les liens diplomatiques n’est toutefois pas une option envisageable, car cela rendra l’isolement du gouvernement vénézuélien effectif.

Si pour l’instant, Haïti ne fait pas partie de la liste des nations visées par les protestations de Maduro, rien ne permet d’écarter d’éventuelles mesures de rétorsion dans un futur proche. Tout le monde pense bien entendu au soutien du gouvernement bolivarien à l’économie haïtienne à travers l’alliance PetroCaribe.

Cette aide providentielle représente, il est vrai, une véritable bouffée d’oxygène au budget de l’État, bien que le peuple n’en voit pas les effets à cause des détournements et des gaspillages. Espérons tout de même que nos responsables ont déjà envisagé un plan B si jamais les subventions vénézuéliennes venaient à s’arrêter.

Cela dit, rien ne garantit que des représailles soient entreprises par Maduro contre Haïti. Il se pourrait même que l’aide dont bénéficie notre pays se poursuive, la doctrine du Chavisme étant d’assister les peuples en souffrance, dépendamment des incompatibilités politiques avec les gouvernements qui les dirigent. Rappelez-vous, lors de la catastrophe provoquée par l’ouragan Katrina, Chavez avait offert son aide aux habitants de Louisiane malgré l’animosité de ses relations avec le Président Bush de l’époque.

La diplomatie haïtienne aurait-elle pu faire autrement ?

Si le “lâchage” du gouvernement en a surpris plus d’un, il semblerait tout de même que cette décision ait été mûrement réfléchie, en concertation avec les autres pays amis de la région. Le vote contre Maduro respecte, si on regarde bien, une certaine logique géopolitique.

La première est que le pouvoir de Maduro est à l’agonie depuis un certain temps, avec une inflation qui pourrait atteindre 10.000.000% cette année si rien n’est fait. Signe que le gouvernement craint une crise sociale et humanitaire de grande ampleur, Maduro vient de demander à ce que le salaire minimum soit multiplié par x4.

Deuxièmement, le pouvoir d’influence du Chavisme à travers sa force de frappe financière a pris un sacré coup depuis que les cours du pétrole ont plongé, avec un prix du baril qui dépasse à peine les 50$.

De plus, le continent sud-américain semble prendre un virage à droite avec la récente élection du conservateur Pinera au Chili, Macri en Argentine, Cartes puis Abdo au Paraguay, ou récemment Bolsonaro au Brésil. Même le parti du président Maduro a perdu la majorité de l’Assemblée lors des dernières élections législatives. Autant dire que les cartes seront rebattues à nouveau pour reconstituer de nouvelles alliances au visage plus conservateur.

Dans son intervention avant le vote, le représentant permanent d’Haïti à l’OEA, l’ambassadeur Léon Charles, a déclaré, nous citons : « Les divergences légitimes et compréhensives qui existent quant à l’interprétation d’une situation dans un pays donné doivent être pour nous l’opportunité de prioriser les initiatives diplomatiques en vue de trouver les voies et moyens susceptibles de satisfaire les différents protagonistes. »

Si le gouvernement haïtien semble donc avoir pris un risque politique mesuré, il n’était pas pour autant obligé d’emprunter cette tendance de fond hostile à Maduro. Il aurait tout aussi bien pu suivre l’exemple du Mexique et s’abstenir de voter, gardant ainsi une certaine neutralité entre les deux camps. En plus d’éviter une confrontation frontale avec le Président Vénézuelien, cela aurait permis à Haïti de jouer le rôle de médiateur régional entre deux groupes d’intérêts irréconciliables. Surtout qu’Haïti a toujours été adepte de la non-ingérence dans les affaires d’autres nations souveraines.

Le gouvernement Moise a manqué une occasion en or d’affirmer son indépendance diplomatique face aux pressions acerbes, parfois belliqueuses de l’administration Trump, qui a sans doute eu un rôle central dans le vote anti-Maduro. Notre gouvernement a-t-il eu peur de se retrouver balloté indéfiniment entre deux courants idéologiques antinomiques ? Probablement ! Et ce même si le ministre des Affaires étrangères Bocchit Edmond indiquait encore récemment que Haïti n’était pas disposé à abandonner un ami comme le Venezuela, et de rappeler que son pays n’interfère pas dans les problèmes internes d’autres nations, qu’elles soient amies ou pas. Le vote haïtien à l’OEA vient contredire cet engagement en lançant le message suivant : «faites ce que je dis et non pas ce que je fais».

LE FLORIDIEN

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