À l’approche des élections présidentielles américaines, Joe Biden se trouve confronté à un défi de taille, celui de remporter la Floride, un État qui risque bien cette fois-ci d’être déterminant pour la route vers la Maison-Blanche. Alors que les sondages lui prédisent une défaite sèche si les élections devaient se tenir demain, à cause notamment d’une image de ‘’vieux président sénile’’ qui lui colle à la peau, Biden aura bien du mal à changer le cours des sondages. Sauf… sauf s’il s’en remet aux minorités, en premier lieu la communauté haïtienne de Floride, qui grâce à son poids électoral significatif dans le Sunshine State, pourrait être une nouvelle fois décisive lors du prochain rendez-vous électoral.
Pour s’en sortir, Biden mise en premier sur la justice en espérant que celle-ci puisse stopper Trump dans son élan pour se représenter sous la bannière Républicaine. Englué dans plusieurs affaires, notamment pour avoir voulu truquer les élections de 2020 et pour avoir momentanément apporté son soutien à l’insurrection du Capitole qui a ébranlé la démocratie américaine, Trump n’est pas encore certain qu’il pourra se représenter. Mais s’il arrive à survivre aux obstacles dressés par les juges, alors il aura presque un boulevard devant lui pour remporter haut la main les élections de novembre prochain.
Biden ne le sait que trop bien, raison pour laquelle il est en train de préparer un plan B, celui de rafler la Floride au nez et à la barbe des Républicains. Sauf que cela n’est pas gagné d’avance. Et pour cause, la communauté haïtienne ne l’entend pas de cette oreille et attend l’ancien Vice-Président d’Obama de pied ferme. Car oui, si Biden a la mémoire courte, les Haïtiens, eux, se feront un plaisir de lui rappeler ses promesses non tenues. Comme ce 5 octobre 2020, où voyant que la Floride commençait à lui échapper, Biden avait accouru vers Little Haïti, s’agenouillant (littéralement) pour quémander le vote des haïtiens. En contrepartie, il avait promis d’assouplir les politiques migratoires pour les Haïtiens, mais aussi de s’investir plus sérieusement dans la crise haïtienne. En effet, la crise politique et sécuritaire en Haïti est devenue la cause nationale numéro 1 des Haïtiens de Floride. Au point qu’ils font passer leurs préoccupations quotidiennes au second plan. Au lieu de demander plus d’emploi, de formations pour leurs enfants, de couverture sociale… Les Haïtiens de Floride exigent un changement de politique des États-Unis, voire de paradigme, sur le cas haïtien. À savoir, plus d’aide et moins d’ingérence.
Aller chercher des policiers à l’autre bout du monde (Kenya) pour une mission sans queue ni tête, ou donner des excuses farfelues pour expliquer le manque d’engagement dans le cas haïtien, c’est tout bonnement prendre les Haïtiens pour des imbéciles. Dans le conflit russo-ukrainien, les Américains ont réagi avant même que le premier soldat russe ait mis le pied sur le sol ukrainien. Lors de l’attaque contre Israël au mois d’octobre, toute l’administration américaine, du Président au Secrétaire d’État en passant par le secrétaire à la Défense, s’est relayée pour apporter leur appui militaire, financier, moral, diplomatique… Et pour Haïti, pourtant distant d’à peine 1300 km de la Floride, aucun officiel américain de premier rang n’a daigné se déplacer pour s’enquérir de la situation sur place et réconforter la population.
Pour toutes ces raisons, Biden semble avoir grillé toutes ses cartes vis-à-vis de l’électorat haïtien. Il lui sera difficile d’expliquer, après ces 4 années décevantes, que le meilleur est à venir pour les Haïtiens établis aux États-Unis.
Trump, en vieux roublard de la politique (et des affaires), va s’en douter combler ce vide.. avec d’autres promesses. Et on sait déjà qu’il va tout faire pour faire passer son prochain adversaire pour le ‘’méchant’’. Si Trump a révoqué le Statut de protection temporaire qui permettait à des milliers de familles haïtiennes de séjourner et travailler légalement aux États-Unis, Biden est allé plus loin en accélérant les expulsions hors du pays, parfois de manière brutale. Une politique que beaucoup d’électeurs haïtiens ne comprennent pas, surtout venant d’un homme censé poursuivre la politique d’ouverture entamée par Obama, qui a été un des rares Présidents américains de ces dernières années à s’attaquer courageusement aux problèmes des sans-papiers, permettant notamment à des milliers de Dreamers de s’intégrer pour de bon dans leur pays d’adoption, sans avoir à raser les murs pour étudier ou travailler.
Comment expliquer ce revirement de Biden? Certainement par sa volonté de charmer l’électorat Trumpiste, en étant encore plus zélé, encore plus féroce sur les questions d’immigration. Qui aurait cru que ce mur de la honte, que tout le monde critiquait au temps de Trump, allait être prolongé sous Biden. Ou que les expulsions allaient s’accélérer à un rythme jamais vu auparavant. En faisant la danse du ventre pour charmer les électeurs de tous bords, Biden risque de perdre sur tous les tableaux.
On sait à quel point la politique est une science complexe. Bien malin est celui qui peut prédire qui remportera les élections de 2024. La débâcle de Hillary face à Donald en 2016 vient nous rappeler que les derniers dans les sondages peuvent finir premiers. Il suffit d’une erreur, d’une maladresse, d’un concours de circonstances pour que tout bascule d’un côté ou de l’autre.
Ce qui est sûr, c’est que si Biden attend trop longtemps avant de parler aux Haïtiens de Floride, il risque cette fois de perdre l’élection pour de bon. Mais la question qui se pose est celle-ci : Si Biden vient parler à l’électorat haïtien, que lui reste-t-il encore à leur dire? Réponse d’un habitant de Miami rencontré à North Miami Avenue. : ‘’Tout a été dit. Mais on n’a rien vu!’’.
Stéphane Boudin