Que cherche Ariel Henry avec son remaniement?

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Est-ce une nouvelle diversion, un calcul politique ou une réelle volonté de mieux gouverner le pays? C’est un peu tout ça disent les spécialistes de la politique haïtienne. Alors qu’il vient d’être nommé Premier ministre, Ariel Henry semble avoir choisi de suivre les pas de l’ex-Président qui avait fait des remaniements son sport favori, établissant par la même occasion un nouveau record national, voire international, du nombre de gouvernements au cours d’un seul mandat qu’il n’a d’ailleurs pu terminer suite à son assassinat.

4 mois à peine après être arrivé à la primature, Ariel Henry décide donc de mettre de nouveaux visages au sein de son gouvernement, mais surtout d’en écarter quelques-uns qui commençaient à lui faire de l’ombre. À l’image de Claude Joseph, la star montante de la politique haïtienne qui était tellement apprécié par ses collaborateurs qu’il a eu droit à une standing ovation le jour de son départ.. une première dit-on à la chancellerie.

Toujours est-il, ce remaniement gouvernemental intervient à un moment où notre pays est au plus bas, confronté à des violences permanentes qui paralysent l’économie nationale et gâchent le quotidien de nos concitoyens. En tout, Ariel Henry a placé 9 nouveaux ministres à différents postes, dont celui des affaires étrangères donc, mais aussi de l’économie, la justice, l’éducation et la santé. Parmi les entrants, les projecteurs seront certainement braqués sur Jean Victor Jeneus, nouveau chancelier du pays et qui aura la lourde tâche de faire aussi bien que son prédécesseur qui a acquis une bonne notoriété sur la scène internationale.

Lors de sa prise de parole, le Premier ministre a tenu à rappeler que le remaniement n’était pas forcément synonyme de sortie de crise, et que de nombreuses décisions difficiles devaient être prises pour pouvoir avancer. Un discours assez vague qui ne dit pas clairement ce que compte faire le nouveau gouvernement pour endiguer la violence liée aux gangs et permettre aux Haïtiens de vivre normalement sans craindre pour leur vie ou de se faire kidnapper.

Pour le moment, faute de moyens, le Premier ministre n’a que sa bouche comme seule arme, ce qui semble bien peu pour intimider les criminels endurcis qui sévissent en Haïti. Il a ainsi enjoint les malfaiteurs à déposer les armes, sinon dit-il, ils seront neutralisés par la police nationale. Lorsqu’on connaît le déséquilibre des forces actuelles entre la PNH d’un côté et les gangs de l’autre, on est tentés de rire devant de tels discours. Comment un Premier ministre qui a lui-même du mal à circuler librement dans son propre pays peut-il tout d’un coup affirmer pouvoir décimer les gangs. Cela décrédibilise sa parole auprès de la population qui le considèrera comme un autre affabulateur.

Ariel Henry a également laissé entendre que les subventions des produits pétroliers allaient probablement devoir être revues à la baisse, voire supprimées. Une autre mauvaise nouvelle qui risque de ne pas enchanter la population déjà engluée dans une crise économique sans fin et un pouvoir d’achat qui ne cesse de péricliter. Il n’est pas dit que les Haïtiens ne sortiront pas une nouvelle fois dans la rue dresser des barricades si jamais les prix à la pompe venaient à augmenter à nouveau, surtout que le cours du baril est en constante augmentation depuis quelques semaines déjà.

Sur le plan politique, le remaniement effectué par Ariel Henry a principalement pour but de neutraliser les concurrents potentiels avant la tenue des prochaines élections. Ainsi, Ricard Pierre, ex-sénateur et visage familier de l’opposition, est ‘rentré dans les rangs’ en se voyant offrir le ministère de la Planification et de la Coopération externe. Un poste stratégique non pas pour le pays, mais pour le ministre qui l’occupe, puisque c’est par ce ministère que passent toutes les aides envoyées par la communauté internationale. Est-ce la raison pour laquelle ce poste est tellement convoité par nos politiciens? La question mérite d’être posée. En tout cas, Ricard Pierre semble plus que content de sa nomination.

Dans ce nouveau jeu de chaises musicales, Henry Ariel qui est de facto le nouveau patron du pays s’arroge également le poste de ministre de la Culture et de la Communication. Au département de la Justice, il a placé Berto Dorcé, un jeune ambitieux qui veut lui aussi se faire une place au soleil dans cet océan de chaos. D’ailleurs, à peine nommé, ce dernier a annoncé le déménagement du palais de justice… pour faire face à l’insécurité. Un comble pour un gouvernement qui dit vouloir sécuriser le pays et qui n’arrive même pas à sécuriser ses propres institutions.

Ce qui semble clair, c’est qu’Ariel Henry, à travers ce nouveau remaniement, a en ligne de mire les élections présidentielles et législatives prévues pour la seconde moitié de 2022. Bien sûr, personne ne peut dire avec certitude si ce délai sera respecté au vu de l’évolution de la situation sécuritaire qui reste particulièrement préoccupante. De plus, si la tenue des élections ne peut avoir lieu en temps et en lieu, Ariel Henry risque lui aussi de perdurer dans son poste ad vitam æternam. Pour ainsi dire, la politique en Haïti n’est qu’un éternel recommencement des mauvaises pratiques, d’où l’exaspération de la population qui préfère carrément changer de pays, faute de pouvoir changer le système qui la gouverne.
Stéphane Boudin

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