Pape François, mort d’un ami d’Haïti

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Le pape François n’est plus. Une page se tourne, et avec elle s’efface l’une des rares voix d’envergure mondiale qui, sans bruit ni vantardise, savait rappeler au monde l’existence d’Haïti, cette nation humainement et culturellement riche et fière, mais souvent reléguée à la rubrique des catastrophes oubliées. À l’heure où les grands de ce monde se sont rassemblés au Vatican pour saluer la mémoire du pape disparu, il est de notre devoir, en tant qu’Haïtiens, de reconnaître ce que cet homme a représenté pour nous.

François n’était pas de ceux qui nous regardaient avec pitié ou condescendance. Il ne réduisait pas Haïti à ses tremblements de terre, à ses famines ou à ses tragédies. À ses yeux, Haïti n’était pas une cause humanitaire de passage, mais une nation porteuse d’une dignité blessée, d’un courage têtu, et d’une foi invincible en l’avenir. Il parlait d’Haïti avec tendresse, mais aussi avec exigence, nous appelant sans relâche à la solidarité, à la reconstruction morale et sociale, au refus de la fatalité.

Dès les premiers jours de son pontificat, alors que la plupart des chancelleries occidentales détournaient poliment les yeux de notre détresse, François avait tendu la main. Il l’a fait sans fracas, sans le moindre calcul médiatique. Sous son impulsion, le Vatican a soutenu discrètement des programmes de santé, d’éducation, de reconstruction. Il a encouragé l’Église locale à être plus proche des pauvres, à se tenir debout aux côtés des exclus, des déplacés, des humiliés.

Mais son message allait au-delà des gestes matériels. Lors de ses passages dans les grandes tribunes internationales, ou lors des rencontres interreligieuses, le pape François rappelait, parfois d’une simple phrase, que la misère d’Haïti n’était pas une fatalité, mais une injustice. Une injustice que les puissants du monde avaient, au fil des siècles, contribué à créer et qu’ils avaient la responsabilité morale d’aider à réparer. Ce rappel discret, mais constant, valait mille discours.

Aujourd’hui que sa voix s’est tue, il serait tentant pour beaucoup d’applaudir poliment, d’égrener quelques hommages convenus, puis de passer à autre chose. Ce serait une trahison de son héritage. Car le pape François n’attendait pas qu’on le remercie ; il attendait qu’on agisse.

Son message à Haïti n’était pas seulement un appel à l’aide extérieure. C’était aussi, et surtout, une exhortation à la responsabilité intérieure. Il n’a jamais flatté nos travers. Il a dénoncé, avec la même clarté, la corruption endémique, l’indifférence des élites, l’injustice sociale qui ronge notre tissu national. À travers ses prises de parole, il nous disait, en substance : “Personne ne viendra sauver Haïti à votre place. C’est à vous de reconstruire, de purifier vos institutions, de vous relever.”

En ce jour de deuil, il est donc urgent de se demander ce que nous allons faire de cet héritage. Le pape François nous lègue trois boussoles précieuses : la solidarité, la justice sociale, et la dignité humaine.

La solidarité, d’abord. Non pas cette solidarité de façade qui se réduit à quelques cérémonies publiques ou à des appels creux, mais une solidarité réelle, quotidienne, exigeante. Celle qui commence par regarder l’autre, même le plus pauvre, non comme un fardeau, mais comme un frère. Celle qui impose à nos responsables politiques de servir l’intérêt général au lieu d’enrichir leurs clans. Celle qui oblige chacun de nous, dans sa communauté, à tendre la main plutôt qu’à détourner le regard.

La justice sociale, ensuite. Car il n’y aura pas de renaissance haïtienne sans une remise en cause radicale de l’ordre établi. Tant que des enfants naîtront condamnés d’avance par leur lieu de naissance, tant que des paysans seront traités comme des citoyens de seconde zone, tant que la santé, l’éducation et la sécurité resteront des privilèges réservés à une minorité, alors Haïti restera prisonnière de ses démons. Le pape François nous a montré que la vraie foi ne consiste pas à prier pour le pauvre, mais à se battre à ses côtés.

Enfin, la dignité humaine. Ce principe si souvent piétiné dans notre pays doit redevenir la pierre angulaire de notre projet collectif. Chaque femme humiliée par l’indifférence d’un hôpital public, chaque enfant laissé à la merci des gangs, chaque vie détruite par la corruption ou l’abandon est un affront à la dignité que François appelait de ses vœux. Restaurer cette dignité exige de revoir notre manière de gouverner, de juger, d’éduquer, de soigner.

Le défi est immense. Mais il n’est pas hors d’atteinte. Le pape François croyait en Haïti, non par naïveté, mais parce qu’il voyait, au-delà des heures sombres que nous traversons, la promesse d’un peuple capable du meilleur. Il savait que dans nos douleurs couvait une force de résilience inouïe, une capacité d’espérance que tant d’autres nations ont déjà perdu.

Aujourd’hui plus que jamais, nous devons entendre cet appel : ne laissons pas sa voix s’éteindre en vain. Ne nous contentons pas d’une minute de silence. Engrangeons ses leçons, gravons-les dans notre chair collective.

Que nos dirigeants, s’ils veulent rendre un hommage sincère au pape François, s’ils sont croyants et craignent Dieu, commencent par changer leurs pratiques, par mettre l’intérêt d’Haïti au-dessus de leurs ambitions personnelles. Que nos élites cessent de trahir la nation pour quelques miettes de pouvoir ou d’argent. Que notre société tout entière redécouvre le sens du mot “communauté”.

François nous a tendu un miroir. À nous désormais d’avoir le courage d’y plonger notre regard sans détourner les yeux. Car si la mort de cet ami d’Haïti devait se solder par quelques beaux discours et aucune action, alors ce ne serait pas seulement une perte. Ce serait une honte.

Le plus bel hommage que nous puissions lui rendre, c’est de continuer son combat pour une Haïti digne, juste, fraternelle. Pas demain. Maintenant.

Stéphane Boudin

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