Avec la profonde crise économique que traverse notre pays depuis de nombreuses années, les groupes criminels redoublent d’imagination pour trouver de nouveaux créneaux fructueux. C’est ainsi qu’ils se sont lancés depuis quelques mois dans le kidnapping, une activité en plein essor qui est malheureusement devenue monnaie courante dans notre pays. PDG, footballeurs, hommes d’église, étudiants, personne n’est à l’abri de ce phénomène qui empoisonne la vie de toute la population haïtienne.
Évelyne Sincère, la jeune étudiante de Delmas lâchement assassinée
Son sourire radieux et innocent qui illuminait autour d’elle s’est éteint à jamais. Le sort d’Évelyne Sincère, une jeune étudiante de 22 ans originaire de Delmas, allait connaître une fin tragique à la suite de son enlèvement le 20 octobre. Les ravisseurs derrière son kidnapping exigeaient de la famille le paiement de… 300$, soit 15 00gourdes (d’autres sources parlent d’une rançon de 6000$). Issus d’un milieu modeste, les proches d’Évelyne n’ont pu rassembler une telle somme. C’est alors que l’espoir a laissé place à l’horreur et à la barbarie la plus cruelle.
3 jours seulement après son enlèvement, le corps sans vie d’Évelyne Sincère est retrouvé dans une décharge. D’après les premières constatations de l’enquête, la jeune victime a été torturée et abusée par ses ravisseurs. Craignant d’être démasqués et voyant que la famille ne payait toujours pas la rançon exigée, ils lui ont fait boire un cocktail mortel avant de l’étouffer à l’aide d’un oreiller. Ce crime crapuleux a mis en émoi l’ensemble des Haïtiens, même ceux vivant à l’étranger. Les messages de sympathie et de soutien ont afflué de toutes parts. La star du football haïtien Duckens Nazon, ou encore le célèbre DJ Michael Brun ont ainsi exprimé leur consternation.
Impuissant face à la recrudescence des kidnappings, le gouvernement s’est contenté comme à son habitude de condamner cette nouvelle atrocité. Preuve de la faillite des pouvoirs publics, ce n’est pas la Police nationale qui a mis la main sur les principaux suspects, mais… un chef de gang notoire que l’on surnomme Barbecue (Jimmy Cherisier de son vrai nom). C’est lui qui a réussi à appréhender un certain Obed, qui n’est autre que le petit ami de la victime et qui est soupçonné depuis le départ par les enquêteurs d’être derrière ce crime macabre.
Finalement, ce sont 3 individus au total qui ont été arrêtés par la police pour l’enlèvement, la torture, la séquestration et le meurtre de la jeune Evelyne Sincère. D’après les premiers éléments de l’enquête obtenus par Le Floridien, le principal suspect, Obed, a eu vent que le père de sa conquête amoureuse possédait un magasin de pièces de rechange pour les voitures, en plus d’occuper le poste de responsable au sein d’une église locale. Immédiatement, Obed y a vu une opportunité en or pour soustraire de l’argent à la famille de sa copine. Il s’est donc inspiré des modes opératoires des gangs en tendant un piège mortel à sa petite amie, avec la suite que l’on connait.
Des kidnappings qui se multiplient jour après jour
L’histoire comme celle d’Evelyne Sincère, les Haïtiens la vivent tous les jours. Les kidnappings sont en effet devenus monnaie courante dans notre pays, faisant souvent les gros titres des journaux. Parmi la longue liste des personnalités qui en ont été victimes, on peut citer le cas de l’ancien footballeur Johnny Descollines qui a été enlevé le 21 octobre avant d’être libéré deux jours plus tard, alors que ses ravisseurs demandaient une rançon de 500000$. Citons également le cas du père Ronald Sylvain, enlevé dans la nuit du 10 novembre. Là encore, ses ravisseurs ont exigé le paiement de 5 millions de gourdes, un montant qui a été par la suite divisé par dix et ramené à 500 000 gourdes. La nuit du 20 octobre, c’est un homme d’affaires du nom de Wolf Hall qui a été kidnappé. Propriétaire de Titi loto, c’est le profil type recherché par les criminels qui espèrent ainsi siphonner les caisses de son entreprise.
Le problème est que les gangs criminels ciblent également les populations démunies qui ont peu de moyens pour payer les rançons réclamées. Des victimes sont parfois liquidées pour quelques dizaines de dollars à peine. Cela montre le degré d’inhumanité et de cruauté au sein des réseaux criminels qui pullulent dans notre pays. Aujourd’hui, ne pouvant plus compter sur le gouvernement pour le protéger, le citoyen haïtien est devenu paranoïaque. À chaque sortie, il doit constamment se demander : puis-je prendre ce taxi sans crainte? Devrais-je me méfier de ce conducteur de moto-taxi qui me regarde d’une façon bizarre? Peut-être il est préférable que je fasse un grand détour pour éviter cette ruelle déserte? Le quotidien des Haïtiens n’est plus le même. Chacun doit en permanence être sur ses gardes pour ne pas tomber entre les mains des kidnappeurs. Et pas question de se balader avec des objets de valeur, sous peine d’attiser la convoitise de ces criminels qui sont attirés comme des mouches par les signes extérieurs de richesse.
Les pouvoirs publics impuissants face aux enlèvements
Du côté du gouvernement, à part les condamnations de circonstance, surtout lorsque les enlèvements touchent de jeunes enfants ou des personnalités publiques, aucune mesure concrète n’a été prise pour endiguer ce phénomène qui prend de plus en plus d’ampleur. Malgré les protestations des citoyens face à la criminalité galopante qui rend la vie dans notre pays impossible, les pouvoirs publics semblent plus que jamais impuissants. Certains vont même jusqu’à soupçonner le gouvernement de laisser volontairement la situation se dégrader afin que la peur s’infuse au sein de la population. Des soupçons certes infondés, mais qui ont au moins le mérite de mettre en relief l’exaspération des Haïtiens qui ne font plus confiance aux autorités pour les protéger.
Signe que notre pays a définitivement basculé dans la liste des nations les plus dangereux au monde, les chancelleries étrangères invitent leurs citoyens à la plus grande prudence lorsqu’ils se rendent en Haïti. Le Gouvernement canadien par exemple invite ses ressortissants à éviter tout voyage non essentiel vers Haïti, car les risques d’enlèvements et de braquages à main armée sont élevés. La diplomatie française abonde dans le même sens et recommande à ses citoyens de ne pas se rendre en Haïti sauf pour des raisons impératives. Il est ainsi fortement déconseillé aux visiteurs français présents sur place de sortir à pied, les risques d’agression et de kidnapping étant très élevés.
Et dire qu’il y’a quelques semaines à peine, le Président Jovenel recevait Kanye West et lui faisait miroiter Haïti comme le meilleur investissement dans le secteur touristique. On voit mal comment les touristes pourraient débarquer dans un pays sans pouvoir s’y promener paisiblement. Même la communauté haïtienne vivant à l’étranger se fait de plus en plus rare, craignant pour sa sécurité face à des gangs de plus en plus violents. Aujourd’hui, les Haïtiens ont perdu l’espoir de retrouver la sécurité dans un proche avenir et essayent tant bien que mal de s’habituer à cette nouvelle vie qui n’en est pas vraiment une!
D. Ferdinand/Le Floridien
14 novembre 2020