En pleine Coupe du Monde féminine de football 2023, nous, Haïtiens, respirons enfin une bouffée d’oxygène. Ces semaines, où nos Grenadières défient avec courage et détermination les plus grandes nations du ballon rond, représentent bien plus qu’une simple compétition sportive. Elles incarnent une source d’espoir, un puissant symbole d’émancipation. Le football, plus qu’un jeu, est devenu un exutoire aidant à oublier, ne serait-ce qu’un instant, les problèmes du quotidien.
Nous sommes un peuple qui, à travers son histoire tumultueuse, a toujours su se montrer résilient. Malgré les séismes, les cyclones, les crises politiques et économiques qui ont frappé notre nation, nous n’avons jamais renoncé, jamais abdiqué. Au contraire, nous avons toujours trouvé des moyens de nous soutenir mutuellement, et le football est devenu l’un de ces moyens.
Nos Grenadières, par leur participation à la Coupe du Monde féminine, symbolisent l’évolution de notre société. Elles sont la preuve vivante que les femmes haïtiennes peuvent exceller et briller à l’échelle mondiale. Elles sont une source d’inspiration pour nos jeunes filles, leur montrant que malgré les obstacles, rien n’est impossible.
Nous sommes au cœur d’une transformation, une mutation symbolisée par le parcours de nos courageuses joueuses, qui mettent en évidence les possibilités d’émancipation et d’unité que le football peut générer. Mais il est crucial de comprendre que ce phénomène transcende le sport lui-même. C’est le reflet d’un potentiel plus profond, d’une aspiration latente à la liberté, à la dignité et à la réalisation de soi qui est inhérente à chaque Haïtien.
Par ailleurs, le football a également servi de vecteur d’unité. Pendant ces quelques semaines de compétition, nous nous unissons tous autour de nos Grenadières. Nous laissons de côté nos différences et nos divergences pour ne faire qu’un. Chaque match est une célébration de notre identité nationale, une affirmation de notre existence sur la scène internationale.
Le football joue également un rôle socio-économique crucial. Nombreux sont les jeunes qui rêvent de suivre les traces de nos Grenadières, d’embrasser une carrière footballistique. Pour ces jeunes, le football est une porte vers l’éducation, la discipline, le travail d’équipe et le développement personnel. De plus, le football offre des opportunités économiques, non seulement pour les joueurs et les joueuses, mais aussi pour les communautés locales à travers le tourisme sportif, la publicité et les investissements. De ce fait, nous devons œuvrer à la mise en place d’un cadre propice au développement du football et des sports en général. Il faut investir dans des infrastructures de qualité, former et accompagner nos jeunes talents, garantir un accès équitable aux ressources sportives, et promouvoir le sport féminin.
Les défis restent nombreux pour y arriver. Les infrastructures sportives demeurent insuffisantes, la formation et le soutien des jeunes talents sont souvent sporadiques et la valorisation du sport féminin reste un combat à mener. Or, il est essentiel de comprendre que l’émancipation par le football est un processus à long terme, qui nécessite un engagement collectif et un soutien institutionnel. Malheureusement, les gouvernements et les dirigeants de fédérations qui se sont succédé ces dernières années n’ont rien fait pour investir dans la richesse la plus estimable qui soit : notre jeunesse.
Ces derniers temps en Haïti, mais aussi partout dans le monde, le football est devenu une sorte thérapie. Les pays qui vivent des crises sociales et économiques aigues, comme la France, voient la côte de popularité de leur Président monter en flèche comme par magie dès lors que l’équipe nationale effectue un bon parcours en Coupe du Monde (Chirac avec la victoire des Bleus en 1998, et Macron en 2018). En Haïti, où les défis sont nombreux et constants, le football offre également une vraie échappatoire aux violences quotidiennes exacerbées par la pauvreté chronique que vit notre population. Pendant une brève période, le poids de la réalité s’efface devant la beauté du jeu. Nous nous évadons de notre quotidien, nous nous perdons dans l’euphorie des victoires et leçons des défaites. Le football nous rappelle que, malgré tout, il y a toujours de la joie, de la passion et de la vie.
Le parcours de nos Grenadières doit nous servir de rappel que la réussite ne vient pas sans effort. Elles ont travaillé dur pour arriver où elles sont aujourd’hui. Chacune de leurs victoires lors des qualifications à la Coupe du Monde est le fruit d’un travail acharné, d’une persévérance et d’une résilience à toute épreuve. Ce sont ces mêmes qualités que nous devons cultiver en tant que nation pour surmonter les défis auxquels nous sommes confrontés.
En tant que Haïtiens, nos Grenadières font notre fierté aujourd’hui. Nous sommes admiratifs devant leur courage, leur détermination, et la manière dont elles représentent notre pays sur la scène mondiale. Mais nous devons également nous rappeler que leur succès est le nôtre. Leurs victoires sont nos victoires. Leur émancipation est notre émancipation.
Pendant que le monde regarde nos Grenadières affronter courageusement chaque adversaire sur le terrain, souvenons-nous de l’impact puissant que le football a sur notre nation. Utilisons cette occasion pour réfléchir sur le chemin parcouru et envisager l’avenir avec optimisme. Car, après tout, le football est plus qu’un jeu, c’est un puissant moyen d’émancipation.
Puisse cette Coupe du Monde féminine être une source d’inspiration pour nous tous, et particulièrement pour notre jeunesse qui a besoin de repères pour mieux se projeter vers l’avenir.
Stéphane Boudin
