Quand notre police fait un pas en avant, la justice fait un pas en arrière

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L’actualité mouvementée qu’a connue Haïti ces dernières semaines a failli éclipser un fait d’armes à mettre au crédit de notre police nationale (PNH). Cette dernière a en effet déjoué les plans apparemment machiavéliques d’un groupe de mercenaires étrangers venus vraisemblablement pour semer la zizanie et déstabiliser un pays déjà éprouvé par des mois d’émeutes et de chaos (lire les détails sur cette affaire dans notre article d’analyse). Ce coup de filet a d’ailleurs mis du baume au cœur d’une population qui avait perdu toute confiance en sa police.

Jusqu’à récemment, l’image qui collait aux agents de la PNH était peu reluisante. Corruption, trafics en tout genre (l’affaire Godson Orélus est encore dans tous les esprits) et magouilles d’un côté, matraque, gaz lacrymogène et bavures policières de l’autre. Autant dire que la relation entre le corps de police et la population n’a jamais été au beau fixe, et ce depuis l’ère des Duvalier. Mais aujourd’hui, les choses semblent avoir évolué dans le bon sens. Avec un effectif totalisant environ 16.000 personnes, dont 8500 agents sur le terrain, la PNH a subi une transformation de fond sous la supervision des Nations Unies. La police nationale de 2019 n’a plus rien à voir avec celle des années 90, voire même celle des années 2000. Le qualitatif a remplacé le quantitatif grâce un meilleur encadrement et une formation en amont fournie par des professionnels venus des 4 coins du monde.

Pour lutter contre la délinquance et l’insécurité, pour pourchasser les criminels et les malfrats, les policiers sont ceux qui se retrouvent toujours en première ligne du front. Lors des dernières émeutes ayant secoué le pays, les observateurs ont été unanimes à saluer le professionnalisme des forces de l’ordre qui ont réussi à canaliser la colère populaire en essayant de faire le moins de victimes collatérales possible. Aujourd’hui, c’est leur courage et leur bravoure qu’il faut applaudir, puisqu’ils ont mis hors d’état de nuire 7 mercenaires armés jusqu’aux dents et qui s’apprêtaient à commettre l’irréparable afin d’accentuer un peu plus les divisions au sein de notre nation. Beaucoup de gens ne se rendent pas compte à quel point ces policiers font de gros sacrifices au quotidien, parfois au péril de leur vie, pour garantir aux citoyens un minimum de paix et de sécurité dans les rues.

Cela dit, le tableau sécuritaire ne pourra être complet sans une justice compétente, transparente et indépendante. Et c’est justement là qu’est le Tallon d’Achille de notre pays en ce moment. Tous les efforts consentis pour reconstruire notre police nationale se retrouvent galvaudés par un système judiciaire aux antipodes des attentes du peuple et de ses aspirations. À quoi sert de courir derrière les criminels, si ces derniers ressortent de prison quelques jours à peine après leur incarcération sans même avoir été jugés. L’exemple des mercenaires mis aux arrêts puis libérés quelques jours plus tard est édifiant à plus d’un titre. Voilà donc 7 personnes lourdement armées, qui manifestement n’étaient pas là que pour faire du tourisme. Et pourtant, ils ont pu repartir tranquillement et rentrer chez eux comme si de rien n’était. De quoi écœurer les policiers qui les ont arrêtés et démoraliser leurs collègues qui vont se demander pourquoi se donner tant de peine si la justice en parallèle sape en permanence tout leur travail.

Le bon fonctionnement de notre système judiciaire est torpillé par deux handicaps majeurs : la corruption et l’ingérence du pouvoir politique. D’un côté, on a des juges qui se laissent facilement séduire par des liasses de billets, et d’un autre, on a des dirigeants qui mettent la pression sur la justice et s’immiscent dans les dossiers sensibles, comme c’est le cas avec le scandale PetroCaribe qui continue à trainer en longueur. Pourtant, d’un point de vue constitutionnel, l’autorité judiciaire est censée être indépendante et épargnée de toute influence externe.

La corruption qui gangrène nos tribunaux est donc le premier élément qui doit être éradiqué si on veut que la population retrouve une entière confiance en ses institutions juridiques. Les efforts de nos policiers ne peuvent pas aboutir si en parallèle, la justice ne joue pas pleinement son rôle. Beaucoup de membres des forces de l’ordre nous ont confessé sous couvert d’anonymat se sentir trahis par les tribunaux qui finissent par libérer des criminels notoires sans donner d’explications. L’ONU doit-elle s’occuper de la justice de notre pays et l’aider à se renouveler comme elle l’a fait avec la PNH ? La question mérite d’être posée. Certes, la justice est un département régalien hautement sensible qui touche directement à notre souveraineté nationale, mais s’il faut passer par là pour nettoyer les bas-fonds de nos tribunaux, alors pourquoi pas ?

Parallèlement à la lutte contre la corruption, il est essentiel que les dirigeants au pouvoir respectent une bonne fois pour toutes la sacro-sainte séparation entre l’autorité administrative et judiciaire. C’est en ce sens que le conseil supérieur du pouvoir judiciaire CSPJ a demandé des explications au ministre de la Justice qui a autorisé la relaxe des mercenaires sans consultation préalable et en faisant fi des lois en vigueur. Aux dernières nouvelles, les ordres venaient d’encore plus haut. Toute cette mise en scène agrémentée de quelques timides protestations n’est donc que de la poudre aux yeux pour essayer de noyer le poisson. Parions que personne ne sera inquiété et que toute cette histoire sera oubliée aussi vite qu’elle n’est apparue.

Dessalines Ferdinand

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