La Police Nationale d’Haïti change de chef – Gédéon quitte la direction de l’institution avec un bilan mitigé

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Après 3 ans à la tête de la Police Nationale d’Haïti, Michel-Ange Gédéon quitte la direction de cette noble institution qui a pour mission de veiller à la sécurité de la population et de ses biens. Celui qui n’était plus en odeur de sainteté du côté de la présidence depuis quelque temps a sans doute fait les frais d’une situation sécuritaire précaire, mais aussi de calculs politiques complexes où s’entremêlent vengeances et plans machiavéliques.

Gédéon satisfait de son mandat, la population n’est pas du même avis !

Presque un mois après l’arrestation du caïd Arnel Joseph, qui constitue à n’en point douter le point d’orgue du mandat de Michel-Ange Gédéon à la tête de la Police nationale Haïtienne (PNH), le Président de la République a jugé, après consultations, qu’il était temps de remplacer le Chef de la PNH dont le mandat arrivait à terme. Le Chef de l’État a donc donné ses instructions pour nommer un nouveau directeur, en la personne de M. Normil Rameau. Cette nomination devra tout de même attendre la validation officielle du Sénat pour prendre effet.

Entre temps, on peut déjà tirer un bilan sur le mandat de M. Gédéon qui reste globalement décevant.

Pourtant, lors de son affectation il y’a 3 ans à la tête de la PNH, M. Gédéon avait suscité beaucoup d’espoir, autant chez la population que dans les rangs de la police qui espéraient voir leurs conditions de travail s’améliorer. M. Gédéon est en effet un pur produit de cette institution qu’il connaît comme sa poche puisqu’il y a effectué l’essentiel de sa carrière. On pensait donc, au vu de son pedigree, qu’il était l’homme qui allait enfin régler le problème de l’insécurité dans le pays. Malheureusement pour lui, les résultats sur le terrain sonnent comme un cuisant échec.

La situation n’a fait qu’empirer année après année depuis sa nomination en avril 2016 en remplacement de Godson Orélus. La population n’a pas constaté d’améliorations palpables sur le plan sécuritaire, puisque les malfrats continuent de faire la loi dans les rues, semant la terreur autour d’eux de nuit comme de jour. La police ne fait plus peur à personne, surtout que depuis quelque temps, on constate que les gangs sont beaucoup mieux équipés. La contrebande et les trafics facilités par la porosité de nos frontières ont permis à nombre de bandes organisées de mettre la main sur des armes sophistiquées et un matériel de guerre dernier cri. Cela a engendré un déséquilibre des rapports de force que la population ressent quotidiennement sur le terrain. Les quartiers où la police n’ose même plus mettre les pieds se comptent désormais par centaines. Sous-équipés, sous-payés et souvent en sous-nombres, nos agents n’entendent pas risquer leur vie et s’aventurer dans des endroits où des guets-apens mortels les attendent. C’est ainsi qu’on a vu émerger des zones de non-droit où ce sont les criminels qui font la loi.

Dans un discours prononcé le 8 août dernier lors de la cérémonie de graduation de la 30eme promotion de la Police nationale, Gédéon reconnaissait d’ailleurs lui-même de manière implicite que le seuil critique avait été atteint. Les criminels ont pris l’ascendant sur les forces de l’ordre dans plusieurs régions du pays. Certains secteurs trainent désormais une funeste réputation de quartiers coupe-gorge comme Cité l’Éternel, Village de Dieu, Grand-Ravine ou encore Ti Bwa. Difficile dans ce cas de s’enorgueillir d’un bilan positif lorsque les citoyens vivent la peur au ventre et sont constamment sur leurs gardes chaque fois qu’ils mettent les pieds dehors. Si Gédéon peut se targuer d’avoir dans son tableau de chasse le caïd Arnel Joseph qui a été mis aux arrêts dans des conditions rocambolesques, ce n’est là que l’arbre qui cache la forêt. Globalement, le bilan de Gédéon est médiocre à tous les niveaux, pour le plus grand malheur des Haïtiennes et des Haïtiens confrontés au quotidien à un taux de criminalité qui bat des records.

Remplacement de Gédéon, un timing plus que suspect

Jovenel Moïse est en train de quadriller méthodiquement l’échiquier politique, mais aussi militaire du pays. Il estime donc que Gédéon a fait son temps et que ses compétences ne sont plus adaptées aux besoins d’un département qui exige beaucoup de rigueur, d’engagement… et de docilité vis-à-vis du Président de la République. Car tout le monde sait que les relations entre les deux hommes n’étaient pas au beau fixe depuis un certain temps. Le lendemain de l’arrestation d’Arnel Joseph, Gédéon a déclaré sans ambages devant les micros des médias que si le chef de gang se met à table et commence à divulguer les noms de ses soutiens, cela pourrait engendrer un véritable séisme dans le monde politique. Certains y voyaient une menace à peine voilée à l’encontre de l’entourage de Moïse. Un peu comme Edgar Hoover à son époque qui faisait subtilement chanter les Présidents américains successifs pour qu’ils le gardent à la tête du FBI.

Notons tout de même que le timing de ce changement à la PNH tombe assez mal dans la mesure où la situation politique est plus que jamais instable. Pourquoi choisir de remplacer le directeur de la PNH maintenant, alors que le pays est sans gouvernement légitime depuis des mois ? À un moment où le parlement continue à tergiverser et ne semble pas pressé de donner son feu vert au Premier Ministre nommé Fritz-William Michel pour former son équipe, l’empressement du chef de l’État à remplacer l’encombrant Gédéon n’est pas anodin et nous fait nous poser pas mal de questions.

Tout cela laisse à penser que la substitution du chef de la police est un choix politique plus que sécuritaire. Les voix du pouvoir étant impénétrables, on se contentera donc des déclarations officielles qui proclament un changement… dans la continuité. La cérémonie de passation de pouvoir orchestrée par le Premier ministre démissionnaire se voulait solennelle. M. Michel Lapin a égrené les formules d’usage en remerciant l’ex-chef de la Police pour le travail accompli durant les 3 dernières années. Gédéon, droit dans ses bottes et vêtu d’un treillis militaire, avait du mal à cacher son amertume malgré un sourire de façade. Il n’a d’ailleurs pas raté l’occasion, lorsque M. Lapin lui a tendu le micro, de décocher quelques flèches à peine voilées envers ses ennemies qu’il tient sans doute pour responsable de son ‘éviction constitutionnelle’. Cela montre clairement que l’ex-chef de la Police espérait rempiler pour 3 années supplémentaires et ne s’attendait sûrement pas à un remplacement aussi prématuré, même si son premier mandat arrivait à terme.

Et les mots lancés par Gédéon étaient bien choisis et ne laissaient aucune place au doute quant à sa déception. Ainsi, pour lui, c’est “par la force des choses” qu’il a dû tirer sa révérence. Dans le chapitre des remerciements, il a tenu à rendre hommage à ses camarades de promotion, à ses frères, ainsi qu’à ses collaborateurs fidèles “qu’il pourrait compter sur les doigts de la main”. Il a aussi tenu à saluer les moins fidèles et les envieux qui lui ont appris une nouvelle dimension de l’ingratitude humaine, ainsi que les détracteurs et les traitres qui lui ont permis de gagner en expérience et en maturité et qui lui ont été utiles à leur manière. “Traitres”, le mot est lâché. Dans la salle, tout le monde comprend que Gédéon ne digère toujours pas son remplacement qu’il met sur le dos des renégats qui travaillent dans l’ombre contre lui.

Rameau va-t-il réussir là où tous ses prédécesseurs ont échoué ?

Lorsqu’il a appris la nouvelle de sa nouvelle nomination, Normil Rameau était encore en poste à l’ambassade d’Haïti à Washington d’où il a dû rentrer précipitamment. Avant sa mutation à la capitale fédérale américaine, Rameau était le second de Gédéon en tant que chef de la direction centrale de la Police Judiciaire. C’est dire les deux hommes se connaissent assez bien. Rameau ne débarque donc pas dans un terrain qui lui est inconnu, loin de là. Mais la tâche qui l’attend s’annonce particulièrement périlleuse, à un moment où les agents de la PNH manquent cruellement de moyens humains et matériels pour mener à bien leur mission qui consiste à ‘protéger et servir’ le peuple haïtien.

Le moral des policiers est actuellement au plus bas, se sentant abandonnés par un état qui ne tient pas ses engagements. Face à ce manque de motivation légitime, Rameau aura la lourde tâche de regonfler la confiance de ses troupes en attendant que le gouvernement tienne enfin ses promesses. Sur le terrain, la situation est peu reluisante, chaque jour apportant son lot de crimes toujours plus violents. Jeudi dernier par exemple, au niveau de Martissant et du Bicentenaire, des coups de feu nourris ont été entendus par les habitants qui se retrouvent souvent piégés au milieu de tirs croisés entre bandes rivales, lorsqu’ils ne sont pas eux-mêmes visés par les criminels. C’est ainsi qu’une mère de famille a été tuée la veille sous les yeux horrifiés de sa fille en sortant d’une banque, alors que quelques heures plus tôt, c’est un pauvre sapeur-pompier qui a vu sa vie s’arrêter brutalement au bord du camion qu’il conduisait, victime lui aussi de tueurs que rien ne semble pouvoir arrêter. Durant les 3 derniers mois, il y’a eu 84 morts par balles à Port-au-Prince selon un recensement officiel. Des chiffres qui font peur et font glisser peu à peu Haïti dans le classement des pays les plus dangereux au monde.

Pour revenir à la PNH, Moïse a théoriquement l’assurance jusqu’à la fin de son mandat de ne pas craindre grand-chose de la part du nouveau directeur fraîchement nommé par ses soins.

Ce qui n’était pas le cas avec Gédéon que l’actuel Chef de l’État avait hérité de son prédécesseur Jocelerme Privert. Gédéon commençait à avoir une liberté de ton qui ne plaisait pas du tout au Président de la République, notamment lorsqu’il affirmait que beaucoup de dirigeants politiques étaient de mèche avec des chefs de gangs notoire, leur facilitant entre autres l’introduction d’armes de poing dans le pays.

La marge de manœuvre du nouveau DG semble limitée à tous les niveaux. Aura-t-il les moyens pour lutter efficacement contre cette insécurité galopante ? A-t-il une réelle stratégie à mettre en œuvre ? Bénéficiera-t-il de tout l’appui nécessaire de la part du gouvernement pour accomplir à bien sa mission ? Aura-t-il le soutien total de ses troupes qui sont plus démotivées que jamais ? Autant de défis qui attendent M. Rameau au cours de son nouveau mandat. Par ailleurs, Rameau aura certainement à conjuguer aussi avec l’inimitié de certains parlementaires qui feront tout pour lui mettre les bâtons dans les roues. Faut-il rappeler que lorsqu’il était à la tête de la Police Judiciaire, Rameau a mené des enquêtes qui ont mis en cause un certain nombre d’élus qui lui en veulent encore aujourd’hui. C’est d’ailleurs sous sa direction à la DCPJ que le sénateur Guy Philippe avait été arrêté avant d’être transféré aux États-Unis pour une affaire de drogue. Espérons que Rameau continuera à faire preuve de courage et d’abnégation lorsqu’il s’agira de mettre sous les verrous les criminels de tous bords, même si beaucoup ne se font guère d’illusions, surtout lorsqu’on voit les moyens mis en œuvre pour lutter contre l’insécurité. Difficile de prédire qui sortira gagnant du match à trois entre les politiciens véreux, les gangs armés et Rameau. Par contre, on peut déjà deviner qui sera le grand perdant : le peuple haïtien !

D. Ferdinand / LE FLORIDIEN, 30 août 2019

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