Kenya-Haïti : pour le meilleur et pour le pire

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Personne n’aurait imaginé il y a un an que la solution contre la criminalité rampante qui sévit en Haïti viendrait de Nairobi la capitale kenyane, à mille lieues de Port-au-Prince. Pourtant, l’autorisation par le Conseil de sécurité des Nations unies d’une mission de sécurité dirigée par le Kenya pour stabiliser Haïti en octobre 2023 a pris tout le monde par surprise. Bien que beaucoup se soient montrés sceptiques quant à la réussite de cette initiative, il faut tout de même garder espoir étant donné le peu de choix dont nous disposons aujourd’hui.

Notre pays traverse une crise multidimensionnelle qui perdure depuis des années et ne cesse de s’aggraver. La capitale, Port-au-Prince, autrefois ville où il faisait bon vivre et festoyer, est devenue un cité fantôme sous le contrôle de gangs violents, avec des violations massives des droits de l’homme, des enlèvements et une insécurité généralisée. Le vide politique, surtout depuis l’assassinat du président Jovenel Moïse en 2021, ainsi que l’absence d’élections libres et transparentes ont exacerbé la situation, plongeant notre nation dans une impasse politique et humanitaire sans précédent. Face à cette situation, l’envoi de 1 000 policiers, bien que loin d’être suffisant selon la majorité des observateurs, pourrait aider les forces de l’ordre haïtiennes à reprendre le contrôle des zones dominées par les gangs. Ce déploiement, soutenu par les États-Unis et approuvé par l’ONU, vise avant tout à rétablir la sécurité et à préparer le terrain pour des élections longtemps attendues.

Cependant, l’arrivée des policiers kenyans n’est pas sans controverses, que ce soit en Haïti ou au Kenya. Hasard du calendrier, le pays est africain vient de connaître des émeutes monstres qui ont été violemment réprimées par la police. On déplore plusieurs morts et des centaines de blessés. Cette répression sanglante menée par la police kényane contre sa propre population ne laisse augurer rien de bon pour les Haïtiens. Beaucoup s’interrogent si les Kényans vont se montrer à la hauteur de la mission, ou s’ils vont, comme leurs prédécesseurs de la MINUSTAH, tomber dans le piège des exactions et du laisser-aller, qui ont fait détester la population haïtienne toute idée d’intervention étrangère, d’où qu’elle vienne.

Et autant le dire tout de suite, la mission des Kényans ne sera pas de tout repos. Ces derniers devront faire face à des défis opérationnels majeurs, à commencer par la complexité du combat urbain et les allégeances fluctuantes des gangs qui pourraient se liguer contre les forces étrangères pour leur rendre la vie infernale. De quoi retarder la mise en œuvre du programme du gouvernement Conille pour rétablir les institutions de l’État.

Le Premier ministre lui-même ne fait pas pour l’instant l’unanimité au sein de la population qui considère que le nouvel homme fort du pays a été imposé de l’extérieur plutôt que choisi par les Haïtiens eux-mêmes. ‘’C’est du réchauffé’’ disent les gens de la rue qui ne voient pas en quoi le nouveau Premier ministre va réussir là où ses prédécesseurs ont lamentablement échoué. Le scepticisme des Haïtiens est fondé sur la crainte d’un nouvel échec et les souvenirs des interventions passées qui ont souvent laissé un goût amer et un pays dans un état pire qu’avant.

La mission kenyane doit donc impérativement s’appuyer sur une approche respectueuse des droits humains et impliquer la société civile haïtienne pour maximiser ses chances de réussite. La transparence et la reddition de comptes sont essentielles pour éviter les abus et gagner la confiance de la population. Car malgré les défis et les doutes, il y a toute même des raisons d’espérer. La mission kenyane représente une opportunité de briser le cycle de violence et rétablir un semblant de normalité dans notre pays. Mais pour que cette “greffe” prenne, il est crucial que les remarques formulées par les haïtiens, ainsi que leur connaissance du terrain et de la réalité locale, soient entendues et prises en compte par la communauté internationale. La collaboration entre les forces de sécurité internationales et haïtiennes, sous une supervision rigoureuse et avec un soutien technique adéquat, pourrait permettre de restaurer la sécurité à long terme.

Le partenariat entre le Kenya et Haïti est un pari certes audacieux, mais il est jouable si on prend la peine d’adopter une stratégie bien ficelée au lieu d’agir dans l’urgence comme cela semble être le cas. Peut-être que de ce mariage improbable haïtiano-kényan sortira la solution que tout le monde attendait avec impatience. Peut-être que la communauté internationale a enfin compris qu’il faut adopter une nouvelle approche qui soit adaptée au cas haïtien. En parlant d’approche justement, le fait que la diaspora ne soit pas sollicitée est extrêmement regrettable. Prenons un exemple simple : les Kényans parlent anglais, une langue qui, bien qu’elle soit de plus en plus utilisée par le milieu des affaires dans notre pays, reste très minoritaire. Comment dans ce cas la police kényane pourra-t-elle communiquer avec la population et les autorités locales, sachant qu’un simple malentendu peut engendrer des situations chaotiques. Faire appel à la diaspora haïtienne anglophone aurait pu aider à combler ce décalage linguistique et culturel.

Alors oui, le nouveau Premier ministre a rencontré les leaders de la communauté haïtienne de Floride dans une optique de réconciliation. Mais ce premier geste de bonne volonté doit être suivi d’actions concrètes. La diaspora sera incontournable pour aider Haïti à se relever, ne serait-ce que par l’apport des fonds que les haïtiens envoient par milliards chaque année pour aider leurs proches restés au pays et investir, aidant ainsi l’économie locale à ne pas s’écrouler complètement.

L’inclusion de tous les Haïtiens dans la reconstruction du pays est donc souhaitable, pour ne pas dire nécessaire, et cela passe aussi par la diaspora établie en Floride qui a aussi son mot à dire dans ce délicat processus de pacification et de reconstruction.

Stéphane Boudin

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