À l’ère du numérique, les influenceurs, notamment les influenceurs haïtiens, sont devenus des acteurs incontournables dans le monde de l’information et du divertissement. Blogs, chaînes YouTube, instagram, tik tok, podcasts… et autres plateformes sociales sont leurs terrains de jeu où ils cultivent des millions de followers. Mais ce pouvoir croissant pose des questions éthiques et légales qui n’ont pas encore trouvé de réponses adéquates.
Influenceur, un ‘métier’ encore mal encadré
Aujourd’hui, les influenceurs ont la capacité de toucher des publics immenses, souvent bien plus que des organes de presse traditionnels.
Ils peuvent ainsi orienter les opinions, lancer des modes et même influencer les décisions d’achat. Malheureusement, cette influence n’est pas toujours utilisée de manière responsable. Le manque d’encadrement légal permet à certains de s’adonner à des pratiques douteuses, notamment la diffamation. Un grand nombre d’influenceurs se cachent derrière leur écran se croyant à l’abri de la justice. Bien souvent, ils ne mesurent pas la portée ou l’impact que pourraient avoir leurs messages. Et les exemples dans ce registre sont nombreux.
La diffamation par exemple, qu’elle soit volontaire ou non, peut avoir des conséquences dévastatrices. Des personnalités publiques aux entreprises en passant par les partis politiques ou même les États, personne n’est à l’abri des attaques gratuites qui peuvent circuler à une vitesse fulgurante sur les réseaux sociaux. Le pire, c’est que ces affirmations erronées restent souvent impunies, faute d’une législation adéquate pour réguler le monde numérique.
C’est pourquoi beaucoup demandent à ce que les pouvoirs publics s’emparent de cette question au plus vite, à un moment où le monde du digital évolue à grande vitesse. De nombreux pays ont pris conscience du danger et commencent à élaborer des lois pour encadrer les activités en ligne, mais il reste beaucoup à faire. Ce qui est sûr, c’est qu’un encadrement strict et clair permettrait de mettre en place des mécanismes de contrôle et de responsabilisation. Car il ne s’agit pas seulement ici de protéger les personnes victimes de diffamation, mais également de garantir une information fiable et de qualité pour le grand public. Aujourd’hui, les fakes news sont devenus une arme redoutable qui peut déstabiliser même les plus grandes démocraties. On se souvient de l’ingérence russe aux élections présidentielles américaines de 2016 qui a vu la victoire surprise de Donald Trump, ce dernier ayant assez vite compris et utilisé à son profit la puissance des médias sociaux pour tourner l’opinion publique en sa faveur.
Mais il ne faut pas se tromper de combat. En effet, le rôle grandissant des influenceurs n’est pas en soi un problème. Le défi réside donc plutôt dans l’équilibre à trouver entre liberté d’expression et responsabilité. À défaut d’un cadre légal solide, nous risquons de voir se multiplier les abus et les dérives, compromettant ainsi la confiance que le public place dans ces nouvelles figures de l’ère numérique.
L’exemple français pourrait offrir un début de solution
La France a récemment pris des mesures législatives pour réglementer les influenceurs commerciaux, notamment ceux qui font la promotion de produits dangereux ou véhiculent des publicités mensongères. Ce premier pas, bien que timide, pourrait servir de tremplin pour encadrer l’impact des influenceurs dans d’autres domaines comme la politique. Le temps presse car nous vivons une époque où le débat public est de plus en plus influencé par des voix non réglementées sur les médias sociaux.
Historiquement, les figures politiques utilisaient les médias traditionnels pour communiquer avec le public. Mais à l’ère du numérique, les réseaux sociaux ont brisé les barrières, permettant à tout un chacun de devenir un acteur de l’opinion publique. Cette démocratisation a été en grande partie positive, mais elle a aussi ses inconvénients. En l’absence de réglementations, la propagation de désinformation et la manipulation de l’opinion publique sont devenues des préoccupations majeures.
Si la loi française récente sur les influenceurs commerciaux permet un meilleur contrôle sur l’identification des publicités et la divulgation de contenus retouchés, le législateur ne devrait pas s’arrêter en si bon chemin. Par exemple, il pourrait demander aux influenceurs politiques d’indiquer clairement les sponsors de leur contenu, ou même de déclarer toute affiliation politique, afin de garantir une plus grande transparence. Si par exemple un youtubeur haïtien est membre du parti Tèt Kale, où est financé par ce parti pour critiquer le camp adverse, il doit le mentionner dans sa biographie, sous peine de subir les foudres de la justice, et plus tard du public qui se sentira berné.
Des réglementations supplémentaires dans le domaine politique sont donc nécessaires pour protéger l’intégrité du débat public. Il est par exemple tout à fait possible de mettre en place des réglementations sans étouffer la liberté d’expression. Tout est dans l’équilibre. D’un côté, il ne faut pas laisser aux influenceurs la liberté de dire tout et n’importe quoi, surtout lorsque cela touche injustement l’intégrité physique ou morale d’une personne. Mais d’un autre côté, il faut protéger les influenceurs contre les attaques injustifiées de personnalités qui ne supportent pas la critique, surtout lorsque celle-ci est bien fondée.
Ce qui est sûr, c’est que les médias traditionnels, en particulier les journaux, restent essentiels dans le paysage médiatique en raison de leur longue histoire d’intégrité et de professionnalisme. Contrairement aux influenceurs qui naviguent dans l’univers numérique, les médias établis ont bâti leur crédibilité sur des normes rigoureuses de vérification des faits et de recherche approfondie. Ils ont des équipes éditoriales qualifiées et des processus de validation qui garantissent la qualité et l’exactitude de l’information.
Le cas Napoléon Vs. Morvan : un tournant
Le récent incident impliquant Jhon Corlem Morvan, un influenceur d’origine haïtienne vivant au Canada, met en lumière les risques et les responsabilités associés au nouveau rôle des influenceurs. Morvan, qui s’est auto-proclamé lanceur d’alerte, a récemment admis avoir diffamé l’entrepreneur haïtien Johnson Napoléon depuis 2018. Ce cas est un exemple typique des potentielles implications éthiques et légales de l’influence numérique, quel que soit le lieu où on se trouve.
Au final, l’influenceur a présenté ses excuses dans une vidéo qui a rapidement fait le tour des réseaux sociaux. Morvan a confessé que ses allégations contre Napoléon étaient “sans fondement”, notamment celles liées aux fonds PetroCaribe et à d’autres activités criminelles présumées. Il a attribué ses erreurs à un “manque d’expérience et de rigueur dans sa pratique médiatique”. Ses excuses sont survenues quelques mois après que Napoléon eut menacé de le poursuivre en justice au Canada et aux États-Unis. Cela montre encore une fois qu’il est essentiel de vérifier ses informations avant de les diffuser, surtout lorsqu’on a des milliers de followers qui vous font confiance.
Malheureusement, bien souvent, les influenceurs cherchent à faire le buzz, et donc diffusent des informations non vérifiées, voire erronées, du moment que cela augmente le nombre de vues. Dans leur quête de popularité et de gains, ils doivent comprendre que la crédibilité et la confiance ne se construisent pas sur le sensationnalisme à court terme, mais sur la diffusion de contenus de qualité, vérifiés et vérifiables.
Il est incontestable que les défis liés à l’influence numérique demandent une attention et une réflexion continue. L’incident récent impliquant John Colem Morvan révèle les ramifications complexes de ce nouveau rôle des influenceurs, un rôle qui ne peut être pris à la légère.
Il est impératif de mettre en place des garde-fous et des réglementations appropriées pour guider l’action des influenceurs. De la diffusion d’informations erronées à la manipulation de l’opinion publique, les enjeux sont nombreux et les risques variés. En développant une approche saine et équilibrée entre liberté d’expression et responsabilité, nous pouvons façonner un avenir où l’influence numérique contribue à l’enrichissement de la société sans compromettre la vérité et l’intégrité. Ce qui est sûr, c’est que beaucoup reste à faire pour atteindre le niveau de crédibilité et de rigueur dont jouissent les médias traditionnels comme les journaux, et cela pendant encore les longues années à venir.
Stéphane Boudin
Le Floridien, 30 août 2023