Pourquoi l’État n’arrive pas à se débarrasser des gangs?

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Si les gangs dans notre pays sont devenus si puissants, c’est parce qu’ils évoluent dans un terrain qui leur est favorable. La criminalité en Haïti se nourrit principalement de la pauvreté ambiante combinée à une corruption endémique. La défaillance de l’État joue également un rôle de catalyseur, encourageant les gangs à développer leurs activités en toute impunité. Sous l’ère Jovenel Moïse, la violence a atteint un niveau inquiétant avec la multiplication des kidnappings et des meurtres. Mais comment en est-on arrivés là? Pourquoi l’État ne fait rien pour endiguer le phénomène? Répondre à ces questions, c’est déjà faire un pas en avant pour sortir notre pays de l’enlisement.

Les gangs en Haïti ont prospéré à vitesse grand V

Aujourd’hui, lorsqu’un étranger entend les noms de Croix-des-Bouquets, Cité-Soleil, Carrefour, Bel-Air ou encore Martissant, il pourrait penser qu’il s’agit là d’endroits paradisiaques pour passer de bonnes vacances. Mais pour les Haïtiens, ces noms évoquent plutôt la misère, le chômage, mais surtout, la violence et l’insécurité. Il faut reconnaître que la criminalité en Haïti ne date pas d’aujourd’hui. Après la chute du régime Duvalier, notre pays a traversé une longue période d’instabilité qui a favorisé l’émergence de groupes armés qui terrorisaient la population. Or dans n’importe quel pays, lorsque les armes circulent de manière incontrôlée, on ne peut que s’attendre au pire.
Tous les gouvernements qui se sont succédé n’ont jamais pris au sérieux le danger que pouvait représenter la grande criminalité. Certains en ont même profité pour oppresser indirectement les opposants et les civils grâce à ce qu’on appelait à l’époque le terrorisme institutionnel. Le meilleur exemple est celui des Tontons Macoutes qui sont devenus le bras armé d’opportunistes qui cherchaient à déstabiliser le pays pour mieux le contrôler. Aujourd’hui, nous payons le prix de ces décennies de négligence étatique. Grâce au trafic d’armes qui a continué à alimenter les réseaux criminels, nous nous retrouvons avec des gangs bien équipés qui n’ont rien à envier aux armées régulières : fusils d’assaut, mitraillette, véhicules tout-terrain… les gangs sont si bien équipés qu’ils ne craignent plus la police et vaquent à leurs occupations criminelles en toute quiétude.

La déroute de Village-de-Dieu a mis à jour l’impuissance de l’État

Pendant des semaines, voire des mois, Jovenel Moïse et son Premier ministre Joseph Jouthe n’ont cessé de ressasser que l’heure était venue d’en finir avec les gangs. La population, habituée aux promesses sans lendemain du Président, n’y a jamais cru. Et l’avenir lui donnera raison une fois de plus. Il faut dire que les mesures proposées sont d’ordre cosmétique et ne s’attaquent pas au fond du problème : création d’une nouvelle cellule anti-kidnapping alors qu’il en existait déjà une qui s’est montrée inefficace, mise à la disposition des policiers de quelques véhicules souvent offerts par des pays étrangers, renforcement des contrôles sur les importations des armes au niveau des douanes, implication de l’armée pour soutenir la police nationale lors des manœuvres de grande envergure… Pas une semaine ne passe sans que le gouvernement ne sorte de son chapeau magique de nouvelles dispositions.

Mais les Haïtiens ont depuis longtemps compris que si le gouvernement crie aussi fort, c’est surtout pour masquer son impuissance. Car à y voir de plus près, la police n’a jamais été aussi démotivée. En plus de manquer de moyens logistiques et humains, les policiers se plaignent également de ne pas être bien rémunérés alors qu’ils risquent chaque jour leur vie sur le terrain. On a aussi vu une PNH fragilisée par les divisions internes, notamment après la création du groupe Fantom 509 qui était supposé défendre les intérêts des agents de police, mais qui au fil du temps s’est transformé en organisation criminelle.

La débâcle enregistrée par la PNH à Village-de-Dieu dresse un tableau cru sur la situation sécuritaire dans notre pays. Ce qui devait être une opération antigang exemplaire a vite tourné au fiasco. 4 policiers du SWAT ont été tués et plusieurs autres blessés. Pire, 2 semaines après les affrontements, les corps des policiers n’ont toujours pas été restitués à leurs familles. Sur les réseaux sociaux, des images embarrassantes pour le gouvernement ont commencé à circuler. On y voit notamment les criminels parader avec les armes et un véhicule blindé ‘confisqués’ à la Police nationale. Tel un animal blessé dans son orgueil et ayant perdu le peu de crédibilité qui lui restait, le gouvernement a cessé de bomber le torse sur le plan médiatique. Les grandes annonces auxquelles Jouthe et compagnie nous avaient habitués ont laissé place à un silence devenu presque gênant. Tout au plus, le gouvernement s’est contenté d’entamer une remise en question de sa politique sécuritaire tout en demandant l’aide de puissances étrangères pour soutenir la PNH. En d’autres termes, ce n’est pas demain que l’on risque de voir les gangs disparaître.

Quelles options restent-ils pour freiner la grande criminalité

Nos ainés regrettent le temps où les Haïtiens pouvaient sortir prendre un verre dans le bar du coin sans craindre pour leur vie. Aujourd’hui, c’est chose impossible. De jour comme de nuit, tout citoyen est devenu une cible potentielle des kidnappeurs qui peuvent lui barrer la route n’importe où, n’importe quand. Mais alors, comment faire pour sortir de cette impasse sécuritaire? Les spécialistes pensent qu’il faut s’inspirer des expériences réussies dans d’autres pays dans la lutte contre le grand banditisme. Et cela passe par l’interdiction totale des armes, car se contenter de contrôler l’importation des armes reste insuffisant. En effet, les trafiquants trouveront toujours un moyen de faire rentrer illégalement armes et munitions dans le pays, ne serait-ce que par la frontière poreuse avec la République dominicaine qui n’est pas encore totalement sécurisée, ou tout simplement en soudoyant les agents de la douane au niveau des ports.

En parallèle, il faut récupérer toutes les armes en circulation, soit en les achetant à ceux qui les détiennent, soit en les confisquant lors des perquisitions. Car la combinaison ‘’armes + pauvreté’’ est connue pour être un cocktail explosif. Et les exemples en Amérique du Sud qui vont dans ce sens ne manquent pas. De même, il faut que la justice et la police aient les moyens de leurs ambitions. Les prisons doivent être mieux gardées, les tribunaux plus réactifs et indépendants, et les forces de l’ordre mieux entrainées et équipées. Sans cela, c’est peine perdue.

Mais il ne faut pas que la politique sécuritaire du pays soit orientée seulement vers le tout répressif. Car comme on le sait, ce qui fait le nid de la délinquance, c’est surtout la pauvreté et la misère. Notre gouvernement se doit de remettre sur les rails l’économie, stimuler la création d’emplois et offrir une bonne éducation à nos enfants. Il doit aussi arrêter de faire croire qu’il réussira à endiguer l’insécurité juste avec des effets d’annonce. Remplacer tel commissaire par un autre ou chambouler toute la hiérarchie de la PNH n’y changeront rien si des actions de fond ne sont pas entreprises. De même, il est important de gagner l’adhésion de l’ensemble de la population dans la lutte contre le crime organisé. Mais vu l’impopularité de Jovenel Moïse et de son gouvernement, ce pari semble loin d’être gagné.

D. Ferdinand / LE FLORIDIEN
31 Mars 2021

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