Les immigrés illégaux haïtiens sont-ils devenus indésirables?

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Ces derniers temps, il n’est pas bon être un sans-papier haïtien, quel que soit le pays dans lequel vous vous trouvez. Dernièrement, c’est le gouvernement du Mexique qui a décidé de déporter nos compatriotes en situation irrégulière. Ce grand pays d’Amérique du Nord est pourtant dirigé depuis 2017 par un Président socialiste (Andrés Manuel Obrador), une mouvance politique qui à priori, est plus sensible aux questions des droits humains. On aurait donc pu penser que les autorités mexicaines laisseraient un peu de répit aux Haïtiens sans-papiers, surtout en cette période de Covid-19. Malheureusement, l’Institut National des Migrations (INM), organe qui s’occupe des questions de l’immigration au Mexique, en a décidé autrement. 55 Haïtiens ont donc été rassemblés à l’aéroport de Tapachula, ville de l’extrême sud du pays frontalière du Guatemala, d’où ils ont été déportés sous bonne escorte.

Cette expulsion express a été vigoureusement dénoncée par plusieurs associations de défense des droits des migrants. Surtout qu’une grande majorité des Haïtiens déportés avait auparavant déposé des demandes d’asile auprès du COMAR, la commission mexicaine d’aide aux réfugiés. Les autorités mexicaines auraient dû attendre que cette commission statue sur les cas de ces 55 Haïtiens avant de les renvoyer à leur pays d’origine. Selon les dernières données fournies par l’INM, 282 Haïtiens au total ont été renvoyés depuis le début de l’année 2020, un chiffre en constante augmentation qui interpelle les autorités. Il faut dire que le Mexique est depuis toujours le passage obligé des migrants sud-américains qui veulent se rendre aux États-Unis. Pour les contrer, Trump a décidé de construire son fameux mur controversé. Un mur que les experts jugent très cher, mais surtout inefficace. Rien n’empêche en effet les migrants de l’escalader avec une échelle qui coûte moins de 5$, ou les trafiquants de creuser des tunnels pour faire passer leur marchandise. Cela dit, Trump a surtout exercé une grande pression sur le gouvernement mexicain, pour ne pas dire l’a fait chanter, afin qu’il prenne des mesures drastiques pour pourchasser les immigrants illégaux se trouvant sur son territoire. Les Haïtiens récemment déportés ont sans doute fait les frais de cette nouvelle politique imposée par l’oncle Sam à son voisin mexicain.

Malheureusement, les déportations des sans-papiers haïtiens vers leur pays d’origine se sont accélérées ces dernières années, et pas qu’au Mexique. Récemment, c’est les États-Unis qui organisaient plusieurs vols de rapatriement. Là encore, en dépit de la Covid-19 et des protestations des organisations de défense des droits de l’homme. En Amérique du Sud aussi, la politique d’immigration commence à se durcir vis-à-vis des Haïtiens. Il faut dire que les voies d’immigration des Haïtiens ont évolué au fil du temps. Au départ, ils passaient par des pays pour lesquels ils n’avaient pas besoin de visa comme l’Équateur, le chili ou le Pérou. Par la suite, ils prenaient un long et périlleux chemin vers les États-Unis, ou encore ils se rendaient en Guyane française qui représente pour eux une portion de l’Union européenne sur le continent sud-américain. Mais petit à petit, ces pays de transit ont commencé à instaurer des visas, rendant les déplacements des Haïtiens plus compliqués. Certains pays comme la Colombie peuvent expulser jusqu’à 20.000 Haïtiens en une seule année pour montrer aux États-Unis qu’ils jouent très bien le rôle de gendarme de l’immigration sur le continent en espérant avoir en retour des aides et des subventions.

Ce que l’on constate aussi ces dernières années, c’est que beaucoup de pays de transit sont devenus des destinations finales pour les immigrants haïtiens, notamment le Chili, l’Argentine ou encore le Brésil. Des pays qui offrent une plus grande stabilité politique qu’en Haïti, mais aussi plus d’opportunités d’emploi, la possibilité de faire des études de qualité et un meilleur cadre de vie. Le géant sud-américain qu’est le Brésil a d’ailleurs été parmi les premiers pays à faciliter la venue de réfugiés haïtiens suite au tremblement de terre dévastateur de 2010, une politique de solidarité et d’accueil instaurée par le gouvernement de gauche de l’époque dirigé par Lula, puis Dilma Rousseff. Ainsi, la population haïtienne enregistrée au Brésil est passée en quelques années à peine de 200 individus à plus de 60.000. Même chose au Chili où la communauté haïtienne n’a cessé de croître jusqu’à compter aujourd’hui des dizaines de milliers de ressortissants (les chiffres oscillent entre 10.000 et 50.000 selon les sources). Face à cela, comment le gouvernement haïtien voit-il cette nouvelle vague d’émigration? Mais surtout, comment réagit-il lorsque nos compatriotes sont renvoyés par vols charters vers Haïti? Le gouvernement Moise-Jouthe semble en tout cas se plier aux règles des pays qui déportent, sans demander à ce que les droits les plus élémentaires et la dignité de ses concitoyens soient respectés. Officieusement, le calcul de nos politiciens est tout simple. Un haïtien qui quitte le pays, c’est une personne de moins à nourrir, à éduquer, à soigner. Mieux, c’est un potentiel pourvoyeur de devises une fois qu’il sera bien installé dans son nouveau pays d’accueil. Alors forcément, lorsque des contingents entiers de sans-papiers retournent en Haïti, notre gouvernement est le premier à s’en désoler.

Stéphane Boudin

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