Haïti, une tragédie prévisible

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La communauté internationale, longtemps réticente à s’impliquer de manière sérieuse en Haïti, se retrouve aujourd’hui face à un dilemme de taille. Pendant des années, la stratégie dominante a été celle du statu quo, privilégiant une approche d’ingérence ciblée qui, si elle avait pour but de laisser Haïti gérer ses propres affaires, a également contribué à une certaine inertie face aux crises successives que le pays a traversées. Aujourd’hui, la situation a atteint un point de non-retour : Haïti est largement contrôlé par des gangs, devenant une source d’instabilité potentiellement dangereuse pour l’ensemble de la région, y compris pour les États-Unis.

Cette prise de contrôle par les gangs a transformé Haïti en une poudrière régionale, avec des implications qui dépassent largement les frontières du pays. Les activités de trafic de drogue et d’armes se sont intensifiées, exploitant le chaos ambiant pour étendre leurs réseaux. Par ailleurs, l’afflux de migrants haïtiens tentant de fuir la violence et la pauvreté par bateaux vers les côtes américaines, ou en transitant par le Mexique, va certainement poser un défi humanitaire et sécuritaire immense pour les États-Unis, déjà confrontés à leurs propres problématiques migratoires avec d’autres pays d’Amérique du sud.

Face à l’inertie de la communauté internationale, notamment des grandes puissances comme les États-Unis et la France qui ont des responsabilités historiques vis-à-vis de notre pays, la situation n’a cessé de se détériorer. Finalement, alors qu’Haïti était regardé avec indifférence il y a quelques mois à peine, aujourd’hui, Haïti est vu comme un danger qui peut mettre en péril la stabilité de toute la région. Le problème haïtien menace en effet de déborder au-delà de ses frontières, avec des répercussions potentielles sur les pays avoisinants. L’instabilité en Haïti pourrait facilement devenir un catalyseur pour une crise régionale, alimentant les tensions, les flux migratoires incontrôlés et la criminalité transnationale. Cette perspective à elle seule montre l’urgence d’une intervention coordonnée de la communauté internationale, non seulement pour rétablir l’ordre et la sécurité en Haïti, mais aussi pour prévenir une escalade qui pourrait avoir des conséquences désastreuses pour la sous-région.

Face à cette situation, la question se pose : comment la communauté internationale peut-elle agir efficacement ? La réponse n’est pas simple. Elle implique un engagement multi-niveaux, alliant efforts sécuritaires, aide humanitaire, soutien au développement et initiatives diplomatiques visant à rétablir une gouvernance stable et inclusive en Haïti. Cela nécessite une compréhension profonde des dynamiques locales, une volonté politique ferme et une coordination sans faille entre les différents acteurs internationaux et régionaux.

La crise haïtienne est un test pour la communauté internationale, un défi qui requiert une réponse à la mesure de la complexité et de l’urgence de la situation. L’heure est à l’action concertée pour prévenir que l’instabilité en Haïti ne se transforme en une crise régionale avec des répercussions globales. Il est temps de repenser l’approche envers Haïti, non plus comme une question de statu quo, mais comme une priorité stratégique exigeant un engagement actif, durable et résolu.

Depuis des années, à travers les pages de ce journal, nous ne cessons de sonner l’alarme et de prévenir que la situation en Haïti se détériore et qu’inévitablement, les conséquences nous affecteront tous. Lorsque nous avons été parmi les premiers à mettre en garde contre les risques d’une guerre civile, nombreuses étaient les voix qui nous accusaient d’exagérer, estimant que le terme était trop fort. Aujourd’hui, l’expression “guerre civile” est omniprésente dans les médias lorsqu’il s’agit d’évoquer Haïti, témoignant de la gravité de la situation qui, autrefois minimisée, est désormais reconnue à sa juste valeur. Et la note pour la communauté internationale risque d’être salée.

Là où quelques centaines de millions de dollars auraient suffi pour redonner un nouveau souffle à notre nation, aujourd’hui, il en faut des milliards. Et encore, l’argent à lui seul ne résoudra pas tout, loin de là. Il faudra en effet faire le nettoyage au sein d’une classe dirigeante corrompue qui est la source de presque tous les maux que connaît notre pays aujourd’hui. Autrement, ça serait comme verser de l’eau dans le sable.

L’agitation de la communauté internationale en ce moment pour juguler le problème haïtien fait malheureusement craindre une répétition des mêmes erreurs du passé, à savoir confondre vitesse et précipitation. Aujourd’hui, le plan de relance semble reposer en grande partie sur le déploiement du contingent de policiers kényans. Mais cela ne fait que repousser le problème et ne traite pas les véritables causes du mal qui sont avant tout structurelles. D’ailleurs, les hésitations continues du gouvernement kenyan montrent qu’il ne faut pas trop compter sur son aide. Au moindre prétexte, il repousse l’envoi des troupes. Hier, c’était un tribunal qui empêchait le déploiement des policiers, le jugeant « inconstitutionnel, illégal et invalide ». Aujourd’hui, le Président du Kenya, Mr William Ruto affirme qu’il ne peut envoyer les policiers dans un pays qui n’a plus de gouvernement. Décidément, les 100 millions de dollars proposés par les États-Unis ne semblent plus assez motivants pour pousser le Kenya à franchir le pas.

Par contre, s’il y a bien un pays qui brille par son mutisme, c’est bien la France. Où se cache donc le pays qui se proclame défenseur des droits de l’homme? Où est passée la partie des lumières qui ne manque jamais une occasion de dicter aux autres la conduite à tenir, mais qui plonge dans un silence abyssal lorsqu’il s’agit d’affronter sa propre responsabilité historique? Car oui, l’héritage de misère que la France a contribué à forger est réel et prouvé, notamment à travers la dette faramineuse et injuste qui a enchaîné notre pays naissant. Ce fardeau financier a contribué à instaurer un cycle de dépendance économique et de vulnérabilité politique qui perdure encore aujourd’hui, entravant les efforts de notre pays pour se redresser et progresser sur la voie du développement et de la stabilité.

De la même manière qu’il faut faire le ménage au sein de notre classe politique, il est impératif de régler le passif historique laissé par la France en Haïti pour permettre à notre pays de se développer sur des fondations solides et saines.

Stéphane Boudin

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