Les gangs sont aux portes du pouvoir en Haïti

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Les liens entre l’État haïtien et le crime organisé est un secret de polichinelle. Depuis plusieurs années déjà, nombreux sont les politiciens qui s’allient en coulisse avec des chefs de gangs pour déstabiliser leurs adversaires, voire pour déstabiliser le pays entier. Une collusion particulièrement dangereuse pour Haïti, mais aussi pour les pays voisins comme les États-Unis qui ne mesurent pas encore l’ampleur de ce phénomène, ni les dégâts qu’il pourrait engendrer.

Gangster, un ‘métier’ en plein essor en Haïti

Alors que la majorité de la population vit sous le seuil de pauvreté et que les perspectives d’avenir sont plus sombres que jamais, de plus en plus de jeunes sont attirés par l’appât de gain facile que leur fait miroiter le crime organisé. Un phénomène qui a été vulgarisé par la culture du gangsta-rap importée des États-Unis. Aujourd’hui, les jeunes haïtiens ne s’identifient pas à des physiciens ou à des astronautes, mais plutôt à des chefs de gangs qui pavoisent avec leurs chaînes en or et leurs grosses cylindrées.

Alors qu’au début des années 2000, on comptait tout au plus une dizaine de gangs dans notre pays, aujourd’hui, ils sont plus de 200. En compte dans toutes les villes du territoire national, contrôlant des quartiers, voire des districts entiers. Bien souvent, la police ne peut s’aventurer dans ces endroits devenus des zones hors la loi. Par contre, le pouvoir politique semble très bien s’accommoder de cette situation. Mieux, il en tire profit en déléguant aux criminels des tâches ingrates comme le trafic d’armes ou les assassinats ciblés.

Sauf qu’à force de jouer avec le feu, le pouvoir a créé un monstre hors de contrôle. Aujourd’hui, les gangs les plus puissants imposent leur propre agenda, à l’image d’un Jimmy Cherizier qui ose même défier le Premier ministre en allant à des endroits où Ariel Henry ne peut s’aventurer.

De même, les enlèvements ont pris une ampleur sans précédent, de sorte que personne n’est à l’abri, même pas les politiciens qui sont de mèche avec le crime organisé et qui subissent eux-aussi leur violence comme un boomerang.

Les gangs cherchent à remplacer l’État haïtien

Plus les années passent, plus il devient évident que les gangs gagnent en puissance, pendant que l’État haïtien lui, toujours miné par la corruption et l’affairisme, s’effondre irrémédiablement et n’arrive même plus à gérer les affaires courantes. La nature ayant horreur du vide, c’est tout naturellement que le crime organisé a pris la place du pouvoir central dans plusieurs régions du pays.
Si beaucoup de gangs se sont spécialisés dans le kidnapping, d’autres ont préféré venir en aide aux populations locales afin de gagner leur soutien. Petit à petit, les criminels cherchent à soigner leur image de marque en aidant les habitants des quartiers dans lesquels ils sont installés. Ainsi, il n’est pas rare de voire les criminels donner un coup de main pour nettoyer les rues lors des inondations, ou encore assurer la sécurité à la place de la police qui a déserté les lieux depuis des lustres.

De sorte que certains chef de gangs ‘’charismatiques’’ comme Barbecue sont beaucoup plus populaires auprès des jeunes qu’un Président ou un Premier ministre qui ne génèrent que des sentiments empreints de mépris et de dégoût.

Résultat des courses, alors que dans les autres pays du monde, un jeune de 14 ans prend chaque matin le chemin de l’école avec son cartable sur le dos, en Haïti, on voit de plus en plus des gamins se balader avec des armes à feu, prêts à dégainer, parfois pour un oui ou pour un non.

Les États-Unis ne mesurent pas encore l’ampleur du problème

Aujourd’hui, avec l’effondrement de l’État haïtien, notre pays est devenu un terreau fertile où le crime organisé prospère et où les gangs poussent comme des champignons. Toutes les grandes agglomérations sont concernées, de la capitale Port-au-Prince à Jacmel en passant par Cap-haïtien. À l’instar des pays en guerre comme l’Afghanistan ou l’Ukraine récemment, notre pays connaît lui aussi son lot de réfugiés et de déplacés. Officiellement leur chiffre est estimé à 25.000 par année, mais des organisations non-gouvernementales indiquent que ce nombre pourrait être largement sous-estimé. La première cause de ces déplacements, les kidnappings qui touchent toutes les couches sociales. À tel point que notre pays est devenu une référence mondiale puisqu’il occupe une triste première place avec 950 enlèvements par année. Pourtant, tous chiffres alarmants ne semblent pas préoccuper outre mesure le grand voisin américain.

Or, le gouvernement américain doit savoir que beaucoup de jeunes haïtiens considèrent le crime comme la seule voie de salut possible, surtout depuis que les tremblements de terre ont détruit un grand nombre d’écoles qui n’ont toujours pas été reconstruites depuis. Au final, si le problème haïtien n’est pas pris au sérieux à temps, les États-Unis et d’autres pays de la région seront confrontés à des organisations criminelles tentaculaires, dont les ramifications pourront s’étendre jusqu’au territoire américain, à l’instar de ce qu’est devenu le MS-13 en Californie qui a étendu en peu de temps son influence sur l’ensemble de l’Amérique centrale.

Le crime organisé ne connaît pas de frontière, seul l’appât du gain et l’argent guide son avancée. Or, les organisations criminelles haïtiennes pourraient vite se sentir à l’étroit et vouloir étendre leurs activités sur des territoires plus lucratifs. Les États-Unis, en tant que première puissance économique mondiale, font office de cible toute désignée pour les gangs haïtiens qui voudront trouver de nouvelles débouchées pour leurs trafics en tout genre. Par ailleurs, les cartels sud-américains commencent eux aussi à s’intéresser à notre pays, trouvant dans le chaos, la corruption et l’insécurité qui y règnent, les conditions idéales pour en faire une plaque tournante de premier choix dans le trafic de drogue. D’ailleurs, il se dit que l’assassinat de Jovenel Moïse pourrait avoir un lien avec ces trafiquants qui voyaient d’un mauvais œil que Moïse vienne mettre fin aux petites combines entre politiciens et les narcos.
Aujourd’hui, les gangs recrutent de plus en plus au niveau des jeunes enfants. Comment voulez-vous qu’un gamin qui peut gagner jusqu’à 50$ par semaine avec une bande criminelle veuille suivre les pas de son père qui peine à rassembler 2$ par jour? Ce qui est sûr, c’est que les américains ne devraient pas sacrifier cette jeunesse et l’abandonner aux mains de gangs sans scrupules. Car à terme, ce n’est pas seulement Haïti qui en paiera les frais, mais aussi les États-Unis. Pas besoin d’une boule de cristal pour le deviner.

Dessalines Ferdinand
Le Floridien, 30 avril 2022

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