Haïti : pas de solution si le problème est mal posé

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Un célèbre scientifique disait un jour : Si vous ne pouvez pas expliquer un problème à un enfant de six ans, c’est que vous ne le comprenez pas complètement. Or, pouvons-nous dire que nous comprenons vraiment ce qui se passe en Haïti en ce moment? Dans les conflits, souvent, il y’a différents protagonistes distincts qui se battent : les Ukrainiens contre les Russes, les catholiques contre les protestants, les marxistes contre les libéraux. En Haïti, rien de tout cela. Voilà un peuple uni, qui a les mêmes valeurs, les mêmes racines, la même culture, la même histoire, mais dont le malheur vient de plusieurs années de mal gouvernance de la part de dirigeants qui ont systématiquement et méthodiquement détruit le pays.

 

La corruption et la mal gouvernance, le cœur du problème

 

S’il fallait trouver une cause au désastre que traverse notre pays en ce moment, alors il faudrait certainement commencer par chercher du côté de la classe politique, largement corrompue, et de surcroit souvent incompétente. La mauvaise gouvernance et la corruption sont des fléaux qui minent Haïti depuis des décennies, freinant le développement et aggravant la pauvreté. Ces problèmes, profondément enracinés dans le système politique et administratif, affectent tous les aspects de la vie quotidienne des Haïtiens.

 

La corruption se manifeste sous plusieurs formes, allant du détournement de fonds publics à l’attribution inéquitable de contrats gouvernementaux. L’absence de transparence dans la gestion des finances publiques est un autre aspect critique. Des sommes considérables, destinées à des projets de développement ou à l’aide humanitaire, sont souvent détournées. Cela a un impact direct sur nous, les citoyens, qui sommes privés de services essentiels comme l’éducation, la santé et les infrastructures. Où sont donc passés les milliards du fonds Petro Caribe? Comment se fait-il que la justice n’arrive pas à condamner les coupables? Et d’ailleurs, y’a-t-il une véritable justice dans notre pays? Le système judiciaire, censé être un pilier de la lutte contre la corruption, est lui-même sujet à des influences politiques et financières.

 

Les rares tentatives de réforme ou d’enquête sur des affaires de corruption se heurtent souvent à des obstacles, tant politiques que légaux. En conséquence, c’est un sentiment d’impunité qui prévaut au sein de la classe politique. Au lieu d’être condamnée, cette dernière est au contraire encouragée à continuer ses actions frauduleuses à la tête du pays.

 

La mauvaise gouvernance vient rajouter une couche à notre malheur, se traduisant par un manque de responsabilité et de leadership. Les dirigeants élus et les hauts fonctionnaires ne répondent jamais aux besoins de la population. Les décisions politiques sont souvent influencées par des intérêts personnels ou partisans, plutôt que par l’intérêt général. Cette situation a alimenté un sentiment de méfiance permanent envers les institutions publiques. Il suffit d’aborder au hasard les Haïtiens dans la rue pour établir un constat sans équivoque : il faut nettoyer le pays de tous ses politiciens, sans exception. Autant dire que le divorce entre la population et la classe dirigeante et consommé pour de bon.

 

Malheureusement, les effets de tous ces problèmes sont palpables dans notre vie quotidienne. Les infrastructures publiques, comme les routes et les écoles, sont souvent en mauvais état, voire inexistantes. Les services publics disparaissent les uns après les autres, rendant difficile l’accès à des soins de santé décents ou à une éducation de qualité pour tous. Sans parler de la police qui a complètement disparu et qu’on doit dorénavant aller chercher… au Kenya, à l’autre bout du monde.

 

Tout cela ne fait qu’accentuer l’instabilité politique et sociale. La frustration et le désespoir face à ces inégalités et à l’absence de perspectives d’amélioration se traduisent par des manifestations et des troubles sociaux permanents. Ceux qui ont perdu tout espoir choisissent le chemin de l’exil, malgré les risques. Ils préfèrent mettre en péril leur vie en tentant de s’en sortir, plutôt que de mourir à petit feu à cause d’un système mafieux et profondément injuste. Car oui, il n’y a pas pire que de subir l’injustice dans son propre pays.

 

Le crime organisé, un catalyseur de la crise haïtienne

 

Les gangs et le crime organisé en Haïti ont exacerbé la crise dans le pays, la rendant presque insoluble. Ces groupes, avec leurs activités illicites et leur contrôle territorial, contribuent grandement à l’instabilité et à l’insécurité qui ravagent notre nation.

 

Les gangs, souvent armés et violents, contrôlent de larges portions de territoire, en particulier dans les zones urbaines comme Port-au-Prince. Leur influence s’étend bien au-delà des quartiers qu’ils contrôlent, affectant la vie quotidienne de nombreux Haïtiens. Ces groupes s’engagent dans diverses activités criminelles, notamment le trafic de drogues, le kidnapping pour rançon et l’extorsion. Leurs actions ont un impact direct sur la sécurité et la liberté de mouvement des citoyens, entravant l’accès aux services de base et paralysant l’économie locale.

 

L’ampleur de la violence des gangs est alarmante. Les affrontements entre gangs rivaux pour le contrôle territorial entraînent régulièrement des pertes en vies humaines parmi les civils innocents pris au piège des combats. Les enlèvements, devenus une activité lucrative pour ces groupes, sèment la terreur parmi la population. Les entreprises, les écoles et même les hôpitaux sont régulièrement menacés ou fermés en raison de cette insécurité croissante.

 

L’impact des gangs sur les institutions haïtiennes est également profond. Leur capacité à influencer ou à corrompre les fonctionnaires et les forces de l’ordre est prouvée. Or, cela a pour conséquence d’affaiblit l’autorité de l’État et sa capacité à maintenir l’ordre public. Cette situation d’impunité permet aux gangs de prospérer et d’étendre leur emprise sur différentes sphères de la société.

 

Pire, en monopolisant des ressources illégalement, ces groupes privent l’État de revenus essentiels, même si l’État haïtien n’est pas le meilleur exemple pour une bonne gestion de l’argent public. Le climat d’insécurité décourage également l’investissement étranger et le tourisme, secteurs clés pour le développement économique du pays. Combien sont les Haïtiens de la diaspora qui ont dû renoncer à investir en Haïti à cause de la corruption renforcée par une violence et une criminalité insoutenable.

 

La présence et l’influence des gangs ont également un impact psychologique profond sur les Haïtiens. La peur constante de la violence et de l’enlèvement limite la liberté de mouvement des citoyens qui sont chaque jour sur le qui-vive. Cette atmosphère de peur et d’incertitude alimente la migration et le désir de nombreux Haïtiens de chercher une vie meilleure à l’étranger.

 

La solution ne peut venir que des Haïtiens eux-mêmes

 

La crise en Haïti, complexe et profondément enracinée, ne peut trouver de résolution véritable que par l’initiative et l’action des Haïtiens eux-mêmes, qu’ils soient en Haïti ou à l’étranger. L’histoire a montré que les solutions imposées de l’extérieur ne tiennent pas compte des nuances et des besoins spécifiques de notre pays.

 

On ne le répètera jamais assez, mais la solution doit venir de l’intérieur parce que nous, Haïtiens, comprenons mieux les défis auxquels notre nation est confrontée. Nous connaissons l’histoire, la culture et les complexités qui forment le tissu de notre société. Cette compréhension intime est cruciale pour formuler des stratégies efficaces et durables qui résoudront, entre autres, les problèmes de corruption et de mauvaise gouvernance.

 

Mais pour cela, il est essentiel que les citoyens haïtiens prennent un rôle plus actif dans la politique et la gouvernance du pays. Cela signifie exercer notre droit de vote de manière responsable, exiger la transparence et la responsabilité de nos futurs dirigeants (les dirigeants actuels étant complètement et définitivement hors-jeu), et participer activement au dialogue national. Le changement commence par une population informée et engagée, prête à défendre ses droits et à exiger le meilleur de ses représentants.

 

Dans ce changement, la diaspora haïtienne peut clairement jouer un rôle crucial. Les Haïtiens vivant à l’étranger ont acquis des compétences, des expériences et des perspectives qui peuvent être extrêmement bénéfiques pour le développement de notre pays. Leur engagement, sous forme d’investissements, de transfert de connaissances ou de soutien aux initiatives locales, est un levier puissant pour développer notre pays et le sortir de la crise. La diaspora représente un pont entre Haïti et le monde, apportant des ressources essentielles et une vision globale qui peuvent aider à orienter le pays vers un avenir meilleur.

 

Il est également important de renforcer les institutions locales, en les rendant plus résistantes à la corruption et plus efficaces dans leur fonctionnement. Cela implique de réformer en premier lieu le système judiciaire pour garantir son indépendance et son efficacité, de moderniser l’administration publique pour la rendre plus transparente et de soutenir les organisations de la société civile qui œuvrent pour la justice sociale et la démocratie.

 

L’éducation joue également un rôle clé dans la lutte contre la corruption et la mauvaise gouvernance. En investissant dans l’éducation de nos jeunes, nous les équipons non seulement avec des compétences et des connaissances, mais aussi avec les valeurs de l’intégrité et de la responsabilité civique. Une population éduquée est moins susceptible d’être exploitée et plus apte à contribuer de manière constructive à la société. En clair, nous ne devons pas commettre la même erreur avec nos enfants. Il faut qu’on leur donne les outils pour qu’ils puissent mieux se défendre et construire le pays sur des bases plus saines.

 

La crise haïtienne est complexe, personne ne peut le nier. Mais si nous abordons le problème de la bonne manière, si nous nous engageons activement dans la bonne gouvernance, si nous mobilisons les toutes bonnes ressources à notre disposition (société civile, diaspora, financement de pays amis), si nous investissons dans l’éducation de nos enfants, alors oui, nous pourrons enfin ouvrir la voie à un avenir stable et prospère pour Haïti.

 

Stéphane Boudin
Le Floridien, 15 Décembre 2023

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