Pourquoi la criminalité n’est pas prête de baisser en Haïti

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En ce moment, les Haïtiens ont de nombreuses préoccupations qui s’acculent. Crise économique, chômage, manque de soins, système éducatif stérile, État défaillant.. Mais ce qui les tourmente encore plus, c’est l’explosion de la violence depuis quelques années. Surarmés et surmotivés, les gangs quadrillent les quatre coins du territoire. Ils font ce que bon leur semble, n’importe où et à n’importe quel moment. Être mère ou père de famille haïtien aujourd’hui, c’est se poser la question au quotidien si votre enfant rentrera le soir après avoir terminé l’école. S’il ne sera pas lui aussi kidnappé par des ravisseurs pour exiger une rançon, ou si une des balles que s’échangent fréquemment les groupes mafieux ne viendra pas le faucher en pleine rue.

Haïti dispose certes d’une police censée protéger la population, la célèbre PNH. Mais cette institution semble incapable de juguler la criminalité qui sévit dans notre pays depuis de nombreuses années. En sous-effectifs, pas assez formés et mal équipés, nos policiers ne semblent pas être en mesure de repousser la mainmise des gangs sur Haïti. Sans oublier que leur salaire peu motivant ne les incite pas non plus à risquer leur vie pour quelques gourdes. Pire, certains policiers, comme le groupe Fantom 509, se comportent eux-même comme de véritables voyous, allant même jusqu’à terroriser la population pour faire passer leurs revendications salariales. Le monde à l’envers!

L’autre point négatif en rapport avec nos forces de l’ordre, c’est le manque de centralisation et de coordination entre ses différents départements. Entre le SWAT, le BIM (Brigade d’intervention motorisée), le BRI (Brigade de recherche et d’intervention), le CIMO, UDMO.. les haïtiens ne savent plus qui est qui. Et pour compliquer un peu plus les choses, le gouvernement vient d’annoncer la création d’une cellule anti-kidnapping, une nouvelle coquille vide censée remplacer ou compléter la précédente dont beaucoup ignoraient même jusqu’à l’existence. Et c’est cette inefficacité des forces de l’ordre qui poussent les Haïtiens au scepticisme. La grande majorité est résignée et ne croit pas du tout que la criminalité sera éradiquée du jour au lendemain. Et pour leur donner encore plus raison, la déculottée subie par la police nationale à Village de Dieu ce week-end vient confirmer que notre police a besoin de beaucoup de temps et de moyens pour pouvoir rivaliser avec des gangs aguerris et qui sont prêts à en découdre à tout moment. Samedi dernier, la PNH a voulu montrer aux Haïtiens qu’elle allait reprendre le contrôle dans les quartiers dangereux. Au lieu de cela, elle a été chassée sans ménagement par les criminels qui leur ont infligé de lourdes pertes humaines et matérielles (4 morts, 9 blessés, plusieurs véhicules détruits ou abandonnés).

Et quand bien même les forces de l’ordre mettent la main sur des membres de gangs, nous n’arrivons même plus à les garder assez longtemps en prison. Certains établissements pénitenciers ressemblent d’ailleurs plus à des colonies de vacances qu’à de vraies prisons. À l’intérieur, on y trouve de tout : téléphones portables, télévision, drogues, alcool, et même les armes sont parfois introduites. Résultat, lorsqu’ils commencent à se sentir à l’étroit dans des cellules surpeuplées, les prisonniers n’ont aucun mal à organiser leur fuite, comme c’est arrivé récemment à la prison de Croix-des-Bouquets. La faute à un manque d’effectif combiné à la corruption de certains gardiens qui ferment les yeux pour laisser passer tout et n’importe quoi à l’intérieur. Par conséquent, les criminels qui sévissent dans notre pays n’ont pas peur d’aller en prison, puisqu’ils se disent qu’ils peuvent en sortir à n’importe quel moment avant même d’avoir purgé toute leur peine. À l’image d’Arnel Joseph, qui était considéré comme le criminel le plus dangereux sur le territoire et devait donc faire l’objet d’une attention particulière. Pourtant, il a réussi à s’échapper à plusieurs reprises avant d’être finalement abattu lors de son ultime tentative.

Ce qui nous emmène au dernier point, à savoir l’éventuelle connivence entre les gangs et le pouvoir en place. Après la mort d’Arnel Joseph justement, certaines langues ont commencé à se délier en affirmant qu’Arnel a été liquidé car il avait beaucoup de choses à dire, notamment sur certaines personnalités haut placées. Bien entendu, il est impossible d’appuyer ces assertions sans apporter de preuves, mais comme on dit souvent, il n’y a pas de fumée sans feu. Étant donné qu’on ne peut pas cacher éternellement de tels agissements, le scandale pourrait venir d’un autre criminel récemment extradé vers les États-Unis, un certain Mathieu Lissner. Ce dernier a lui aussi beaucoup de choses à raconter, notamment le fait d’avoir en sa possession des badges authentiques qui lui permettaient d’entrer et de sortir du Palais national comme si c’était sa maison. Sur ce point, on est impatient d’entendre les explications du Premier ministre Joseph Jouthe. Sentant peut-être que l’affaire risque de prendre des proportions énormes, certaines sources indiquent que Joseph Jouthe aurait proposé sa démission au Président qui l’a refusée. Après la débandade à Village de Dieu, on a failli assister à un autre sauve-qui-peut au niveau de la Primature!

Stéphane Boudin

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