Paul Farmer, l’homme qui a toujours été au chevet des Haïtiens

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Pour les personnes qui le connaissaient, la nouvelle a eu l’effet d’un véritable choc. Le Dr Paul Farmer, 62 ans, est décédé d’une manière aussi soudaine qu’inattendue à Butaro, au Rwanda, où il menait une campagne pour sensibiliser à l’autonomisation des filles et jeunes femmes dans ce pays. Homme de conviction et grand humaniste, Paul Farmer était porteur de valeurs universelles comme la solidarité, la justice, le respect et la tolérance. Avec sa disparition, Haïti perd un grand ami qui a toujours pris soin de veiller sur ses citoyens les plus vulnérables.

Un homme engagé dès son plus jeune âge

Natif de North Adams au Massachusetts, Farmer a par la suite grandi à Weeki Wachee, en Floride, après une brève escale en Alabama. Issu d’une famille nombreuse constituée de 8 personnes, Farmer a eu une enfance heureuse. Malgré les revenus modestes de ses parents, ces derniers ont toujours eu à cœur d’inculquer à leurs enfants, Paul le premier, des valeurs de partage, de solidarité et d’ouverture d’esprit. Brillant à l’école dès son plus jeune âge, le jeune Paul aimait découvrir d’autres cultures et explorer d’autres horizons.

Mais Paul sait bien que pour aider les autres, il faut avoir les bons outils. Aux bancs de plusieurs universités prestigieuses, Paul aura un parcours académique exceptionnel. À l’université de Duke, il obtient un baccalauréat en anthropologie médicale avec distinction. Durant son passage à Duke, il va apprendre le français, le rapprochant un peu plus d’Haïti. Homme pieux, Paul va aussi s’inspirer de la théologie de la libération pour aider son prochain. Homme d’action, Paul ne va pas rester les bras croisés et commencera très tôt à agir sur le terrain. Se souvenant de ses rencontres d’enfance avec les travailleurs haïtiens dans les champs agricoles, il va retourner les voir une nouvelle fois, avec pour objectif cette fois de les écouter pour mieux les connaître, mieux cerner leurs attentes, leurs expériences, leur histoire.

Tombé amoureux de la culture haïtienne, Farmer va effectuer le grand saut en 1983. Bien qu’il soit encore étudiant, il va sillonner des villages du Plateau central d’Haïti pour voir comment il pouvait aider les populations locales sur le plan de la santé. Il fait également du bénévolat dans un hôpital de Cange, en Haïti. Parallèlement, il obtient deux doctorats à Harvard, un en médecine, et l’autre en anthropologie médicale. Bardé de diplômes émanant des facultés les plus prestigieuses au monde, Paul garde la tête sur les épaules. Alors que d’autres préfèrent rester derrière leur bureau à analyser de loin la souffrance des populations, Paul lui préfère aller sur le terrain, au plus près des gens, pour leur porter assistance et comprendre leurs préoccupations. Cette vision pragmatique, efficace et directe du travail humanitaire, va à l’encontre du fonctionnement des grandes organisations et autres fondations noyées dans la bureaucratie.

Coup de foudre pour Haïti

Comme on l’a vu, Paul Farmer a très tôt eu le coup de foudre pour Haïti. À tel point qu’il va apprendre le créole pour mieux communiquer avec la population locale. Là encore, son approche contraste avec les bénévoles d’autres organisations humanitaires qui passent parfois des dizaines d’années en Haïti sans pouvoir prononcer la moindre phrase en créole. À la fois dévoué et passionné par son travail, Paul faisait l’unanimité pour son courage et son humilité. Partout dans le monde, ceux qui l’ont côtoyé pleurent sa mort aujourd’hui, de l’ancienne ambassadrice des États-Unis en Haïti à l’ancien Président Bill Clinton. D’autres admettent sans hésitation aucune qu’il a changé le cours de leur vie, comme Kimberly Green qui dirige la Green Fondation.

Ce qui caractérisait Paul, c’est son aversion pour les feux de projecteur, le luxe ostentatoire, ou encore les discussions dans les salons feutrés où on refait le monde en sirotant un cocktail. C’était quelqu’un de discret qui aimait agir au lieu de parler. Ce qui était un signe de grande sagesse. Il faut dire que ses actions parlaient pour lui, ce qui est tout à son honneur. Dernièrement, il avait remporté un prix, le prix Berggruen de philosophie et de culture d’une valeur de 1 million de dollars. Mal à l’aise, Paul s’est empressé de dire que le mérite revient aussi à ses nombreux collaborateurs avec qui il travaille. Quant à l’argent, il a pris soin de le réinvestir immédiatement pour continuer son œuvre caritative, déclarant non sans humour : “Un don aussi important me permet de rejoindre la classe des donneurs”. Ainsi était Paul! Lors de son anniversaire, il préfère que vous fassiez un don à une organisation plutôt que de lui offrir un cadeau. Il savait apprécier les choses à leur juste valeur et ne se laisser pas distraire par les futilités du monde matériel. Pourquoi avoir 10 paires de chaussures si une seule paire peut faire l’affaire?

Paul Farmer laisse un énorme héritage

Paul Farmer vient de nous quitter, mais il nous lègue un grand héritage que nous nous devons de préserver, d’honorer et de transmettre, surtout que nous vivons dans un monde où le matérialisme et l’individualisme priment sur l’entraide et la solidarité. Sa famille tout d’abord, composée de sa femme Didi d’origine haïtienne, de ses trois enfants, aura à cœur de porter les valeurs auxquelles Paul tenait.

Aussi, avec son enthousiasme permanent, sa positivité et sa vision atypique du monde qui nous entoure, Paul a révolutionné le domaine des soins en faveur des couches les plus défavorisées. D’ailleurs, il n’aimait pas employer le mot ‘aider’ qui avait une connotation d’assistanat. Il préférait parler ‘d’accompagnement des malades’. Cela n’a l’air de rien, mais cela montre tout le tact et l’empathie que Paul avait pour autrui.

Paul avait des projets plein la tête. Il fut parmi les premiers à comprendre que des soins de qualité ne nécessitaient pas forcément des investissements d’argent démesurés. Il aimait d’ailleurs reprendre un adage à Cuba qui dit : ‘nous vivons comme un peuple pauvre, mais nous mourrons comme un peuple riche’. En effet, l’espérance de vie des Cubains est supérieure à celle des Américains, alors que les États-Unis sont le pays le plus riche au monde. En suivant cette logique pleine de bon sens, Paul avait pour ambition de passer les 10 prochaines années en Haïti pour y créer une université de l’équité en santé, avant d’étendre le concept dans d’autres régions du monde où est implantée l’organisation Partners in Health.

Malheureusement, Paul Farmer n’est plus là pour mener à bien ce projet ambitieux, mais la directrice de UGHE Haïti, Elizabeth Campa, a d’ores et déjà promis d’honorer l’héritage de Farmer en créant l’une des meilleures universités d’Haïti dans le domaine. Paul voulait que ce projet soit durable et lui survive, à nous de continuer son noble œuvre. Ça sera notre façon à nous de lui dire, merci!

Dessalines Ferdinand
Le Floridien, 28 février 2022

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