Quand la corruption s’habille en costume cravate: le cas Laurent Lamothe

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La scène politique haïtienne n’est pas réputée pour sa transparence, c’est le moins que l’on puisse dire. C’est un monde où les billets de banque semblent avoir autant de valeur que les bulletins de vote, et où le luxe des palais gouvernementaux contraste douloureusement avec la pauvreté des rues. Et au centre de tout cela, nous retrouvons notre protagoniste du jour: Laurent Lamothe.

Lamothe coulait une retraite paisible qui a brusquement pris fin lorsque le gouvernement américain a décrété du jour au lendemain que l’ex Premier ministre n’était plus le bienvenu, coupable d’avoir détourné des dizaines de millions de dollars. D’ailleurs depuis quelque temps, sans doute dans un effort de se donner bonne conscience après leur refus de s’occuper de la crise haïtienne, les Américains semblent décidés à prendre des mesures de rétorsion contre toutes les personnalités haïtiennes corrompues qui ont trouvé refuge sur leur sol. Après Bochitt le mois dernier, c’est aujourd’hui Lamothe qui passe à la marmite.

Les Américains ont tout de même pris la peine de laisser le temps à nos chers voyous d’échapper à la justice, Mr Bochitt étant protégé par l’immunité diplomatique, alors que le deuxième se trouvait hors du territoire américain lorsqu’il en fut banni par le Secrétaire d’État en personne. C’est aussi une façon de prévenir tous les autres politiciens haïtiens ripoux pour qu’ils aient le temps de dissimuler leurs biens avant que la justice ne commence à y mettre son nez.

Si aujourd’hui Mr Lamothe ne peut plus accéder à sa luxueuse demeure à Miami, il n’a pas beaucoup de soucis à se faire puisque selon la justice américaine, l’ancien locataire de la Primature a eu le temps de détourner au moins 60 millions de dollars! Un sacré pactole qui lui permet de vivre une retraite dorée jusqu’à la fin de ses jours! Malheureusement, ce n’est que maintenant que la justice américaine semble découvrir que la politique en Haïti est un jeu de Monopoly particulièrement coûteux que nos dirigeants ont réussi à transformer en un jackpot permanent. Il faut dire qu’avec Michel Martelly comme patron, Lamothe était bien couvert et savait qu’il pouvait se servir sans être inquiété, transformant le fonds de protection sociale PetroCaribe en son cochon-tirelire personnel. Avec le temps, il a montré qu’il avait un certain talent dans le ‘recyclage financier’. Mieux, Lamothe fait vraisemblablement partie de ces visionnaires qui ont compris que le concept de service public était en fait un service à soi-même, et qu’il valait donc mieux faire passer le bien de son compte en banque avant le bien commun.

Le plus triste dans cette histoire, c’est que les grandes démocraties, qui ne cessent de donner des leçons au reste du monde sur la démocratie et la bonne gouvernance, ont fermé les yeux sur les détournements et la corruption de nos politiciens véreux, laissant même ces derniers s’installer tranquillement sur leurs territoires pour y investir l’argent volé au peuple haïtien. Les Haïtiens ne sont pas dupes et savent que la réactivité tardive des Occidentaux révèle une forme d’hypocrisie à laquelle ils ont désormais l’habitude.

Ainsi, tout comme les États-Unis, le Canada par exemple a attendu novembre dernier pour punir Lamothe en ajoutant son nom à une liste de personnes soupçonnées de soutenir des gangs armés en Haïti. Lamothe a répondu à ces accusations en affirmant qu’Ottawa était mal informé et qu’il avait l’intention de se défendre devant les tribunaux. Peut-être qu’un procès est exactement ce qu’il lui faut ! Mais malin qu’il est, pas sûr qu’il y assistera, car il connaît l’issue du verdict mieux que le juge. Quant au Canada, aux États-Unis et à la France, ils ne sortent pas grandis de cette affaire, car en se taisant durant toutes ces années, ils ont en quelque sorte cautionné les agissements criminels de nos dirigeants qui ont pillé tout un peuple de manière méthodique pour ne lui laisser que des miettes. Cet aveuglement sélectif des ‘’grandes nations’’ a non seulement permis à ces pratiques illicites de prospérer, mais a aussi, indirectement, alimenté l’instabilité et l’inégalité qui affligent Haïti aujourd’hui. Le manque d’action concrète traduit une indifférence ou une acceptation tacite qui a longtemps soutenu un statu quo destructeur.

Toujours est-il, pour revenir à notre Lamothe et à ses semblables, il est malheureux de voir qu’ils jouissent de l’argent des Haïtiens sans le moindre remord ni culpabilité. À se demander comment ils peuvent dormir avec la conscience tranquille la nuit. On peut même dire qu’ils donnent raison au célèbre écrivain français Honoré de Balzac qui disait que ‘’derrière chaque grande fortune, il y a un crime’’. En Haïti plus qu’ailleurs, il est impossible de devenir millionnaire en étant honnête, car le système en lui-même ne le permet pas. Pas plus que vous ne pouvez entrer dans la politique si vous n’avez pas obtenu un diplôme en corruption, le seul diplôme qui vaille et qui permet véritablement de faire carrière. Aujourd’hui, notre pays est devenu un paradis pour les politiciens corrompus et un enfer pour la transparence et l’intégrité. Et au vu de l’évolution actuelle, les choses ne sont pas prêtes de changer favorablement dans un futur proche.

 

Stéphane Boudin

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