La justice, un instrument aux mains des politiciens

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Dans un contexte marqué par des décennies de corruption et d’instabilité, la justice haïtienne se trouve aujourd’hui au cœur d’une controverse qui ne cesse de s’amplifier. Son instrumentalisation par certains acteurs politiques et individus malintentionnés soulève une vague d’indignation et met en lumière les profondes failles d’un système censé incarner l’équité et l’impartialité. Autant le dire de manière directe, notre système judiciaire est à la dérive.

L’appareil judiciaire haïtien est depuis longtemps fragilisé par une série de dysfonctionnements. Mais aujourd’hui, il devient clair que le droit est pris en otage par les détenteurs du pouvoir, à savoir le gouvernement, mais aussi les hommes de l’ombre issus du ‘système’ qui contrôlent l’économie du pays. Les arrestations arbitraires, les détentions préventives injustifiées et les procès biaisés sont devenus monnaie courante, donnant naissance à une justice à deux vitesses. L’application de la loi varie en fonction des agendas politiques, éloignant la justice de son principe fondamental d’impartialité.

Mais ce qui choque le plus, c’est l’impunité qui prévaut à la tête de l’État. L’exemple d’Ariel Henry, actuel Premier ministre, est symptomatique de cette impunité qui semble protéger les hautes sphères du pouvoir. Voilà donc un dirigeant illégitime aux yeux de la loi, que les haïtiens n’ont jamais élu, et qui pourtant, n’est jamais inquiété par les juges. Pourtant, il semble trainer lui aussi des casseroles, notamment pour ses contacts directs avec certains protagonistes de l’attaque meurtrière contre Jovenel Moïse. Pourtant, la justice n’ose pas s’approcher de lui. Les rares juges ‘courageux’ qui ont voulu mettre leur nez dans le dossier ‘Ariel Henry’ ont été soit démis de leurs fonctions, soit menacés de mort, ou les deux à la fois.

Et que dire de la dernière sortie honteuse du juge Voltaire qui a préféré s’en prendre à Martine Moïse, qui rappelons-le, a failli mourir le soir de l’attaque contre son mari. Cette histoire grotesque touchant la veuve de l’ancien président assassiné est particulièrement révélatrice de l’état de décomposition de la justice haïtienne. En accusant l’ancienne Première dame de tentative d’assassinat sur son mari, le juge a non seulement discrédité l’institution judiciaire, mais a aussi exacerbé les tensions et divisions au sein de notre société, illustrant le degré de ridicule que certaines manipulations peuvent atteindre, surtout que la convocation de Mme Moïse est truffé de vices de forme qu’un simple étudiant en première année de droit saurait reconnaître.

Alors que notre justice vacille sous le poids de l’instrumentalisation politique et de la corruption, nombreux sont ceux qui appellent à une réforme profonde de ce système. Mais n’en déplaise aux optimistes des premières heures, c’est plutôt un avenir sombre qui semble se profiler à l’horizon pour l’instant. Non pas par manque de solutions institutionnelles, mais plutôt en raison d’un cycle vicieux de pratiques et de mentalités qui perdurent. On sait tous que les mêmes voix qui s’élèvent aujourd’hui contre les failles du système judiciaire pourraient bien, une fois au pouvoir, succomber aux mêmes travers. Ce constat amer n’est pas une prédiction hasardeuse, mais une leçon tirée de notre histoire, aussi bien récente que lointaine.

La clé d’un changement durable ne réside pas uniquement dans la réforme des structures, mais impérativement dans celle des mentalités. Avant de s’attaquer aux institutions judiciaires, il est crucial de cultiver un nouveau paradigme chez ceux qui sont destinés à les diriger. Après tout, à quoi bon posséder une Ferrari si on n’a même pas un permis de conduire pour la faire rouler. C’est la même chose avec notre justice. On peut avoir le meilleur système judiciaire du monde, il fonctionnera de travers si on met à sa tête des corrompus. Doter Haïti d’un appareil judiciaire flambant neuf sans corriger les attitudes et les comportements qui perpétuent l’abus et la corruption serait un exercice futile, pour ne pas dire une perte de temps.

Ce défi de transformation des mentalités est colossal, mais il est le seul chemin viable vers un avenir où la justice et l’intégrité prévaudront. Il s’agit d’inculquer des valeurs de transparence, d’éthique et de responsabilité dès le plus jeune âge, et de renforcer ces principes à travers l’éducation, les médias et les initiatives civiques. La réforme des institutions doit aller de pair avec celle des cœurs et des esprits, car c’est seulement ainsi qu’Haïti pourra espérer briser le cycle de l’impunité et s’acheminer vers un avenir réellement lumineux.

La tâche de réformer la justice en Haïti est titanesque, mais indispensable pour la construction d’un État de droit. La société civile, les organisations de défense des droits humains, la diaspora et la communauté internationale doivent jouer un rôle de soutien et de veille pour accompagner Haïti dans ce processus de transformation.

La justice haïtienne doit être l’institution fondamentale sur laquelle on pourra baser la stabilité et la paix sociale dans notre pays. La mobilisation collective et la vigilance seront indispensables pour garantir son indépendance et son intégrité. Si aujourd’hui notre système est défaillant, l’espoir réside dans la capacité de notre peuple et de ses partenaires internationaux à œuvrer ensemble pour une justice véritablement équitable et indépendante, pilier d’une société démocratique et prospère.

Stéphane Boudin

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