MIAMI — La conscience des Haïtiens est en éveil partout où ils se trouvent. Qu’ils soient à Port-au-Prince, Miami, New York ou Montréal, ils ne laissent plus passer aucun débordement verbal émanant de personnes censées les représenter sur le plan artistique ou politique. Michel Martelly, artiste et ancien Président de la République d’Haïti, remplit ces deux critères de représentativité. Malheureusement serait-on tenté de dire, vu le tollé qu’il a provoqué lorsqu’il a voulu donner un spectacle à Montréal. Les Montréalaises d’origine haïtienne lui ont barré la route, et elles ont plusieurs bonnes raisons qui les ont poussées à agir de la sorte.
Que reproche-t-on exactement à Martelly ?
Michel Martelly, 58 ans, a toujours été un homme controversé, qu’il porte l’habit de Chef de l’État ou celui d’artiste Ti Simone. Affublé du surnom de Sweet Micky, son franc-parler conjugué à ses manières jugées parfois abruptes lui a valu pas mal d’ennuis. Or, l’haïtien n’a pas la mémoire courte et peut se souvenir pendant longtemps des incartades de ses ex-dirigeants.
Michel Martelly comptait donc organiser un spectacle à Montréal pour renouer avec la diaspora locale, et renflouer par la même occasion ses caisses qui ne sont jamais assez remplies à son goût. Sauf que les Montréalaises d’origine haïtienne ne l’entendaient pas de cette oreille. Pour elles, il est hors de question qu’un homme d’État qui ose chanter des obscénités comme celles éructées dans sa chanson “Ba Li Bannann” puisse se produire dans leur ville. Mieux, elles sont allées jusqu’à demander à la mairesse de Montréal de lui interdire l’accès au territoire Canadien. Ce genre de décision ne faisant pas partie de ses prérogatives, la mairesse Valérie Plante a toutefois prêté une oreille attentive aux revendications légitimes de ses administrées.
La chanson incriminée a en effet dépassé les limites de bienséance et de bonne conduite qu’un Président de la République se doit d’avoir. Misogyne et vulgaire à souhait, Sweet Micky s’est cru tout permis. «Prends une paire de maracas, fourre-les dans le c… de Ti-Lili». Ces paroles crues et grossières étaient destinées à Liliane Pierre-Paul, journaliste respectée et copropriétaire de Radio Kiskeya qui fut récemment ravagée par un incendie. Son crime ? Avoir blâmé le régime Martelly et ses agissements douteux, notamment en ce qui concerne les détournements des biens publics.
Sa façon de traiter les personnes avec qui il est en conflit d’opinion montre à quel point Tet Kalé (deuxième surnom de Sweet Micky) ne supporte pas la critique. Au lieu de respecter les règles d’usage dans de pareils cas et répondre aux accusations de la pauvre journaliste avec des contre-arguments productifs, Martelly a préféré la voie la plus facile, celle des insultes gratuites et des injures. Il avait également le pouvoir de trainer la journaliste en justice pour diffamation s’il était si certain que les affirmations de Liliane Pierre-Paul n’étaient pas véridiques. Mais il faut croire que la journaliste a touché un point sensible en mettant le doigt là où ça faisait le plus mal.
Et Martelly n’en est pas à son premier scandale misogyne, puisqu’il avait déjà traité une citoyenne de «Pute» lors d’une tournée présidentielle dans la ville de Miragoâne alors que cette dernière ne faisait que lui rappeler ses promesses non tenues. En agissant de manière abjecte, Sweet Micky a non seulement sali son image qui était déjà maculée, mais il a surtout souillé la fonction de Président de la République. Dans un monde où les symboles comptent, Martelly a tout fait pour abaisser la dignité d’une nation scandalisée par ses actes.
Les Haïtiens de Montréal s’organisent pour dire non aux propos haineux
Chapeau bas au sociologue québécois Frédéric Boisrond, celui qui écrit au premier ministre Justin Trudeau et à plusieurs autres ministres en janvier pour leur demander d’interdire l’entrée à lartiste Sweet Micky, décrit comme «misogyne, violent et dangereux». Chapeau bas également aux Haïtiennes vivant à Montréal qui n’ont pas baissé la garde malgré l’éloignement géographique et temporel des faits incriminés.
En prenant connaissance de la prochaine venue de Sweet Micky, les femmes haïtiennes ont tout de suite vu rouge. Elles se sont démenées en contactant une armada d’associations afin d’obtenir de ces dernières aide et soutien : Concertation des luttes contre l’exploitation sexuelle (CLES), Les femmes de diverses origines (FDO), le regroupement québécois contre les agressions à caractère sexuel (RQ CALACS), la Maison d’Haïti, le mouvement contre le viol et l’inceste (MCVI)… la liste des associations ayant fait bloc avec les Haïtiennes de Montréal force le respect.
Sweet Micky a-t-il au moins conscience du pourquoi et du comment de tout ce branle-bas de combat ? On vit à une époque où les insinuations qu’il a véhiculées à travers ses chansons ne passent pas, même au second degré. Et que dire alors des remarques désobligeantes et humiliantes qu’il a eu envers des citoyennes qui ne faisaient que lui demander de rendre des comptes ?
Quel avenir pour Martelly en tant qu’artiste
Décidément, Martelly a un talent inné, celui de gâcher ses différentes carrières, que ça soit en politique ou dans la musique. Son mandat présidentiel qui a duré 4 ans et 9 mois a été entaché de divers scandales de corruption, sans parler de la régression notable des droits de la femme (est-ce une surprise?) et du dangereux vide constitutionnel qu’il a laissé lors de son départ.
Sur le plan artistique, Sweet Micky vient peut-être de signer son arrêt de mort. Surtout que des voix se lèvent partout à travers le globe pour dénoncer les abus subis par les femmes dans le monde du show-business. On a encore en mémoire la chute spectaculaire de l’omnipotent producteur hollywoodien Harvey Weinstein, ou encore le déclin du célèbre chanteur américain de RnB R. Kelly dans un registre tout aussi sordide. Sweet Micky ferait bien de tenir sa langue à l’avenir s’il ne veut pas subir le même sort que ces derniers. Car les femmes haïtiennes vont constamment garder un œil sur lui et guetter le moindre écart de conduite.
En fin de compte, le spectacle prévu pour le 22 mars à Montréal n’a pas eu lieu. Les femmes qui se sont unies pour défendre leur dignité ont fini par avoir gain de cause. Mauvais perdant, pour minimiser la victoire des Haïtiens de Montréal, Martelly va arguer que c’est parce que 2 de ses musiciens n’ont pas reçu à temps les documents nécessaires au voyage que le spectacle a été annulé. Pourtant, des sources crédibles disent plutôt que c’est le gouvernement canadien qui a cédé à la pression et a empêché le chanteur de monter à bord du vol qui devait le transporter de Miami à Montréal. Le Canada était prêt à recevoir Sweet Micky, mais il ne veut rien savoir de “Bad Micky”.
DF/LE FLORIDIEN, 27 mars 2019