Les journalistes haïtiens inquiets face au recul des droits

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D’après Reporters sans Frontières (RSF), la liberté de la presse en Haïti a connu un fort recul en 2020. Face aux tentatives d’intimidation continues et aux menaces qu’ils subissent lorsqu’ils enquêtent sur des affaires sensibles, les journalistes haïtiens ont vu leurs conditions de travail se dégrader sensiblement ces dernières années. De plus, malgré de récents changements cosmétiques apportés aux lois pour protéger la liberté des médias, les journalistes continuent à souffrir d’un manque de soutiens financier et institutionnel, en plus d’avoir le plus grand mal à accéder aux informations.

Un environnement délétère qui menace les journalistes

Il faut dire que les journalistes haïtiens exercent depuis quelques années déjà leur métier dans un climat sécuritaire particulièrement instable. Dans l’index de la liberté de la presse publié chaque année par Reporters sans Frontières, Haïti a connu la plus forte baisse dans le monde, passant de la 62ème à la 83ème position. Le meurtre en 2019 du journaliste Néjémie Joseph, ainsi que du photojournaliste Vladjimir Legagneur en 2018, étaient déjà des signes précurseurs du recul de la liberté de la presse dans notre pays.

Il faut dire que depuis la fin de la dictature Duvalier au milieu des années 80, beaucoup d’efforts ont été consentis pour améliorer les conditions de travail des journalistes en Haïti. Malheureusement, cela a donné peu de résultats probants. Les journalistes haïtiens ont toujours autant de mal accéder aux informations, et la loi qui permettrait de modifier cela est toujours bloquée au niveau du parlement. Or, celui-ci étant dissous depuis quelques mois, la situation ne risque pas de s’améliorer dans un proche avenir.

Cela n’a pas empêché plusieurs journalistes de s’organiser sous forme d’associations pour mieux défendre leurs droits. Comme on dit, l’union fait la force! Si pour l’instant, les hommes des médias n’arrivent pas à faire bouger les lignes, ils ne désespèrent pas pour autant et continuent d’insister pour améliorer leurs conditions de travail. Pourtant, beaucoup sont inquiets des intentions de Jovenel Moise qui essaie de renforcer son autorité à tous les niveaux et de réduire au silence toute critique. La presse et les médias, également surnommés le quatrième pouvoir, sont plus que jamais dans le collimateur de l’actuel Président qui essaie de trouver la meilleure approche pour les museler.

La liberté de la presse a connu un recul sous l’ère Jovenel

En 2017 déjà, une loi votée au Sénat prévoyait de lourdes sanctions contre les journalistes accusés de diffamation. Or, on sait tous que c’est là l’arme favorite des régimes autoritaires qui l’utilisent souvent comme prétexte pour réduire au silence les médias qui les dérangent. Bien entendu, la diffamation est une action illégale et condamnable, mais les peines encourues en Haïti sont disproportionnées comparativement à d’autres pays.

Aujourd’hui en Haïti, les intimidations que subissent les journalistes sont légion. Ceux qui critiquent le gouvernement ou qui entreprennent d’enquêter sur des dossiers sulfureux comme le scandale PetroCaribe prennent de gros risques. Le Comité pour la protection des journalistes, le CPJ, reproche au pouvoir haïtien de ne pas en faire assez pour protéger les journalistes et leur permettre d’exercer leur profession dans les meilleures conditions possibles. À chaque fois qu’un journaliste ou un groupe reporters subissent une agression, l’enquête est souvent classée sans suite.

Le dernier exemple en date est la couverture de la pandémie du Covid-19 qui n’a pas été du goût du gouvernement. Celui-ci a donc tout fait pour décrédibiliser les couvertures médiatiques qui mettent à jour les manquements de l’État face à cette pandémie meurtrière. Pire, au début de la pandémie, beaucoup de journalistes ne disposaient même pas de masques et de gels hydroalcooliques pour se protéger du virus.

S’inquiétant du chemin pris par Haïti dans ce domaine, le congrès américain a voté pour une série d’actions visant à promouvoir la liberté de presse en Haïti, que ça soit en protégeant mieux les journalistes lors de l’exercice de leur métier, notamment sur le plan juridique, en facilitant l’accès à l’information, en veillant à ce que les menaces ou attaques que subissent les journalistes ne restent pas impunies, et enfin, en soutenant financièrement les journalistes indépendants pour qu’ils puissent faire leur travail en toute transparence, sans subir de pressions.

Les journalistes exigent une amélioration de leurs conditions de travail

Entre 2007 et 2020, pas moins de 40 journalistes ont été victimes de crimes qui n’ont jamais été suivis de sanctions judiciaires. Et la crise économique et sociale que traverse Haïti n’a fait qu’empirer cette situation. De plus en plus de voix se lèvent pour demander à ce que les journalistes haïtiens ne soient plus livrés à eux même, car toute démocratie qui se respectent a besoin d’une presse libre et indépendante. Malheureusement, les appels pour une collaboration fructueuse entre le gouvernement et les médias privés sont restés lettres mortes.

De plus, beaucoup soulignent que le journalisme en tant que profession est sous-évalué, et que les journalistes ne sont pas suffisamment rémunérés alors qu’ils prennent d’énormes risques. Il faut toutefois faire attention à ce que rémunération ne rime pas avec corruption, certains utilisant l’argent comme moyen de pression en espérant pouvoir contrôler les journalistes à leur guise. Malheureusement, certains journalistes finissent par vendre leur âme au diable et acceptent des pots-de-vin. En contre partie, ils maquillent la vérité, ou s’abstiennent tout simplement de publier des informations compromettantes qui impliquent leurs ‘bienfaiteurs’.

Enfin, il est important de mettre l’accent sur la formation pour préparer les journalistes de demain qui un jour, seront amenés à prendre le relai. Il est primordial de leur inculquer les règles de base qui font un bon journaliste, à savoir l’impartialité, l’objectivité, la vérification des sources, et bien entendu, l’indépendance. Pour ainsi dire, la déontologie du journalisme n’est pas toujours bien suivie dans notre pays, ce qui eu pour conséquence de ternir l’image des journalistes à cause de pratiques d’une minorité qui ne respectent pas les règles. Alors que Jovenel actionne tous les leviers pour renforcer son pouvoir, les journalistes en Haïti doivent plus que jamais faire attention, car il y a fort à parier qu’ils seront la prochaine cible d’un Président qui se montre de plus en plus machiavélique.

Dessalines FERDINAND / LE FLORIDIEN
30 Novembre 2020

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