L’Oncle Sam continue à tourner le dos à Haïti

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Les Présidents américains se succèdent, mais la politique des États-Unis vis-à-vis d’Haïti reste toujours la même, fermer les yeux et faire le dos rond. Dénué de pétrole et de ressources naturelles, notre pays ne présente pas d’intérêt stratégique aux yeux des Américains. Pour dire les choses franchement, certains décideurs de Washington trouvent même qu’Haïti est comme un caillou dans leur chaussure, un pays dont ils ne savent quoi faire ni comment gérer.

Malheureusement, les grandes puissances ont toujours agi ainsi avec les petits pays satellites sous leur influence. Quand ces pays présentent un intérêt stratégique ou économique, ils sont choyés et entourés de bienveillance, mais dès lors qu’ils ne présentent qu’un intérêt mineur, aucune attention ne leur est portée. La France en fait de même avec ses ex-colonies en Afrique, notamment en instaurant ce qui communément connu comme la Françafrique, une relation fondée sur les intérêts suprêmes de la France défendus par… les dictateurs africains qui reçoivent en contrepartie une protection de l’armée française pour rester au pouvoir, bien souvent contre la volonté du peuple.

Mais revenons au cas haïtien. Pourquoi donc les États-Unis tournent-ils le dos à son voisin malade depuis des décennies? Pour rechercher les causes de cette défection, il faut remonter loin dans le temps, plus précisément le 1er janvier 1804, jour où notre pays a déclaré son indépendance. Les États-Unis sont restés silencieux et ont eu beaucoup de mal à reconnaître qu’un peuple colonisé et opprimé puisse s’émanciper de la sorte. Surtout, les intérêts économiques des États-Unis étaient plus que jamais menacés par ces Haïtiens qui montraient au monde entier qu’avec du courage et de la détermination, on peut gagner contre n’importe quelle armée du monde, fut-elle celle du grand Napoléon.

D’autres estiment même qu’au-delà des raisons purement économiques, c’est aussi pour des raisons idéologiques que les Américains ne pouvaient supporter l’indépendance d’Haïti. En effet, l’élite américaine ne pouvait concevoir que des esclaves puissent renverser leurs maîtres français. Mais comme on dit, business is business. Même s’ils n’ont pas reconnu diplomatiquement Haïti, les États-Unis ont continué à faire du commerce avec cette nouvelle nation, ce qui mettait en lumière déjà l’ambiguïté de l’attitude américaine vis-à-vis de son voisin. D’ailleurs, au 19ème siècle, Haïti était le premier partenaire commercial des États-Unis au niveau du continent américain, ce qui montre le poids économique de notre pays à l’époque.

Par la suite, il y eut la période d’occupation américaine entre 1925 et 1934. Autant dire que cet épisode n’a pas laissé que des bons souvenirs dans notre mémoire collective, loin de là. Le racisme de l’occupant envers la population locale a laissé des traces durables. Face à la résistance, les marines n’ont pas fait dans la demi-mesure, commettant des massacres et des exactions de grande ampleur, avec au passage des viols et des exécutions à tour de bras. On estime qu’au moins 2000 résistants haïtiens, que l’on surnommait Cacos, ont été tués durant la révolte contre l’occupant. Une révolte symbolisée par le révolutionnaire Charlemagne Péralte qui n’a jamais abdiqué jusqu’à sa mort, trahi avant d’être exécuté par l’armée américaine.

Ce passé pour le moins sanglant n’augurait rien de bon dans les relations haïtiano-américaines. Au-delà des discours diplomatiques policés qui mettent en avant la longue histoire entre les deux pays, la vérité est que les États-Unis et Haïti ont toujours entretenu des relations compliquées, voire complexes. Lorsqu’Obama a accédé au pouvoir en tant que premier Président africain-américain, on pouvait espérer qu’il change les choses et instaure de nouvelles relations basées sur la confiance et le respect mutuel. Mais cela ne fut malheureusement pas le cas. Obama n’a pas su (ou pu) renverser le poids de l’histoire.

Aujourd’hui, les États-Unis continuent à tourner le dos à Haïti. L’administration a clairement signifié qu’elle ne comptait pas s’investir pleinement dans notre pays, estimant que ‘le retour sur investissement’ n’était pas à la hauteur. En d’autres termes, Haïti n’est pas un pays ‘rentable’ aux yeux des États-Unis. Sauf que ce calcul peut s’avérer dangereux, car un Haïti instable peut mettre en péril l’équilibre géopolitique dans la région des Caraïbes. Plusieurs observateurs voient déjà d’un mauvais œil la place que prennent les gangs en Haïti. Tous les ingrédients sont là pour qu’Haïti se transforme en hub de tous les trafics : drogues, armes, êtres humains, etc…

Le problème haïtien n’est donc pas un problème national, mais régional. D’ailleurs, les vagues de migrants montrent clairement que le chaos est en train de déborder sur les pays voisins. Or, au lieu de traiter le problème à la source, les États-Unis et la République dominicaine préfèrent se cacher derrière de hauts murs et des frontières qui se veulent imperméables. Une fuite en avant qui tôt ou tard aura des conséquences. Vivement que les États-Unis comprennent qu’il est plus que temps d’aider Haïti à sortir de sa crise et de bâtir un futur emprunt de respect mutuel et de solidarité.

Stéphane Boudin

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