La justice haïtienne effraie les investisseurs de la diaspora

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Au lendemain de l’assassinat du Président Jovenel Moïse, la majorité des Haïtiens savaient pertinemment que les coupables ne seront jamais traduits devant la justice. Pour une raison simple, dans notre pays, il n’y a pas de justice. Avec la corruption d’un côté et le népotisme de l’autre, ce département, qui constitue pourtant la colonne vertébrale de toute démocratie qui se respecte, est devenu une coquille vide qui ne sert pratiquement à rien.

Or, nous savons tous que le bon fonctionnement des institutions judiciaires est indispensable pour une croissance économique durable dans notre pays. En ces temps de crise où Haïti n’arrive pas à sortir la tête hors de l’eau, il est important de rassurer les investisseurs qui veulent injecter de l’argent frais dans l’économie de notre pays, notamment la diaspora haïtienne désireuse de rapatrier les capitaux et qui se retrouve malgré elle confrontée à une justice calamiteuse.

Imaginons un résident haïtien en Floride qui a économisé durant 30 ans et qui souhaite rapatrier son argent pour investir dans son pays d’origine en y montant une petite affaire. Dès son arrivée, il va vite découvrir que l’environnement est malsain : administrations corrompues, banques peu performantes, insécurité… mais le pire dans tout ça, c’est l’absence de justice pour protéger justement cet investisseur contre les requins qui rôdent en permanence autour de lui.

En effet, plusieurs études montrent que les institutions judiciaires jouent un rôle important sur le marché du crédit, la croissance des entreprises, la protection des populations vulnérables, la dissuasion contre la violence, mais surtout, le renforcement de la confiance chez les investisseurs. Sans cette confiance, personne ne viendra investir le moindre dollar.

Le passé des institutions judiciaires dans notre pays n’a jamais été radieux. Héritée du Code français du temps de Napoléon, l’administration judiciaire comporte 4 ensembles : la Cour de cassation, la cour d’appel, le tribunal civil ainsi que le tribunal d’instance. La comparaison s’arrête là puisqu’en Haïti, c’est souvent le gouvernement qui joue le rôle de justicier, alors que depuis 1995, notre pays est censé avoir une séparation des pouvoirs entre le judiciaire et l’exécutif.

Pas besoin d’aller bien loin pour avoir un exemple de cette collision entre le gouvernement et la justice. Ainsi, Ariel Henry, Premier ministre en exercice, a licencié sans ménagement un juge qui enquêtait sur des appels téléphoniques louches entre Henry et Joseph Félix Badio, son protégé qui est toujours en fuite et qui serait directement impliqué dans l’assassinat de Jovenel Moise.

Alors, s’il n’est même pas possible de rendre justice au Président de la République assassiné, comment le citoyen lambda peut-il encore espérer quelque chose de cette même justice? Si un investisseur de la diaspora est floué par un puissant entrepreneur local, rien ne sert de porter plainte. C’est peine perdue. Le marché haïtien est découpé comme un gâteau jalousement gardé par de puissantes familles. Tout nouvel entrant se fait littéralement dépouiller, sans que la justice ne puisse intervenir étant donné qu’elle est elle-même sous influence.

Pour remédier à cela, il faut revoir notre système judiciaire de fond en comble. Il faut d’abord pourchasser la corruption qui gangrène notre justice et plombe sa crédibilité. Ensuite, il faudra redonner à la justice toute son indépendance en améliorant le cadre judiciaire, mais aussi politique. La formation des juges est aussi à perfectionner pour plus d’efficacité. Surtout, la justice doit être accessible à tout citoyen en fournissant par exemple une assistance juridique directe aux populations à risque.

Autant dire que le chantier est énorme et nécessitera la mise en place d’une politique volontariste. Aussi, il faudra protéger l’intégrité des juges qui font face à des menaces de toutes sortes. Il n’y a qu’à voir le nombre de juges qui se sont désistés dans l’enquête sur l’assassinat de Jovenel Moïse par peur de représailles.

Mais pour mener à bien cet énorme chantier, il sera difficile de compter sur nos politiciens. Ces derniers profitent du chaos actuel pour ne rendre de compte à personne et continuer à faire ce qu’ils veulent dans notre pays. Or, aussi longtemps que la justice sera absente, Haïti ne pourra jamais véritablement décoller et sortir de la crise actuelle.

Un soutien étranger, notamment des Nations-Unies, n’est pas à exclure. L’ONU a acquis au fil des années une certaine expertise dans le domaine. Cela dit, rien ne pourra être fait sans l’implication directe des locaux, à commencer par la société civile. Autrement, il ne faudra certainement pas compter sur des dirigeants comme Ariel Henry pour améliorer notre justice et la rendre indépendante.

Les Haïtiens de la diaspora rêvent du jour où ils pourront revenir au pays et y investir paisiblement, sans crainte de voir leurs économies englouties par un système carnassier et injuste. Vivement le jour où on aura une justice qui soit la même pour tous, qui ne fasse pas de distinction entre le riche et le pauvre, le puissant et le faible. Quand ce jour-là arrivera, alors on pourra véritablement dire que Haïti a entamé la marche vers le développement.

Dessalines Ferdinand

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