Pourquoi les Haïtiens n’aiment plus leur police

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Depuis quelque temps, l’image de la police nationale d’Haïti s’est fortement dégradée auprès de la population. Alors que les autorités redoutent la survenue d’une deuxième épidémique du Covid-19, mais surtout d’une deuxième vague de manifestations anti-Jovenel, le pouvoir en place semble avoir donné son feu vert pour que les forces de l’ordre musclent leurs interventions sur le terrain. Les défenseurs des droits de l’homme craignent un bain de sang lors des prochaines protestations populaires.

Assassinat d’un étudiant par la police, la goutte d’eau de trop

La tension est montée d’un cran entre la police et la population lorsqu’un étudiant du nom de Gregory Saint-Hillaire, 29 ans, a été tué sans aucune raison le 2 octobre par un agent de la police. À tel point que ses camarades ont promis de le venger et d’obtenir justice si les autorités ne font rien pour arrêter et traduire en justice le principal responsable. Ils sont descendus dans les rues pour manifester leur colère. D’après un jeune protestataire rencontré sur place, “il faut qu’on brûle des pneus et bloquons les routes pour que les autorités nous entendent, car ce gouvernement ne connaît que le langage de la violence”.

Ce qui a accentué la colère des étudiants, c’est que la victime était une personne honnête et intègre qui ne cherchait jamais les problèmes. On avait promis à Gregory Saint-Hillaire le poste d’enseignant après l’obtention de son diplôme. Mais au lieu de cela, le malheureux a fini entre quatre planches, rendant ses amis et sa famille inconsolables. Gregory Saint-Hillaire vivait à Village de Dieu, un bidonville qui malgré son nom pieux, est gangréné par le crime organisé et la violence. Il avait obtenu un diplôme en 2018 en sciences sociales à l’École normale supérieure et poursuivait des études en droit. Le jour de son assassinat, le 2 octobre donc, il était venu discuter avec des responsables de son avenir. Il ne savait pas que celui-ci allait s’arrêter brutalement quelques minutes après.

En effet, les esprits se sont échauffés lorsque les étudiants ont constaté que les promesses de placement n’allaient pas être respectées. Entre temps, la police est intervenue pour dégager les lieux. Les étudiants sur place décrivent un piège qui s’est refermé sur eux, avec des gaz lacrymogènes d’un côté et des tirs avec balles réelles de l’autre. C’est une de ses balles qui allait atteindre Gregory dans le dos, touchant sa colonne vertébrale. Agonisant, le pauvre étudiant n’a pas pu être transporté à l’hôpital sur-le-champ puisque les policiers continuaient à bloquer les lieux. Cela n’a fait qu’aggraver le pronostic de la victime qui a fini par succomber à ses blessures après une arrivée tardive à l’hôpital Bernard Mevs, étant donné qu’il est d’abord passé par l’hôpital général où les étudiants ont constaté qu’il n’y avait pas de médecin sur place.

Les scandales s’accumulent et ternissent l’image de la police nationale

Ayant eu vent de cette bavure policière qui a mis le feu aux poudres, le Président Jovenel a fait une déclaration à travers les réseaux sociaux (Twitter) où il a promis qu’une enquête allait être diligentée pour faire la lumière sur ce “décès qui est un de trop”. Le terme “trop” ici pèse de tout son poids, puisque le président admet sûrement inconsciemment qu’il y’a eu trop de bavures perpétrées par la police nationale. De mémoire, c’est la première fois qu’un élève est tué par la police dans une école, un lieu où nos enfants sont censés grandir et non mourir. La population constate d’ailleurs de plus en plus la brutalité avec laquelle les forces de l’ordre interviennent. D’où des questionnements sur les raisons de ce changement, certains estimant que les ordres viennent d’en haut afin de faire peur à la population et la condamner au silence.

Pour ne pas arranger les choses, la police nationale est de plus en plus impliquée dans des scandales dont elle se serait bien passée. Dernièrement, deux agents ont ainsi été arrêtés avec le narcotrafiquant Eddy One à Gressier. L’agent Alex Mompremier et Dieudonné Ysa sont accusés de profiter de leur métier pour faciliter le transport de drogue. Le 14 octobre, ce sont 2 policiers qui se sont entretués entre eux après une querelle, utilisant pour cela leurs armes de service. Toujours le 14 octobre, mais tard dans la nuit cette fois-ci, un agent affecté à la sécurité du Palais National, Jean Rosner Glezil, a été abattu d’une balle dans la tête par… ses collègues. Face à la montée des rumeurs, le porte-parole de la Police nationale, Michel-Ange Louis-Jeune, a dû monter au créneau pour expliquer ce qui s’était passé. Selon lui, la victime ne s’est pas identifiée, ce qui a obligé les agents à réagir de la sorte. Une déclaration a l’opposé des témoignages sur place qui dénoncent une intervention brutale. Les éléments du BRI (Brigade d’Intervention et de Recherches) sont entrés dans l’hôtel où se trouvait la victime, terrorisant au passage les employés de l’établissement. En quittant les lieux, les agents ont pris le soin d’emporter les enregistrements vidéos avec eux. Y’avait-il des images compromettantes dans ces enregistrements? Espérons que l’enquête permettra de faire toute la lumière sur cette histoire, même si beaucoup doutent qu’elle aille au bout.

Ce que la population attend des forces de l’ordre

Les policiers haïtiens sont sur les nerfs ces derniers temps, c’est le moins que l’on puisse dire. Sous-équipés, confrontés à la violence des gangs d’un côté et aux ordres de leurs hiérarchies de l’autre, ils se retrouvent entre le marteau et l’enclume. Mais cela ne justifie nullement leurs bavures répétées qui commencent à sérieusement inquiéter la population. La PNH a pour mission de protéger les citoyens et les citoyennes haïtiennes, et non pas de les persécuter.

Le problème est que les violences policières se sont accentuées sous l’ère Jovenel. Au-delà d’une simple coïncidence, cela montre une réelle volonté du pouvoir en place d’accentuer la pression sur les voix de contestation, quelles qu’elles soient. Après avoir muselé l’opposition, les autorités veulent maintenant éteindre toute révolte populaire et mater les mouvements insurrectionnels. Ce tour de vis sécuritaire inquiète aussi bien la société civile que la communauté internationale. Heureusement, le pouvoir n’a pas les moyens de ses ambitions, car le sous-effectif des forces de l’ordre et le peu de moyens dont elles disposent ne pourront jamais réduire les revendications de tout un peuple au silence.

Les Haïtiens attendent de la police nationale une neutralité totale, notamment sur le plan politique. Aussi, au lieu de s’en prendre aux civils, la PNH devrait plutôt s’occuper des gangs qui terrorisent la population partout à travers le pays. Si la police haïtienne se comportait de manière exemplaire, elle peut être sûre qu’elle bénéficiera du soutien total des citoyens. Malheureusement, il reste encore beaucoup de travail à faire avant qu’on puisse en arriver là!

DF/LE FLORIDIEN, 29 Octobre 2020

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