Montréal (Le Floridien) – Figure emblématique de la musique haïtienne, Joseph Jacques, plus connu sous le nom de scène Joe Jack, s’est éteint paisiblement entouré de plusieurs membres de sa famille, la matinée du vendredi 11 avril 2025, à Montréal, à l’âge de 88 ans. Né aveugle le 25 mai 1936 aux Gonaïves, ce chanteur, musicien, pédagogue et militant discret a marqué de son empreinte plusieurs générations d’Haïtiens, par sa résilience, sa virtuosité artistique et son engagement pour une société plus inclusive.
Confronté à la cécité dès la naissance, dans une Haïti des années 1930 dépourvue de toute infrastructure adaptée, Joe Jack a fait preuve très tôt d’une volonté hors du commun. Grâce à l’insistance de son père, il intègre l’école Saint-Vincent à Port-au-Prince, une institution spécialisée dans la prise en charge des enfants aveugles. Il y apprend le braille, découvre l’univers des lettres et des chiffres, et développe une curiosité intellectuelle qui ne le quittera plus.
C’est à Saint-Vincent qu’il entre en contact avec la musique, qui deviendra rapidement son langage de prédilection. Doué d’une oreille exceptionnelle, il apprend l’accordéon, puis le chant et la composition. Il fonde, avec d’autres musiciens non-voyants, le groupe Les Quatre Cloches, à travers lequel il prouve que le handicap n’est en rien un frein à la créativité.
Auteur de titres devenus cultes comme « Timidité », « Pwofese Lekòl », « Entre te voir et t’aimer », ou encore « Comme un oiseau », Joe Jack impose un style empreint de douceur, de lucidité sociale et d’une poésie simple mais pénétrante. Il s’inscrit dans la tradition des chansonniers engagés, abordant avec subtilité des thèmes tels que l’amour, l’éducation, la dignité humaine et la condition des personnes marginalisées.
En parallèle de sa carrière musicale, Joe Jack se consacre à l’enseignement. Il retourne à l’école Saint-Vincent, cette fois en tant qu’enseignant, où il dispense des cours d’anglais et de mathématiques. Pour ses élèves, il incarne une figure à la fois exigeante et inspirante, illustrant par l’exemple que l’handicap n’est pas une limite mais un défi à transcender.
Dans les années 1960, il poursuit ses études aux États-Unis, à la prestigieuse Perkins School for the Blind à Boston. Cette étape lui permet d’acquérir de nouvelles compétences et de renforcer sa formation musicale. De retour en Haïti, il alterne concerts et enseignement, avant de s’installer définitivement à Montréal en 1984. Malgré les défis de l’exil, Joe Jack reste fidèle à ses racines. Il devient une figure incontournable de la communauté haïtienne au Québec, et continue de créer, enregistrer et se produire sur scène.
En 2010, il publie son autobiographie, « L’aveugle aux mille destins », un récit sincère et inspirant dans lequel il revient sur les épreuves boulversantes, les succès et les leçons d’une vie dédiée à la musique, à l’éducation et à la dignité humaine.
En 2004, un accident vasculaire cérébral vient affecter sa mobilité, réduisant considérablement ses déplacements. Cependant, fidèle à son tempérament combatif, il poursuit son œuvre en s’adaptant aux nouvelles technologies accessibles aux personnes non-voyantes. Jusqu’à ses derniers jours, il compose, écrit, et reste en lien avec son public fidèle.
Joe Jack s’est éteint dans la sérénité, entouré de proches, laissant derrière lui une œuvre riche, une carrière exemplaire et une leçon de vie magistrale. À travers sa voix singulière, ses mélodies intemporelles et son engagement social discret mais constant, il aura su faire de son handicap une force, et de son art un pont entre les mondes.
Héritier d’une tradition musicale et éducative, Joe Jack demeure une figure incontournable de l’histoire contemporaine d’Haïti et de sa diaspora. Sa mémoire vivra dans les cœurs, les manuels scolaires, les vinyles, et dans la conscience d’un peuple qu’il n’a jamais cessé d’aimer et d’élever.