Les policiers Kenyans bientôt dans nos rues

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Le Parlement kényan a récemment approuvé l’envoi de 1 000 policiers en Haïti pour soutenir les efforts de la police haïtienne dans sa lutte contre les gangs violents. Cette décision, prise le 16 novembre 2023, marque une étape importante dans la coopération internationale, mais elle soulève également des questions et des inquiétudes.

 

Une intervention kényane très hésitante

 

Haïti est confronté à une violence endémique, notamment due au contrôle de gangs sur environ 80% de la capitale. Cette situation alarmante a conduit le Conseil de sécurité de l’ONU à autoriser l’envoi d’une mission multinationale, dirigée par le Kenya, pour restaurer la paix et la sécurité dans le pays. Ce soutien de l’ONU et des États-Unis témoigne de la reconnaissance internationale de la gravité de la situation dans notre pays.

 

Cependant, cette intervention kényane est loin d’être un pari gagné. Un opposant kényan, Ekuru Aukot, a contesté la légalité de cette mission, la qualifiant d’inconstitutionnelle et soulevant des doutes sur son efficacité. Il est même allé plus loin en assimilant cette intervention à une ‘mission suicide’, qui verra la majorité des policiers déployés revenir au Kenya entre 4 planches.

 

En effet, les gangs haïtiens sont tout sauf des enfants de cœur, et il faudra avoir une solide connaissance dans la lutte anti-gang pour espérer mener à bien cette mission, à l’image du BOPE brésilien qui s’est forgé une renommée internationale dans le domaine, mais qui malheureusement, a déjà beaucoup à faire localement avec les bandes organisées qui pullulent dans les favelas des grandes agglomérations.

 

Toujours est-il, en attendant le verdict de la Haute Cour de Nairobi sur cette affaire, le déploiement demeure incertain. De plus, le financement de cette opération par les États membres de l’ONU est également en suspens, ajoutant une couche supplémentaire de complexité au projet

 

Peut-on faire confiance aux policiers Kenyans?

 

L’expérience du Kenya dans les missions de maintien de la paix est indéniable, ayant déjà participé à des opérations en RDC, en Somalie, au Liberia, au Timor oriental, et dans l’ex-Yougoslavie. Toutefois, la situation en Haïti présente des défis uniques, surtout que les précédentes interventions étrangères en Haïti ont été critiquées pour des violations des droits humains et des échecs à apporter des changements significatifs.

 

Les policiers kenyans seront confrontés à un défi colossal à Port-au-Prince, où les gangs contrôlent presque tous les quartiers populaires. Comment pourront-ils combattre ces gangs lourdement armés dans un environnement qu’ils ne connaissent pas, tout en évitant les erreurs des missions précédentes. Le scepticisme à l’égard de cette nouvelle intervention est également renforcé par le passé controversé de la police kenyane elle-même.

 

Les forces de maintien de l’ordre kenyanes sont notoirement connues pour leurs méthodes brutales et ses violations des droits de l’homme. Des rapports d’organisations internationales de défense des droits humains ont régulièrement dénoncé des exécutions extrajudiciaires, des tortures, et des abus de pouvoir par les forces de police au Kenya. Cette réputation peu glorieuse interroge sur leur réelle capacité à opérer efficacement en Haïti, pays déjà aux prises avec des abus de pouvoir et des violations des droits humains.

 
Pour ne pas arranger les choses, tout le monde est conscient que le contexte haïtien est complexe. Les gangs, dirigés par des figures comme Jimmy “Barbecue” Chérizier, disposent d’une connaissance approfondie du terrain et ont déjà exprimé leur hostilité à toute force étrangère. Sans parler de la barrière de la langue qui ne facilitera pas l’intégration des policiers kenyans avec les locaux.

 

Au-delà de la complexité de la mission en Haïti, l’engagement du Kenya révèle de son côté des arrière-pensées politiques et géostratégiques propres au pays est-africain, surtout après l’élection de son nouveau Président, William Ruto, en fonction depuis septembre 2022. Le Kenya, en proie à ses propres défis internes et régionaux, voit dans cette mission une opportunité de réaffirmer son statut de puissance régionale, particulièrement dans un contexte où l’Éthiopie, traditionnellement influente, est embourbée dans ses propres troubles internes.

 

L’envoi de policiers en Haïti s’inscrit dans une stratégie plus large visant à positionner le Kenya comme un acteur clé sur la scène internationale. Cette démarche est une tentative de montrer que le Kenya est un partenaire fiable, capable de contribuer efficacement aux efforts de maintien de la paix mondiaux. Le gouvernement kényan est conscient que réussir dans une mission aussi complexe et médiatisée que celle en Haïti pourrait renforcer son image et son influence, tant sur le continent africain qu’au-delà.

 

Le Président kenyan fraîchement élu n’y va pas par quatre chemins. Il a ainsi déclaré concernant l’envoi de policiers Kenyan en Haïti : «il est hors de question d’abandonner la population haïtienne», soulignant «le devoir de solidarité du Kenya envers toutes les personnes afrodescendantes à travers le monde». L’intervention en Haïti pourrait donc servir de vitrine pour démontrer les capacités et le professionnalisme des forces de sécurité kényanes, malgré les critiques concernant leur conduite dans leur propre pays.

 

Occasion en or pour booster le patriotisme haïtien

 

Les haïtiens ont développé une allergie épidermique à toute intervention étrangère, quelle qu’elle soit. Et c’est parfaitement compréhensible, vu le passé colonial et tout les efforts que nos aïeux ont fourni pour qu’on accède à la liberté. Il serait malvenue que 2 siècles plus tard, on revienne à la case départ en demandant à des étrangers de venir nous aider… militairement de surcroît. C’est une insulte à notre histoire, à notre passé, à nos sacrifices, à nos ancêtres.

 

Mais que faire alors? Nos politiciens, qui n’ont aucun remord et un degré de patriotisme proche de zéro, sont pour la grande majorité convaincus que la solution viendra de l’étranger. Mais attention. Nos dirigeants sont des calculateurs machiavéliques qui ne donnent des ‘solutions’ que lorsqu’ils ont des intérêts personnels cachés derrière. En effet, ils savent très bien que toute intervention étrangère va souder les haïtiens contre ce nouvel ‘’envahisseur’’ qu’ils ont de leur propre vœux demandé à venir. Ils veulent faire entrer le loup dans la bergerie, avant de se poser comme les défenseurs légitimes du peuple envahi. Sauf que le véritable loup dans l’histoire, c’est bien nos politiciens.

 

Leur approche est donc de jouer sur deux tableaux : d’une part, ils demandent l’aide internationale pour montrer qu’ils prennent des mesures contre l’insécurité; d’autre part, ils comptent sur la réaction nationaliste des Haïtiens pour consolider leur propre base politique. C’est un jeu dangereux qui risque de polariser davantage une société déjà fragmentée et de renforcer les clivages internes.

 

Pendant ce temps, la société civile haïtienne est tiraillée entre le désir de paix et la méfiance envers les interventions étrangères. Les expériences passées ont laissé un goût amer, et la perspective de voir des forces de police étrangères patrouiller dans les rues de Port-au-Prince est reçue avec un mélange d’espoir et d’appréhension.

 

Les kenyans devront naviguer dans les eaux troubles de la politique haïtienne, où chaque geste et chaque action peuvent être interprétés de différentes manières.

 
Pour réussir, il est impératif que les policiers kenyans et leurs alliés internationaux travaillent en étroite collaboration avec les communautés locales, mais aussi la diaspora haïtienne qui pourrait jouer le rôle de facilitateur. Cela implique une compréhension profonde des dynamiques sociales, culturelles et politiques d’Haïti. Sans cette sensibilité locale, la mission risque de se transformer en un autre chapitre de l’ingérence étrangère mal avisée. En d’autres termes, si intervention il y’a, soit elle est bien coordonnée avec la population et la société locale, auquel cas ses chances de réussite seront améliorées, soit elle entre dans le pays tête baissée, et là, l’expérience nous dit qu’elle sera vouée à un échec retentissant. Un de plus!

 

Dessalines Ferdinand
Le Floridien, 29 novembre 2023

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